vendredi 16 mars 2018

MON PÈRE, LE FRANCOPHILE



C’était au Maroc.
L’occupation française s’étendait à plusieurs pays, dans divers continents.[1]
Un système de scolarisation avait été mis en place dans certaines parties du Maroc, destiné à faire « des élèves berbères » des agents subalternes, dévoués à la France colonialiste.[2]
Certains avaient fréquenté le collège d’Azrou,[3] institution dite « berbériste » faisant partie de ce système d’enseignement mis en place par les forces de l’occupation, destinée à « la formation » d’élèves indigènes[4] pour occuper des emplois subalternes dans l’administration.
Mon père avait été enrôlé dans ce système.
Son enrôlement était lié à la mort de mon grand père paternel.
Avant que le Maroc ne soit colonisé, les hordes du sultan qui s’attaquaient, dès qu’elles en avaient la possibilité, à des populations pour les massacrer, s’emparer de leurs récoltes, de leur bétail, et autres, avaient poussé une partie de la population des « Smaa’la » de Bj’d[5] aux environs de ouad zm[6] à se réfugier chez les populations de Zmmour,[7] avec qui ils utilisaient les mêmes pâturages de la plaine de Tadlaa,[8] et auxquelles les hordes du sultan n’avaient jamais osé s’attaquer.
Mon arrière grand-père faisait partie des réfugiés.
Mon grand-père paternel avait alors grandi chez les Aït Hkm,[9] et avait épousé une fille de Zmmour.
L’épouse, devenue aussi mère,[10] était tombée dans l’adultère.
Profondément atteint, mon grand-père s’était engagé dans des forces supplétives de l’armée colonialiste française qui entre temps, avait pénétré la région.
Lors d’opérations de « pacification » comme disent les armées d’occupation, mon grand-père avait trouvé la mort.
Cette mort avait valu à mon père, en dépit de l’opposition des siens, d’être pris et enrôlé dans le système d’enseignement mis en place par les forces de l’occupation.
Il a été marqué, comme d’autres camarades, par un enseignant viscéralement décidé à inoculer aux « élèves berbères »  l’attachement à la France colonialiste.
Mon père aimait répéter que grâce à cet enseignant, il était devenu « quelqu’un ».
Dans son parcours scolaire, il s’était révélé réceptif, et avait obtenu, comme prévu, un emploi subalterne dans l’administration.
Il voyageait souvent, avait beaucoup de contacts, sentait qu’en ce début des années cinquante,[11] les choses pouvaient changer.
Il se voulait « moderne » et en mesure de saisir les occasions par rapport à ce qui s’annonçait, et avait pressenti qu’il allait avoir d’importantes opportunités pour faire carrière.
Et en effet, au lendemain de « l’indépendance dans l’interdépendance »,[12] il avait, comme d’autres camarades, occupé des postes de plus en plus « importants », des logements de fonction avec du mobilier, de grands jardins, des basses-cours, des piscines, des voitures de service, des chauffeurs, des cuisiniers, des hommes de ménage, des jardiniers, et autres.[13]
Ces logements étaient auparavant occupés par des colonialistes français.
Avec « l’indépendance dans l’interdépendance », beaucoup de ceux qui avaient des emplois subalternes, avaient été « promus » : dans certaines couches des populations, ils étaient appelés « lfraneçawiyiine jjdaad ».[14]
Un des camarades de mon père avait fait carrière dans l’enseignement.[15]
Il était convaincu de savoir parler aux « élèves berbères », à qui il répétait souvent qu’ils étaient destinés à être les maîtres demain.
Il n’oubliait jamais de rappeler les souffrances d’antan, en insistant sur son rôle de défenseur, de protecteur, de guide, et en demandant à son auditoire de toujours se soumettre aux autorités.
Ce discours, toujours le même, tenu selon les circonstances en tamazighte,[16] en français, en arabe, était saupoudré, de temps à autre, d’anecdotes sur les anciens du collège d’Azrou.
Il maniait le verbe et le fouet, comme son ancien enseignant chéri.
Je l’ai bien connu et j’ai passé, comme élève, des années dans l’établissement où il officiait à Lkhmiçaate.[17]
Mon père, avec ce camarades et d’autres, avait participé à l’achat d’une villa pour l’enseignant qui avait consacré sa carrière à leur inoculer l’attachement à la France colonialiste.
Il m’est arrivé d’imaginer cette villa comme une sorte de « lieu de pèlerinage » pour des anciens « élèves berbères » rendant visite à l’enseignant chéri, en vacances dans la colonie du Maroc, « pays froid où le soleil est chaud ».[18]
  
