C’était dans les années soixante,[1] pas longtemps après
l’octroi au Maroc[2]
de « l’indépendance dans l’interdépendance »,[3] par le colonialisme
français.[4]
Mon père était magistrat du parquet à Meknès,[5].
Il avait acquis une maison en ville
nouvelle, dans un quartier où résidaient des familles de France.[6]
Auparavant, la maison était occupée par des français qui
avaient regagné la métropole.
La rue portait, et porte encore, le
nom d’un militaire français[7] qui s’était illustré dans
les massacres des populations par le colonialisme.[8]
Derrière la maison passait une autre
rue qui se confondait avec la première pour former une sorte de place que nous
utilisions beaucoup pour jouer au football.
La circulation des véhicules n’était
pas dense, et notre terrain goudronné nous permettait de pratiquer, parfois
pendant des heures, ce sport que j’ai toujours apprécié.
Les chutes n’étaient pas que
bénignes, mais l’attachement au ballon rond les rendait supportables.
Le soir,[9] un petit groupe de
gardiens marocains des maisons des familles françaises qui étaient en métropole
pour des vacances, préparait ce qu’il fallait pour la veillée, en étendant une
longue natte sous un olivier dans un champs en face d’une rangée de maisons,
dont celle acquise par mon père, et en installant un « brasero »[10] pour le feu de braises
nécessaire au thé à la menthe.
Le père de l’un de nos amis de jeu, gardien, restait à
l’écart de ce petit groupe.
Un
jour, en début de soirée, cet ami, le plus âgé d’entre nous, est arrivé sur une
mobylette neuve, rutilante, d’un jaune lumineux, et nous n’avions d’yeux que
pour l’engin qu’aucun autre au quartier ne possédait, et qui à l’époque,
n’était pas courant.
Nous
n’avions pas de vélo non plus, mais nous savions en faire,[11]
et nous avons dû être persuasifs car assez rapidement, nous avons convaincu
notre ami de prêter sa mobylette à chacun de nous à tour de rôle, pour l’étrenner.
Nous
étions certainement encore jeunes pour un tel exercice, mais l’effectuer dans
la rue de notre quartier ne nous paraissait pas compliqué.
Notre
ami qui nous aimait bien ne s’est pas fait trop prier pour accepter.
Quelques
explications plus tard, chacun a fait son tour sans problème.
Il
restait le tour du fils aîné de ma belle-mère,[12]
plus jeune que la majorité d’entre nous.
Il m’est déjà arrivé de parler de lui pour dénoncer ses
comportements et ses pratiques blâmables.
Aussi loin que remontent mes souvenirs le concernant,
je l’ai toujours connu dans « la toute puissance »[13]
comme disent les « psy ».
Et il s’obstine à continuer dans cette voie.
Il ramène toujours tout à lui et obtient, par des mensonges,
des tricheries, et autres, beaucoup de ce qu’il convoite.[14]
Sur la mobylette, en fanfaron, il s’est trouvé très
vite éjecté.
La mobylette a été endommagée.
Je revois la scène comme si elle venait d’avoir lieu.
L’engin n’avait pas été très abîmé, mais quelques
dégradations étaient visibles, et la crainte par notre ami de la réaction de
son paternel était grande.
Mon père était à la maison avec des invités, et notre
ami a décidé d’aller le voir pour demander de quoi effectuer les réparations.
Nous étions avec lui lorsqu’il a sonné.
Mon père, croyant que c’était un de ses invités qui
arrivait, est venu ouvrir lui-même.
Du haut du perron, il a demandé à notre ami ce qu’il
voulait, et lorsque celui-ci a fini de présenter sa requête, mon père lui a
demandé de déguerpir et de s’estimer heureux qu’il ne lui administre pas une
correction pour avoir mis son fils en danger.[15]
Un demi-siècle après cet événement, je n’arrive
toujours pas à comprendre pourquoi mon père a refusé d’aider notre ami, fils d’un
gardien pauvre qui a dû s’imposer mille et une privations afin de payer une
mobylette à son fils.
Mon père pouvait faire « la morale » à notre
ami bien sûr, mais pas refuser de l’aider.
En pensant à cet ami, je sens encore une grande gêne,
mêlée à une sorte de profonde tristesse.
Que s’est-il passé ensuite ?
Son père lui a confisqué la mobylette pendant une
certaine période, et lui a surtout interdit de fréquenter les enfants des
familles comme la nôtre.[16]
BOUAZZA
[1]
Selon le calendrier dit grégorien.
[2]
Lmghrib (le ʺrʺ roulé).
[3]
Statut octroyé par le système colonialo-impérialo-sioniste, et qui s’est
traduit dans les colonies par la multiplication des "États"
supplétifs, subordonnés avec plus ou moins de zèle, de soumission et de
servilité dans l’exécution des ordres des métropoles et autres employeurs.
Ces
"États" sont fondés sur l’imposture, le crime, la trahison, la
tromperie, la corruption, l’injustice, la perversion, la débauche, le mensonge,
le pillage, l’oppression, l’exploitation, le viol, la tyrannie, la torture,
l’enfermement, la négation de l’être humain.
Au
Maroc, colonie française dite ″protectorat″, le système
colonialo-impérialo-sioniste a transformé le sultanat moribond, en monarchie
héréditaire, dite de "droit divin".
Le
sultan, protégé, est alors devenu roi au service de ce système.
[4]
Et par le colonialisme espagnol.
[5]
Mknaas, ville au nord-est du Maroc.
[6]
Les villas de ʺhmriaʺ (le ʺrʺ roulé) commençaient à être occupées par plus de
marocains qu'avant ce qui a été appelé ʺl’indépendance dans l’interdépendanceʺ.
Des
gens de l’ancienne ville appelaient ces marocains ʺnçaaraa jdaadʺ, les nouveaux
nazaréens, les nouveaux français, parce qu’auparavant, ces demeures étaient
celles de colonialistes français
[7]
Rue Bugeaud.
[8]
C’est le cas pour beaucoup d’autres rues, boulevards, places, et autres.
[9]
Pendant l’été.
[10]
Mjmaar (le ʺrʺ roulé).
[11 Je ne me souviens pas quand est-ce que j’ai appris à en faire.
[12]
La troisième épouse de mon père.
Avec
mon père, en plus de ce fils, elle a eu sept autres enfants (quatre garçons
qui, comme l’aîné, pour trois d'entre eux principalement, se sont accaparés de beaucoup de choses, et se sont arrogés
des droits sur ce qui ne leur appartient
pas, et trois filles).
[13]
La Toute Puissance appartient à Allaah.
L’expression
utilisée par les "psy" s’applique à la personne atteinte de
la pathologie qui consiste à "s’auto-glorifier" quoi qu’il arrive.
[14]
En usurpateur, il s’est accaparé d’énormément de choses du vivant de mon père,
et principalement d’une maison qu’il a vendue en évinçant sa mère, après le
décès de mon père.
[15]
Mon père avait souligné que si ses enfants n’avaient ni vélo ni mobylette,
c’est justement afin qu’ils ne soient pas exposés aux accidents comme celui qui
a eu lieu à cause de l’engin de notre ami qui de ce fait, était responsable de
ce qui est arrivé.
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