jeudi 12 octobre 2017

« JE VEUX DORMIR AVEC ELLES »


Étalées sur le lit, elles brillaient de mille et une couleurs, fascinantes.
Il ne les quittait pas des yeux, et n’arrêtait pas de les caresser.
Je le revois encore, et sa douce voix emplit l’espace.
Arrivé en France par le biais d’une association qui se charge de faire venir des enfants du Tiers-monde, dont le coeur a besoin de soins.
Il a passé un certain temps avec mon épouse et moi, sa famille d’accueil, dans le cadre des activités de cette association.
Un enfant.
Savez-vous ce qu’est un enfant ?
Il a treize ans, et il est arrivé d’un pays dont les « dirigeants », comme ceux qui sévissent partout dans des pays dits « arabo-musulmans »,[1] et ailleurs, n’hésitent devant aucun crime pour continuer à répandre la débauche, la corruption, la faim, la maladie, l’ignorance, l’exploitation, le pillage, la répression, le mépris, les humiliations, les destructions, les massacres, et autres horreurs.
Des « dirigeants » qui dilapident de quoi soigner et nourrir tous les enfants, tous les adultes, toutes les populations des pays où ils sévissent.
Il était taquin, joueur, sensible, avec une sorte de je ne sais quoi qui le rendait vite attachant.
Un enfant endurant.
Il avait supporté d’être loin de ses parents, de ses amis, de son pays, et autres.
Le fait qu’il ne parlait pas français, ne lui facilitait pas le séjour en France.
Connaissant sa langue, je pouvais donc parler avec lui, et construire une relation qui n’excluait pas mon épouse qui savait lui faire comprendre beaucoup de choses, dans la langue dite de Molière.
Il nous demandait souvent quand est-ce qu’il allait retourner dans son pays.
Nous ne le savions pas, et je lui répondais, invariablement, que la décision appartenait au chirurgien.
Et voilà que pendant son hospitalisation, il s’était mis à nous demander quand est-ce qu’il allait sortir pour être avec nous à la maison.[2]
Á sa sortie de l’hôpital, il était content de retrouver la maison, et tout lui servait à le montrer.
Nous l’étions aussi bien sûr.
Et puis le temps est passé vite, et le moment de son retour parmi les siens est arrivé.
Flots de pensées.
Averses d’images.
Afflux de sensations.
Nous avons fait de notre mieux afin que son séjour parmi nous soit agréable, et pour qu’il en garde un bon souvenir.
Nos deux fils, leurs épouses, leurs enfants, et une de mes soeurs, y ont contribué.
Cela n’excluait pas bien entendu des mises au point, et des rappels de ce que beaucoup d’enfants font semblant « d’oublier » pour, entre autres, écarter la frustration.[3]
Au retour de l’aéroport, j’ai jeté un coup d’oeil au lit sur lequel elles étaient étalées...
Avant son hospitalisation, un de mes fils venu déjeuner avec nous, lui avait remis de l’argent pour qu’il s’achète ce dont il avait envie.
Nous l’avions accompagné dans une grande surface, au rayon des jouets, car il voulait prendre une voiture pour son petit frère de trois ans.
Au bout de quelques minutes, il s’était mis sur les genoux et avait commencé à contempler et à choisir... des sacs de billes en verre !
Oubliée la voiture pour le petit frère.[4]
Il ne voyait plus que les billes, et semblait regretter de ne pas pouvoir les prendre toutes.
Lorsqu’il avait fini de choisir, il avait demandé que nous lui fassions le total de ce qu’il devait payer.
Mon épouse ayant fait le total, je l’ai informé qu’il allait débourser tout ce qu’il avait, à deux euros prés.
Il était content de savoir qu’il avait l’argent nécessaire pour payer tous les sacs de billes choisis.
Une fois à la maison, il avait vidé tous les sacs sur le lit, s’était mis à compter les billes, à les recompter.
Un total de huit cent cinquante.
Il les fixait, et semblait subjugué.
Au bout d’un moment, il s’était allongé sur elles, m’avait regardé, et m’avait dit :
- Je veux dormir avec elles.[5]
  
BOUAZZA



[1] Je suis originaire de l’un de ces pays.
[2] Ce qui ne signifie pas bien sûr qu’il ne pensait pas fortement à retrouver les siens et son pays, mais traduit quelque chose de positif dans la construction, réciproque, d’une relation.
[3] Beaucoup d’adultes n’admettent pas que leurs caprices ne soient pas pris en considération, n’acceptent pas la frustration, et font n’importe quoi.
[4] Nous nous sommes chargés bien sûr de cadeaux pour lui, pour sa mère, pour son père, pour son petit frère, pour sa soeur, et pour son frère.
Des membres de notre famille y ont participé.

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