C’était au Maroc.
L’occupation française s’étendait à plusieurs pays,
dans divers continents.[1]
Un système de scolarisation avait été mis en place
dans certaines parties du Maroc, destiné à faire « des élèves
berbères » des agents subalternes, dévoués à la France colonialiste.[2]
Certains avaient fréquenté le collège d’Azrou,[3] institution dite « berbériste » faisant partie
de ce système d’enseignement mis en place par les forces de l’occupation,
destinée à « la formation » d’élèves indigènes[4]
pour occuper des emplois subalternes dans l’administration.
Mon père avait été enrôlé dans ce
système.
Son enrôlement était lié à la mort de mon grand père
paternel.
Avant que le Maroc ne soit colonisé, les hordes du
sultan qui s’attaquaient, dès qu’elles en avaient la possibilité, à des
populations pour les massacrer, s’emparer de leurs récoltes, de leur bétail, et
autres, avaient poussé une partie de la population des « Smaa’la » de
Bj’d[5] aux
environs de ouad zm[6] à se réfugier chez les populations
de Zmmour,[7] avec
qui ils utilisaient les mêmes pâturages de la plaine de Tadlaa,[8] et
auxquelles les hordes du sultan n’avaient jamais osé s’attaquer.
Mon arrière grand-père faisait partie des réfugiés.
Mon grand-père paternel avait alors grandi chez les
Aït Hkm,[9] et
avait épousé une fille de Zmmour.
L’épouse, devenue aussi mère,[10]
était tombée dans l’adultère.
Profondément atteint, mon grand-père s’était engagé
dans des forces supplétives de l’armée colonialiste française qui entre temps,
avait pénétré la région.
Lors d’opérations de « pacification » comme
disent les armées d’occupation, mon grand-père avait trouvé la mort.
Cette mort avait valu à mon père, en dépit de
l’opposition des siens, d’être pris et enrôlé dans le système d’enseignement mis
en place par les forces de l’occupation.
Il a
été marqué, comme d’autres camarades, par un enseignant viscéralement décidé à
inoculer aux « élèves berbères » l’attachement à la France colonialiste.
Mon
père aimait répéter que grâce à cet enseignant, il était devenu « quelqu’un ».
Dans son parcours scolaire, il
s’était révélé réceptif, et avait obtenu, comme prévu, un emploi subalterne dans
l’administration.
Il voyageait souvent, avait
beaucoup de contacts, sentait qu’en ce début des années cinquante,[11] les
choses pouvaient changer.
Il se voulait « moderne » et en mesure de saisir
les occasions par rapport à ce qui s’annonçait, et avait pressenti qu’il allait
avoir d’importantes opportunités pour faire carrière.
Et en effet, au lendemain de « l’indépendance
dans l’interdépendance »,[12] il
avait, comme d’autres camarades, occupé des
postes de plus en plus « importants », des logements de fonction avec
du mobilier, de grands jardins, des basses-cours, des piscines, des voitures de
service, des chauffeurs, des cuisiniers, des hommes de ménage, des jardiniers,
et autres.[13]
Ces logements étaient auparavant occupés par des
colonialistes français.
Avec « l’indépendance dans
l’interdépendance », beaucoup de ceux qui avaient des emplois subalternes,
avaient été « promus » : dans certaines couches des populations,
ils étaient appelés « lfraneçawiyiine jjdaad ».[14]
Un des camarades de mon père avait fait carrière dans
l’enseignement.[15]
Il était convaincu de savoir parler aux « élèves
berbères », à qui il répétait souvent qu’ils étaient destinés à être les
maîtres demain.
Il n’oubliait jamais de rappeler les souffrances d’antan,
en insistant sur son rôle de défenseur, de protecteur, de guide, et en
demandant à son auditoire de toujours se soumettre aux autorités.
Ce discours, toujours le même, tenu selon les
circonstances en tamazighte,[16] en
français, en arabe, était saupoudré, de temps à autre, d’anecdotes sur les
anciens du collège d’Azrou.
Il maniait le verbe et le fouet, comme son ancien
enseignant chéri.
Je l’ai bien connu et j’ai passé, comme élève, des
années dans l’établissement où il officiait à Lkhmiçaate.[17]
Mon père, avec ce camarades et d’autres, avait
participé à l’achat d’une villa pour l’enseignant qui avait consacré sa
carrière à leur inoculer l’attachement à la France colonialiste.
Il m’est arrivé d’imaginer cette villa comme une sorte
de « lieu de pèlerinage » pour des anciens « élèves
berbères » rendant visite à l’enseignant chéri, en vacances dans la
colonie du Maroc, « pays froid où le soleil est chaud ».[18]
BOUAZZA
[1] Durant son « show » en Algérie par exemple,
en décembre 2012, au milieu de minables employés locaux, dits ʺdirigeants
algériensʺ, François Hollande, le figurant de gauche installé sur le trône du
Palais de l’Élysée en mai 2012, pour remplacer son alter ego de droite, Nicolas
Sarkozy, a fait semblant de découvrir que la colonisation (il n’a pas dit le colonialisme)
est un système injuste et brutal !
