« Là-bas, tout là-bas, une grande lueur embrase le ciel
et rougeoie par intermittence ».
C’était lors de ma première année de lycée.
L’année scolaire 1966-1967.[3]
Cette phrase de Blaise Cendras[4] s’est
imprimée dans ma tête, peut-être aussitôt qu’elle nous a été lue par le
professeur.[5]
J’aimais
sa manière de lire, d’appuyer sur chaque mot comme s’il voulait l’incruster en
nous, nous pousser non seulement à le sentir, mais à le voir, à le toucher, à
le humer.
Je
l’ai beaucoup imité,[6] surtout
dans sa manière de marcher en classe, le long des rangées de tables, avec entre
les mains, le livre qu’il nous lisait, et en tapant parfois affectueusement sur
le dos d’un élève.[7]
Le clou
du spectacle, car pour moi il s’agissait d’un spectacle,[8] c’était
lorsqu’il disait :
« Le
général Johann August Suter ».
J’étais
fasciné.
D’ailleurs,
lorsque j’imitais ce professeur, et que j’essayais de donner, comme lui, une
certaine sonorité aux mots, c’étaient ceux-là, je crois, qui avaient le plus de
succès auprès de mes camarades de classe : le général Johann August Suter.
Pour
ce qui est de la phrase que je cite au début de ce texte, il m’arrive,
aujourd’hui encore, sans raison apparente, de la réciter à voix haute, et de me
plonger dans une sorte de profonde remémoration.
J’ai
apprécié ce professeur auquel je pense avec affection.
Il a
contribué à me faire aimer la lecture, à m’inciter à décortiquer une phrase, à
réfléchir pour trouver les mots qu’il faut pour habiller un texte, afin qu’il
soit comme la belle parure d’une belle femme, aimait-il dire.
Il
était de cette ville où je suis resté interne pendant trois ans, jusqu’à
l’obtention du baccalauréat.[9]
Une
ville que j’ai aimée.
Je
n’ai eu ce professeur que durant une année.
L’année
d’après, je me suis trouvé dans un autre établissement.
Lorsque
je pense à lui, il m’arrive parfois de m’entendre dire : « là-bas
tout là-bas... ».
BOUAZZA
[1]
Faas.
[2]
Mghrib (le ʺrʺ roulé).
[3]
Selon le calendrier grégorien.
[4]
Blaise Cendras, L’or, Éditions Grasset (première édition, Paris 1925).
[5]
Ce livre faisait partie du programme de français.
[6] J’étais
assez bon imitateur, et mes camarades, tout le long de ma période lycéenne, me
demandaient des imitations concernant certains professeurs.
Je
ne me faisais jamais prier pour répondre à leur demande.
[7] J’ai
procédé peut-être à des imitations en salle d’étude, en marchant le long des
rangées de tables, avec entre les main, un livre que je faisais semblant de
lire, sans oublier de taper amicalement sur le dos d’un camarade.
[8]
Je voyais ce qu’il nous lisait, comme si j’étais au cinéma.
[9]
En 1969, à l’âge de 19 ans.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire