Bent
lqaadii[1] savait
que son apparition était attendue.
Son arrivée
sur la terrasse diffusait un parfum qui sentait l’aube de la vie.
La
terrasse et la rue se rejoignaient, se mélangeaient, répandaient d’autres
mouvements, d’autres images, d’autres couleurs, d’autres sensations.
C’était
dans les années soixante[2] à Mknaas,[3] une
ville où mon père, magistrat,[4] venait
d’être muté, et où je m’y rendais parfois, en quittant l’internat de Lkhmiçaate[5] en fin
de semaine, et lors des vacances scolaires.
La
maison que nous occupions se trouvait au début de la rue Bugeaud[6] et
donnait par derrière dans la rue de la maison qu’occupait un peu plus loin,
bent lqaadii avec sa famille.
Les deux maisons, des villas
occupées avant nous par des familles françaises,[7] étaient
à hmria[8] en ville
nouvelle.
À cette
époque, les premières années de « l’indépendance dans
l’interdépendance »,[9] des gens
de l’ancienne ville appelaient ces marocains « nçaaraa[10]
jdaad ».[11]
Le
frère de bent lqaadii me fréquentait parfois mais pas souvent, car son père tenait
peut-être à ce qu’il soit le moins possible dans la rue.
Des
années plus tard, je l’ai revu un soir par hasard, très rapidement, dans un
commerce à Rbaate,[12]
À
l’époque, j’étais étudiant en France.
Il m’avait
appris qu’il faisait médecine.
BOUAZZA
[1]
La fille du qadi, cadi; la fille du magistrat.
[2]
Selon le calendrier dit grégorien.
[3]
Meknès.
[4]
Procureur.
[5]
Khémisset.
[6] Du nom
du militaire, marquis, duc et maréchal (1784-1849) qui s’est distingué dans les
massacres sous Napoléon, dans les répressions de révoltes à Paris, et surtout
dans les horreurs de l’occupation de l’Algérie où il a été "gouverneur général".
Il
disait que le but du colonialisme "est
d’empêcher les Arabes de semer, de récolter, de pâturer […] ou de les exterminer
jusqu’au dernier".
L’armée
colonialiste française chantait "la
casquette du père Bugeaud" que
certains continuent encore de chanter en refusant d’admettre qu’il était un
criminel contre l’humanité, comme d’innombrables autres avant lui, et d’innombrables
autres après qui reçoivent des hommages et des prix Nobel de "la paix".
Ce
nom a été gardé, comme ceux d’autres criminels.
Par
la suite, des noms de criminels ont été donnés à d’autres rues, et cela
continue.
[7]
Qui occupaient encore de très nombreuses villas, fermes, appartements, et
autres à Mknaas et partout au Maroc.
[9] Statut
octroyé par le système colonialo-impérialo-sioniste, et qui s’est traduit dans
les colonies par la multiplication des "États" supplétifs,
subordonnés avec plus ou moins de zèle, de soumission et de servilité dans
l’exécution des ordres des métropoles et autres employeurs.
Ces
"États" sont fondés sur l’imposture, le crime, la trahison, la
tromperie, la corruption, l’injustice, la perversion, la débauche, le mensonge,
le pillage, l’oppression, l’exploitation, le viol, la tyrannie, la torture,
l’enfermement, la négation de l’être humain.
Au
Maroc, occupé par la France, l’Espagne, et autres, occupation dite
″protectorat″, le système colonialo-impérialo-sioniste a transformé le sultanat
moribond, en monarchie héréditaire, dite de "droit divin".
Le
sultan, protégé, est alors devenu roi, au service de ce système.
Pluriel de "nçraani", nazaréen, chrétien,
non-musulman, français.
[11]
Nouveaux.
Les
nouveaux nazaréens, chrétiens, non-musulman, français (parce qu’auparavant, ces
demeures étaient réservées aux familles françaises liées au colonialisme).
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