BOUAZZA


[1] Durant son « show » en Algérie par exemple, en décembre 2012, au milieu de minables employés locaux, dits ʺdirigeants algériensʺ, François Hollande, le figurant de gauche installé sur le trône du Palais de l’Élysée en mai 2012, pour remplacer son alter ego de droite, Nicolas Sarkozy, a fait semblant de découvrir que la colonisation (il n’a pas dit le colonialisme) est un système injuste et brutal !
Après plus de cent trente ans de colonialisme en Algérie (territoire déclaré département français) et cinquante ans ʺd’indépendance dans l’interdépendanceʺ c’est une découverte qui montre, une fois encore, qu’en matière de mépris, la gauche fait mieux que la droite.
La France colonialiste a connu cinq ans d’occupation par l’Allemagne du national-socialisme, du nazisme, pendant ce qui a été appelé la deuxième guerre mondiale.
Une énorme importance continue d’être accordée à cette période au nom de ce qui est appelé ʺle devoir de mémoireʺ, entretenu par un flot constant de publications, de films, d’images, de conférences, de discours, de cérémonies, de célébrations, de commémorations, d’hommages, de décorations et autres.
Mais lorsque des personnes des pays qui ont connu le colonialisme et ses horreurs pendant des dizaines et des dizaines d’années veulent parler de ces horreurs, la France, qui continue des horreurs colonialo-impérialo-sionistes, réclame le silence avec orgueil, arrogance, et dénégation en leur ordonnant de ʺtourner la pageʺ et d’être reconnaissants pour l’apport ʺcivilisationnelʺ du colonialo-impérialo-sionisme ʺqui continue de veiller sur les valeurs de l’humanitéʺ !
Pendant que la France fêtait par exemple ʺla libérationʺ de l’occupation du national-socialisme, du nazisme, après l’utilisation des populations colonisées par centaines de milliers comme chair à canon, de leurs biens, et de leurs territoires, le colonialisme français continuait l’asservissement, l’oppression, les massacres et autres horreurs dans les pays colonisés.
Les criminels colonialistes, impérialo-sionistes et leurs collaborateurs ont été récompensés, sont récompensés.
Des intellectuels, hommes et femmes, de gauche, de droite et autres, continuent de vanter ʺla belle époque de l’Empire colonial françaisʺ, et de considérer que les crimes contre l’humanité commis par le colonialisme, par l’impérialo-sionisme, crimes qui se poursuivent, sont des ʺinventions des obscurantistes, des fanatiques, des musulmans, des intégristes, des islamistes, des terroristes, des arabes, des antisémites, des barbares, des ennemis de la civilisation, des ennemis des droits de l’homme, des ennemis des femmesʺ.
[2] Un enseignement primaire, puis le ʺcollège berbère d’Azrouʺ afin de poursuivre une formation fondée sur l’opposition berbères-arabes dite ʺpolitique berbèreʺ ou ʺberbèrismeʺ dont les méfaits continuent.
[3] Le ʺrʺ roulé.
[4] Appellation arrogante et méprisante donnée par le colonialisme aux populations des territoires colonisés.
[5] Boujad.
[6] Oued zem.
[7] Le ʺrʺ roulé,  Zemmour.
[8] Tadla.
[9] Aït Hkem (Tiddaas, Tidas).
[10] Ma grand-mère paternelle que je n’ai pas connu.
[11] Selon le calendrier dit grégorien.
[12] Statut octroyé par le système colonialo-impérialo-sioniste, et qui s’est traduit dans les colonies par la multiplication des "États" supplétifs, subordonnés avec plus ou moins de zèle, de soumission et de servilité dans l’exécution des ordres des métropoles et autres employeurs.
Ces "États" sont fondés sur l’imposture, le crime, la trahison, la tromperie, la corruption, l’injustice, la perversion, la débauche, le mensonge, le pillage, l’oppression, l’exploitation, le viol, la tyrannie, la torture, l’enfermement, la négation de l’être humain.
Au Maroc, occupé par la France, l’Espagne, et autres, occupation dite ″protectorat″, le système colonialo-impérialo-sioniste a transformé le sultanat moribond, en monarchie héréditaire, dite de "droit divin".
Le sultan, protégé, est alors devenu roi, au service de ce système.
[13] Un terrain de tennis par exemple, dans un de ces logements.
[14] Le ʺrʺ roulé.
Les nouveaux français.
[15] Il avait obtenu aussi un fauteuil de parlementaire, et un fauteuil de président de conseil municipal.
[16] En langue berbère.
[17] Khémisset.
[18] En parlant du Maroc où il était le Résident Général du colonialisme français, le maréchal Louis Hubert Gonzalve Lyautey l’avait désigné, dans une des formules dont il avait le secret, disent encore ses adorateurs, comme le pays froid où le soleil est chaud.
Louis Hubert Gonzalve Lyautey n’est plus, mais la France, de droite comme de gauche, continue de veiller sur ce sultanat autrefois moribond, qu’elle a transformé en monarchie musclée.
Je ne fais que reprendre ce dont j’ai déjà parlé.

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