Après plus de cent trente ans de colonialisme en
Algérie (territoire déclaré département français) et cinquante ans
ʺd’indépendance dans l’interdépendanceʺ c’est une découverte qui montre, une
fois encore, qu’en matière de mépris, la gauche fait mieux que la droite.
La
France colonialiste a connu cinq ans d’occupation par l’Allemagne du
national-socialisme, du nazisme, pendant ce qui a été appelé la deuxième guerre
mondiale.
Une
énorme importance continue d’être accordée à cette période au nom de ce qui est
appelé ʺle devoir de mémoireʺ, entretenu par un flot constant de publications,
de films, d’images, de conférences, de discours, de cérémonies, de
célébrations, de commémorations, d’hommages, de décorations et autres.
Mais
lorsque des personnes des pays qui ont connu le colonialisme et ses horreurs
pendant des dizaines et des dizaines d’années veulent parler de ces horreurs,
la France, qui continue des horreurs colonialo-impérialo-sionistes, réclame le
silence avec orgueil, arrogance, et dénégation en leur ordonnant de ʺtourner la
pageʺ et d’être reconnaissants pour l’apport ʺcivilisationnelʺ du
colonialo-impérialo-sionisme ʺqui continue de veiller sur les valeurs de
l’humanitéʺ !
Pendant
que la France fêtait par exemple ʺla libérationʺ de l’occupation du
national-socialisme, du nazisme, après l’utilisation des populations colonisées
par centaines de milliers comme chair à canon, de leurs biens, et de leurs
territoires, le colonialisme français continuait l’asservissement,
l’oppression, les massacres et autres horreurs dans les pays colonisés.
Les
criminels colonialistes, impérialo-sionistes et leurs collaborateurs ont été
récompensés, sont récompensés.
Des
intellectuels, hommes et femmes, de gauche, de droite et autres, continuent de
vanter ʺla belle époque de l’Empire colonial françaisʺ, et de considérer que
les crimes contre l’humanité commis par le colonialisme, par
l’impérialo-sionisme, crimes qui se poursuivent, sont des ʺinventions des
obscurantistes, des fanatiques, des musulmans, des intégristes, des islamistes,
des terroristes, des arabes, des antisémites, des barbares, des ennemis de la
civilisation, des ennemis des droits de l’homme, des ennemis des femmesʺ.
[2] Un
enseignement primaire, puis le ʺcollège berbère d’Azrouʺ afin de poursuivre une
formation fondée sur l’opposition berbères-arabes dite ʺpolitique berbèreʺ ou
ʺberbèrismeʺ dont les méfaits continuent.
[3] Le ʺrʺ roulé.
[4] Appellation arrogante et
méprisante donnée par le colonialisme aux populations des territoires
colonisés.
[5] Boujad.
[6] Oued zem.
[7] Le ʺrʺ roulé, Zemmour.
[8] Tadla.
[9] Aït Hkem (Tiddaas, Tidas).
[10] Ma grand-mère paternelle
que je n’ai pas connu.
[11] Selon le calendrier dit
grégorien.
[12]
Statut octroyé par le système colonialo-impérialo-sioniste, et qui s’est
traduit dans les colonies par la multiplication des "États"
supplétifs, subordonnés avec plus ou moins de zèle, de soumission et de
servilité dans l’exécution des ordres des métropoles et autres employeurs.
Ces
"États" sont fondés sur l’imposture, le crime, la trahison, la
tromperie, la corruption, l’injustice, la perversion, la débauche, le mensonge,
le pillage, l’oppression, l’exploitation, le viol, la tyrannie, la torture,
l’enfermement, la négation de l’être humain.
Au
Maroc, occupé par la France, l’Espagne, et autres, occupation dite
″protectorat″, le système colonialo-impérialo-sioniste a transformé le sultanat
moribond, en monarchie héréditaire, dite de "droit divin".
Le
sultan, protégé, est alors devenu roi, au service de ce système.
[13] Un terrain de tennis par
exemple, dans un de ces logements.
[14] Le ʺrʺ roulé.
Les nouveaux français.
[15] Il
avait obtenu aussi un fauteuil de parlementaire, et un fauteuil de président de
conseil municipal.
[16] En langue berbère.
[17] Khémisset.
[18] En parlant du Maroc où il était le Résident Général
du colonialisme français, le maréchal Louis Hubert Gonzalve Lyautey l’avait
désigné, dans une des formules dont il avait le secret, disent encore ses
adorateurs, comme le pays froid où le soleil est chaud.
Louis Hubert Gonzalve Lyautey n’est plus, mais la
France, de droite comme de gauche, continue de veiller sur ce sultanat
autrefois moribond, qu’elle a transformé en monarchie musclée.
Je ne fais que reprendre ce dont j’ai déjà parlé.
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