mercredi 9 octobre 2019

IMAGE FLOUE D’UNE FEMME QUI COURT


Aussi loin que remontent mes souvenirs, je revois une image floue d’une femme qui court, pour échapper à une menace.
Plus tard, j’ai appris que ça devait être ma mère s’enfuyant avec mon frère cadet dans les bras, afin qu’il ne lui soit pas arraché.
Il n’avait pas encore deux ans, et j’en avais trois.[1]
Flots de pensées.
Averses d’images.
Afflux de sensations.
La mère.
Savez-vous ce qu’est la mère ?
Et qui vous dira jamais ce qu’est la mère ?
Je pense aux ruines de ce qui était son humble habitation paysanne, au lieu, dit ‘Icha[2] Mllouk, à quelques kilomètres de Tiddaas,[3] en région Zmmour,[4] direction de Walmaas,[5] au Mghrib.[6]
Je m’y rendais autrefois, devancé par mon cœur.
L’habitation n’est plus.
Il en sera ainsi de toutes les autres.
Et de tous les êtres ici-bas.
Que dire de ce qui a été ?
Je pense à ce qui servait de cuisine où je lui tenais compagnie pendant qu’elle s’affairait.
J’aimais plus particulièrement la voir pétrir.
Elle faisait un pain qui était toujours partagé.
Ses doigts fins caressaient la pâte avec amour.
En s’occupant du feu, elle ajoutait de temps à autre une branche de bois dans le four en terre cuite, fait par elle-même.
La flamme donnait alors à son regard plus d’éclat et à son visage plus de chaleur.
Quand elle quittait la cuisine, elle se mettait parfois dehors, le soir, face à une colline.
Elle semblait ailleurs.
Les étoiles qui embellissaient le ciel étaient dans ses yeux.
Lorsque nous lui avions été arrachés, elle avait senti qu’elle ne savait plus regarder la lumière.
Elle perdait la chaleur du cœur.
Les feuilles s’étaient étiolées.
Les branches s’étaient affaiblies.
L’arbre était à l’agonie.
Mais il y avait encore la sève.
Et lorsque la sève demeure, les feuilles renaissent, les branches se revitalisent et l’arbre, irrigué, renforce les racines et s’élève vers les cieux.
Elle s’exprimait en regards, en gestes, en silences.
Elle parlait peu.
Quand elle riait, ce qui était très rare, son rire sentait l’aube de la vie.
Le samedi 20 juin 2008,[7] elle a quitté l’existence ici-bas pour celle de l’au-delà.
« Innaa lillaah wa innaa ilayh raaji’oune ».[8]
  
BOUAZZA



[1] Lorsque ma mère a été divorcée par mon père, ce dernier s’était attribué le droit de garder les enfants, mes trois soeurs, mon frère cadet, et moi.
Nous lui avions été arrachés.
[2] Aïcha.
[3] Tiddas, Tedders.
[4] Zemmour (le "r" roulé, comme dans Mghrib).
[5] Walmas, Oulmès, en région Zayaane (Zayane).
[6] Maroc.
[7] Selon le calendrier dit grégorien.
[8] Le ʺrʺ roulé.
ʺNous sommes à Allaah et à Lui nous retournonsʺ.
Alqoraane (Le Coran), sourate 2 (chapitre 2), Albaqara (le ″r″ roulé), La Vache, aayate 156 (verset 156).
Dans sa traduction du Qoraane (le ʺrʺ roulé) Kachriid (le ʺrʺ roulé) note que ʺla formule de consolation citée dans le verset 156, s’appelle ʺistirjaa’eʺ (le ʺrʺ roulé).
Celui qui la prononce avec sincérité et conviction y trouve en effet une réelle consolation dans les moments les plus difficiles.
Quand on se rappelle qu’on est entièrement la propriété d’Allaah et que c’est vers Lui que doit se faire notre retour, comment peut-on être écrasé de chagrin devant la perte des biens éphémères de ce monde ? Quand Allaah nous reprend un être cher ou un bien auquel nous sommes attachés, Allaah n’a fait que récupérer ce qu’il nous a prêté par pure bonté de Sa part et sans aucune contrepartie de la nôtre.
Que pouvons-nous donner à Celui qui possède toute chose en exclusivité totale ?ʺ
Salaah Addiine Kachriid (Salah Eddine Kechrid), traduction du Qoraane (Coran), Loubnaane (Liban), Bayroute (Beyrouth), éditions Daar Algharb Alislaamii, cinquième édition, 1410 (1990), première édition, 1404 (1984).
Note en bas de la page 30.
J’ai parlé plus d’une fois de ma mère.

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