J’ai déjà signalé que vers la fin de ce qui est considéré
comme mon « parcours professionnel », j’intervenais, auprès de jeunes
délinquants incarcérés.
En 2003,[1]
j’ai participé à alimenter en textes un « blog » ouvert aux personnes
de « ma » promotion, intervenant auprès de jeunes sur décision
judiciaire.
Il m’arrive de revenir sur l’un ou l’autre de ces textes,
avec un autre de titre.
En voici un de ces textes[2] :
« Au tribunal, il[3]
est tombé sur la juge qui a horreur de la délinquance des jeunes.
La rousse aux yeux verts, qui envoie toujours en prison.
L’avocat qui lui a été servi n’était pas frais et empestait
la vin-aigrette.[4]
L’éducatrice se voit encore dans un meeting du neuf trois[5]
sur « Spartacus » et continue de délirer sur son sein-dit-cas[6] en
se grattant le derrière, pour faire sentir sa pro-position d’alternative à
l’enfermement.
Il n’en revient pas.
Tout ce monde « pour lui ».
« Les ducs à tiffes »[7]
c’est quelque chose, n’est ce pas ?
C’est important.
Ça remonte « au temps où les dromadaires avaient des
ailes et les grenouilles des plumes ».
Aux temps zimmémoriaux.[8]
Bien avant le thon des soeurs Ize.[9]
Il en parlera un jour peut-être, au moment pro-pisse.[10]
La juge, malgré ses yeux verts, lui a jeté un regard noir.
Il n’a pas cherché à l’attraper, ni à le ramasser lorsqu’il
est allé tâter le sol couleur de jurisprudence.
Ce regard est resté sans effet sur son humeur qu’il n’est
pas aisé de saisir.
Le petit bout de lingerie dit cul-otte que la juge laisse
entrevoir entre ses jambes juridiquement écartées, a souvent le teint rouge et
noir de la couverture du code de procédure pénale, affalé, comme essoufflé sur
le bureau.
Ces pensées zéro-tiques[11]
furent arrêtées par la rousse aux yeux verts au moment où elles allaient lui
chatouiller l’entre-cuisses et porter ainsi atteinte à sa profondeur de femme
publique, investie d’une miss-ion d’intérêt général.
Croisant ses gui-boles, elle a enchaîné d’une voix de
chienne policière dans l’exercice de ses fonctions :
─ Lorsque vous quitterez la prison, puisqu’il faut bien la
quitter, n’oubliez surtout pas que pour vous, aucun écart ne restera impuni.
C’est l’épée de Damoclès.
À bon entendeur salut.
─ Je n’ai pas oublié, a dit le jeune, et je n’ai pas arrêté
d’y penser.
Les pets de dame Oclès.
Ça me fout les tonjes.[12]
J’ai connu dame Oclès à Roubaix.
J’étais petit.
Elle m’impressionnait et j’avais peur de me trouver seul
avec elle.
Je ne me souviens plus de ce que je faisais dehors, la
nuit, lorsque je suis tombé sur elle.
Au tournant d’une rue.
Elle me visait et ses pets, comme des tirs de flingue, ont
failli m’atteindre.
J’ai dû faire appel à toute ma souplesse ancestrale[13]
pour les semer.
En les semant, ils repoussaient instantanément, et dame
Oclès se réapprovisionnait comme elle voulait et continuait ses tirs.
À la gare ferroviaire, j’ai eu du répit.
Une voix d’hôtesse de l’air ménopausée annonçait le départ
immédiat du TGV[14] au quai IVG,[15] comme
avortement.
Mon coup a avorté d’ailleurs puisque j’ai raté le train.
Je ne suis pas de ceux qui le prennent en marche ou qui
attendent l’autre.
Un steward au ton constipé annonçait un départ au quai C
comme chébran.[16]
En passant devant la salle d’attente, une nasseco[17]
aux yeux de look-homme[18]
s’est tout de suite inquiétée :
─ T’as paniqué ?
─ Non, j’ai pas niqué.
En racontant ma nuit agitée au mec chargé de mon suivi en
détention, il a demandé que je sois autorisé à le retrouver à la bibliothèque.[19]
Lorsque je l’ai retrouvé, il m’a tendu un dictionnaire
Larousse :
─ Cherche Damoclès et lis ce qui est écrit.
