Aussi
loin que remontent mes souvenirs, je revois une image floue d’une femme qui
court, pour échapper à une menace.
Plus
tard, j’ai appris que ça devait être ma mère s’enfuyant avec mon frère cadet
dans les bras, afin qu’il ne lui soit pas arraché.
Il
n’avait pas encore deux ans, et j’en avais trois.[1]
Flots
de pensées.
Averses
d’images.
Afflux
de sensations.
La
mère.
Savez-vous
ce qu’est la mère ?
Et
qui vous dira jamais ce qu’est la mère ?
Je
pense aux ruines de ce qui était son humble habitation paysanne, au lieu, dit
‘Icha[2] Mllouk,
à quelques kilomètres de Tiddaas,[3] en
région Zmmour,[4]
direction de Walmaas,[5] au
Mghrib.[6]
Je
m’y rendais autrefois, devancé par mon cœur.
L’habitation
n’est plus.
Il
en sera ainsi de toutes les autres.
Et
de tous les êtres ici-bas.
Que
dire de ce qui a été ?
Je
pense à ce qui servait de cuisine où je lui tenais compagnie pendant qu’elle s’affairait.
J’aimais
plus particulièrement la voir pétrir.
Elle
faisait un pain qui était toujours partagé.
Ses
doigts fins caressaient la pâte avec amour.
En
s’occupant du feu, elle ajoutait de temps à autre une branche de bois dans le
four en terre cuite, fait par elle-même.
La
flamme donnait alors à son regard plus d’éclat et à son visage plus de chaleur.
Quand
elle quittait la cuisine, elle se mettait parfois dehors, le soir, face à une
colline.
Elle
semblait ailleurs.
Les
étoiles qui embellissaient le ciel étaient dans ses yeux.
Lorsque
nous lui avions été arrachés, elle avait senti qu’elle ne savait plus regarder
la lumière.
Elle
perdait la chaleur du cœur.
Les
feuilles s’étaient étiolées.
Les
branches s’étaient affaiblies.
L’arbre
était à l’agonie.
Mais
il y avait encore la sève.
Et
lorsque la sève demeure, les feuilles renaissent, les branches se revitalisent
et l’arbre, irrigué, renforce les racines et s’élève vers les cieux.
Elle
s’exprimait en regards, en gestes, en silences.
Elle
parlait peu.
Quand
elle riait, ce qui était très rare, son rire sentait l’aube de la vie.
Le
samedi 20 juin 2008,[7] elle a
quitté l’existence ici-bas pour celle de l’au-delà.
« Innaa lillaah wa innaa
ilayh raaji’oune ».[8]
BOUAZZA
[1]
Lorsque ma mère a été divorcée par mon père, ce dernier s’était attribué le
droit de garder les enfants, mes trois soeurs, mon frère cadet, et moi.
Nous lui avions été arrachés.
[2] Aïcha.
[3] Tiddas, Tedders.
[5] Walmas, Oulmès, en région
Zayaane (Zayane).
[6] Maroc.
[7] Selon le calendrier dit
grégorien.
[8] Le ʺrʺ roulé.
ʺNous sommes à Allaah et à Lui nous retournonsʺ.
Alqoraane (Le Coran), sourate 2 (chapitre 2), Albaqara
(le ″r″ roulé), La Vache, aayate 156 (verset 156).
Dans
sa traduction du Qoraane (le ʺrʺ roulé) Kachriid (le ʺrʺ roulé) note que ʺla
formule de consolation citée dans le verset 156, s’appelle ʺistirjaa’eʺ (le ʺrʺ
roulé).
Celui
qui la prononce avec sincérité et conviction y trouve en effet une réelle
consolation dans les moments les plus difficiles.
Quand
on se rappelle qu’on est entièrement la propriété d’Allaah et que c’est vers
Lui que doit se faire notre retour, comment peut-on être écrasé de chagrin
devant la perte des biens éphémères de ce monde ? Quand Allaah nous
reprend un être cher ou un bien auquel nous sommes attachés, Allaah n’a fait
que récupérer ce qu’il nous a prêté par pure bonté de Sa part et sans aucune
contrepartie de la nôtre.
Que
pouvons-nous donner à Celui qui possède toute chose en exclusivité
totale ?ʺ
Salaah
Addiine Kachriid (Salah Eddine Kechrid), traduction du Qoraane (Coran),
Loubnaane (Liban), Bayroute (Beyrouth), éditions Daar Algharb Alislaamii,
cinquième édition, 1410 (1990), première édition, 1404 (1984).
Note
en bas de la page 30.
J’ai
parlé plus d’une fois de ma mère.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire