samedi 19 octobre 2019

BENT LQAADII


Bent lqaadii[1] savait que son apparition était attendue.
Son arrivée sur la terrasse diffusait un parfum qui sentait l’aube de la vie.
La terrasse et la rue se rejoignaient, se mélangeaient, répandaient d’autres mouvements, d’autres images, d’autres couleurs, d’autres sensations.
C’était dans les années soixante[2] à Mknaas,[3] une ville où mon père, magistrat,[4] venait d’être muté, et où je m’y rendais parfois, en quittant l’internat de Lkhmiçaate[5] en fin de semaine, et lors des vacances scolaires.
La maison que nous occupions se trouvait au début de la rue Bugeaud[6] et donnait par derrière dans la rue de la maison qu’occupait un peu plus loin, bent lqaadii avec sa famille.
Les deux maisons, des villas occupées avant nous par des familles françaises,[7] étaient à hmria[8] en ville nouvelle.
À cette époque, les premières années de « l’indépendance dans l’interdépendance »,[9] des gens de l’ancienne ville appelaient ces marocains « nçaaraa[10] jdaad ».[11]
Le frère de bent lqaadii me fréquentait parfois mais pas souvent, car son père tenait peut-être à ce qu’il soit le moins possible dans la rue.
Des années plus tard, je l’ai revu un soir par hasard, très rapidement, dans un commerce à Rbaate,[12]
À l’époque, j’étais étudiant en France.
Il m’avait appris qu’il faisait médecine.  

BOUAZZA



[1] La fille du qadi, cadi; la fille du magistrat.
[2] Selon le calendrier dit grégorien.
[3] Meknès.
[4] Procureur.
[5] Khémisset.
[6] Du nom du militaire, marquis, duc et maréchal (1784-1849) qui s’est distingué dans les massacres sous Napoléon, dans les répressions de révoltes à Paris, et surtout dans les horreurs de l’occupation de l’Algérie où il a été "gouverneur général".
Il disait que le but du colonialisme "est d’empêcher les Arabes de semer, de récolter, de pâturer […] ou de les exterminer jusqu’au dernier".
L’armée colonialiste française chantait "la casquette du père Bugeaud" que certains continuent encore de chanter en refusant d’admettre qu’il était un criminel contre l’humanité, comme d’innombrables autres avant lui, et d’innombrables autres après qui reçoivent des hommages et des prix Nobel de "la paix".
Ce nom a été gardé, comme ceux d’autres criminels.
Par la suite, des noms de criminels ont été donnés à d’autres rues, et cela continue.
[7] Qui occupaient encore de très nombreuses villas, fermes, appartements, et autres à Mknaas et partout au Maroc.
[8] Le "r" roulé.
[9] Statut octroyé par le système colonialo-impérialo-sioniste, et qui s’est traduit dans les colonies par la multiplication des "États" supplétifs, subordonnés avec plus ou moins de zèle, de soumission et de servilité dans l’exécution des ordres des métropoles et autres employeurs.
Ces "États" sont fondés sur l’imposture, le crime, la trahison, la tromperie, la corruption, l’injustice, la perversion, la débauche, le mensonge, le pillage, l’oppression, l’exploitation, le viol, la tyrannie, la torture, l’enfermement, la négation de l’être humain.
Au Maroc, occupé par la France, l’Espagne, et autres, occupation dite ″protectorat″, le système colonialo-impérialo-sioniste a transformé le sultanat moribond, en monarchie héréditaire, dite de "droit divin".
Le sultan, protégé, est alors devenu roi, au service de ce système.
[10] Le "r" roulé.
Pluriel de "nçraani", nazaréen, chrétien, non-musulman, français.
[11] Nouveaux.
Les nouveaux nazaréens, chrétiens, non-musulman, français (parce qu’auparavant, ces demeures étaient réservées aux familles françaises liées au colonialisme).
[12] Le "r" roulé, Rabat.

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