Au bout d’un certain temps et de pas mal de remue-méninges,
j’ai fini par faire semblant de croire que le dictionnaire Larousse n’est pas
de la même téci[20] que la rousse du tribunal
qui a décidé de m’envoyer en prison.
J’ai donc décidé d’accepter Larousse.
Puis, au bout d’un autre temps, peut-être plus long, j’ai
fini par trouver ce que le mec chargé de mon suivi en détention, m’a
demandé :
─ « Damoclès, familier du tyran de Syracuse, Denys
l’Ancien (IVème s. av. J.C.).
Je me suis arrêté de lire.
De ce qui est entre parenthèses, je n’ai compris que J.C.,
Jacques Chirac.[21]
Je l’ai dit au mec chargé de mon suivi en détention :
─ T’arrêtes de faire le onc[22]
et continues de lire.
« Pour lui faire comprendre combien le bonheur des
rois est fragile, Denys, au cours d’un banquet, fit suspendre au dessus de la
tête de Damoclès, une lourde épée attachée à un crin de cheval ».
─ Chapeau, ou béret, comme tu dis.
Tu vois, quand tu veux, tu peux, ou comme dirait ton copain
J.C. « quand on veute, on peute ».[23]
Tu piges maintenant pourquoi la juge, la rousse, qui n’a
rien à voir avec le dictionnaire, t’a parlé de l’épée de Damoclès ?
C’est pour que tu te mettes bien dans ce qui te sert de
crâne, que t’es mal barré et qu’à la moindre connerie t’en auras encore sur la
gueule.
Et tu sais très bien qu’avec la juge, pas Larousse, c’est
pour de vrai.
Pas parce qu’elle a horreur des jeunes délinquants ou
qu’elle se permet certains écarts bien connus, mais tout simplement parce
qu’elle applique ce que sa position lui permet d’appliquer.
L’État de Droit, tu connais ?
─ Les tas de droits, la miss-ion d’intérêt général, les
pets de dame Oclès, c’est ouf.[24]
Mon rire et le rire du mec chargé de mon suivi en
détention, ces rires qui ont ce jour-là secoué les murs de la Maison d’Arrêt,[25]
sont aujourd’hui dans le livre des records.
Quelques jours plus tard, il s’est passé ceci :
Au parloir, dame Oclès est arrivée pour voir son fils.
Au bout d’un moment, elle a entonné un chant.
Ce chant a été entendu par tous les détenus ainsi que par
les corbeaux et les mouettes, en grand nombre, qui viennent se nourrir de ce
que les prisonniers leur « transmettent » à travers les barreaux.
Des détenus précisent que ces corbeaux et ces mouettes
reprennent en choeur dans le ciel, ce chant inoublié.
BOUAZZA
[1] Selon le calendrier dit grégorien.
[2] Intitulé à l’origine "Les pets de dame
Oclès", puis ʺLa rousseʺ.
[3] Un jeune délinquant.
[4]
Le vin, l’alcool.
[5] Le 93, département de la Seine-Saint-Denis, en région
parisienne.
[6]
Syndicat.
[7]
L’éducatif.
[8]
Immémoriaux.
[9] "Le temps des
cerises", chanson de 1866 considérée comme une chanson "engagée"
concernant le soulèvement populaire dit "Commune de Paris" qui lui,
date de 1871!
Elle a été
reprise par des artistes, toutes tendances confondues, et continue de l’être.
C’est une
"référence" pour la gauche en France.
[10] Propice.
[11] Érotiques.
[12] Les jetons.
[13] Pas la gauloise, l’autre.
[14] Train à Grande Vitesse.
[15] Qui veut dire aussi Interruption Volontaire de
Grossesse (avortement).
[16] Branché.
[17] Connasse.
[18] Loukoum, loukoume (confiserie turque).
[19] Petit
espace toléré, dont le ʺbibliothécaireʺ est un détenu, et les livres offerts
par une bibliothèque municipale, parmi ceux dont elle se débarrasse
périodiquement, pour renouvellement de stock.
[20] Cité.
Des cités des banlieues où sont parquées
des populations issues du processus migratoire, considérées comme des merdes en
France, et où des jeunes expriment leur colère pour protester contre le
traitement qui leur est réservé.
[21] Président de la République à l’époque.
[22] Le con.
[23] Jacques Chirac est connu pour cette manière de
s’exprimer, que des humoristes accentuent.
[24] C’est fou.
[25] La prison.
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