mardi 14 novembre 2017

L’OR


« Là-bas, tout là-bas, une grande lueur embrase le ciel et rougeoie par intermittence ».
C’était lors de ma première année de lycée.
Á Fès,[1] au Maroc.[2]
L’année scolaire 1966-1967.[3]
Cette phrase de Blaise Cendras[4] s’est imprimée dans ma tête, peut-être aussitôt qu’elle nous a été lue par le professeur.[5]
J’aimais sa manière de lire, d’appuyer sur chaque mot comme s’il voulait l’incruster en nous, nous pousser non seulement à le sentir, mais à le voir, à le toucher, à le humer.
Je l’ai beaucoup imité,[6] surtout dans sa manière de marcher en classe, le long des rangées de tables, avec entre les mains, le livre qu’il nous lisait, et en tapant parfois affectueusement sur le dos d’un élève.[7]
Le clou du spectacle, car pour moi il s’agissait d’un spectacle,[8] c’était lorsqu’il disait :
« Le général Johann August Suter ».
J’étais fasciné.
D’ailleurs, lorsque j’imitais ce professeur, et que j’essayais de donner, comme lui, une certaine sonorité aux mots, c’étaient ceux-là, je crois, qui avaient le plus de succès auprès de mes camarades de classe : le général Johann August Suter.
Pour ce qui est de la phrase que je cite au début de ce texte, il m’arrive, aujourd’hui encore, sans raison apparente, de la réciter à voix haute, et de me plonger dans une sorte de profonde remémoration.
J’ai apprécié ce professeur auquel je pense avec affection.
Il a contribué à me faire aimer la lecture, à m’inciter à décortiquer une phrase, à réfléchir pour trouver les mots qu’il faut pour habiller un texte, afin qu’il soit comme la belle parure d’une belle femme, aimait-il dire.
Il était de cette ville où je suis resté interne pendant trois ans, jusqu’à l’obtention du baccalauréat.[9]
Une ville que j’ai aimée.
Je n’ai eu ce professeur que durant une année.
L’année d’après, je me suis trouvé dans un autre établissement.
Lorsque je pense à lui, il m’arrive parfois de m’entendre dire : « là-bas tout là-bas... ».
  
BOUAZZA



[1] Faas.
[2] Mghrib (le ʺrʺ roulé).
[3] Selon le calendrier grégorien.
[4] Blaise Cendras, L’or, Éditions Grasset (première édition, Paris 1925).
[5] Ce livre faisait partie du programme de français.
[6] J’étais assez bon imitateur, et mes camarades, tout le long de ma période lycéenne, me demandaient des imitations concernant certains professeurs.
Je ne me faisais jamais prier pour répondre à leur demande.
[7] J’ai procédé peut-être à des imitations en salle d’étude, en marchant le long des rangées de tables, avec entre les main, un livre que je faisais semblant de lire, sans oublier de taper amicalement sur le dos d’un camarade.
[8] Je voyais ce qu’il nous lisait, comme si j’étais au cinéma.
[9] En 1969, à l’âge de 19 ans.

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