Vous le connaissez.
J’en ai parlé plus d’une fois.
Il se prénomme ‘abd.[1] Alhaliime.
Le serviteur du Doux.[2]
Nous
étions très jeunes quand je l’ai connu.
Aujourd’hui,
je suis à quelques semaines de mes soixante dix ans.[3]
Et lui à quelques mois de ses
soixante quinze ans.
Flots
de pensées.
Averses
d’images.
Afflux
de sensations.
Il me téléphone et m’écrit parfois.
Dernièrement, après un
échange, j’ai contacté à son sujet mon neveu[4]
installé à ddaar[5] lbidaa[6]
Il le connaît de nom, et a décidé de me faire la
surprise en se rendant à Lkhmiçaate[7]
pour le rencontrer.
« [...] Je l’ai rencontré vers 15 heures,
devant la « boutique » d'Omar. Je suis arrivé trois quart d'heure
avant le RDV exprès pour faire un grand tour dans les ruelles du vieux
Khemisset. Je me suis garé devant l'immeuble où habitaient, jadis, deux de mes tantes,
après leur divorce je crois. Et déjà, en sortant de la voiture, j'ai aperçu un
vieillard grand de taille, entrain de roder près de la boutique. Je me suis dit
« c'est peut-être lui » mais, comme je ne l'avais jamais vu
auparavant, j'ai décidé de l'ignorer le temps de ma ballade que je voulais
faire seul. En flânant dans les rues années 30 de cette ville, images, odeurs
et lumières n'avaient pas changé. Comme si c'était hier. Comme si le temps
s'est arrêté, figé depuis des décennies. Les mêmes vieillards avec leur barbes
années 40 somnolant devant des boutiques improbables, faites de bric et de broc.
Les mêmes charrettes (lkraress) tirées nonchalamment par des mulets mal
nourris, les mêmes odeurs de crottes de cheval sur ces routes ancestrales
délabrées par le temps et les saisons. Et cette lumière, ces arbres, cyprès et
eucalyptus centenaires, ces petites maisons coloniales en pierre et en tuiles
rouges, quasiment à l'abandon.
Vers 15 heures, je rejoins le lieu de notre RDV et
ça n'a pas raté : c'était lui. Visiblement, le bonhomme faisait les cent pas
depuis plus d'une heure devant la boutique. Il m'a dit qu'il m'a reconnu depuis
qu'il m'a vu il y a trois quart d'heure. Je lui ai répondu que j'avais envie de
visiter les vieilles ruelles. Très bavard, il m'a informé que la boutique
d'Omar est souvent fermée même si parfois, le frère[8]
l'ouvrait pour je ne sais quelle raison. Et que ma tante [9] ne
veut pas la lâcher : elle cherche, en effet, à vendre le « pas de
porte »,[10]
dit-il... La boutique, elle, appartient à la tante d'Abdelhalim[11]
qui vit à Salé[12] et que
ça fait des années qu'elle ne perçoit plus le loyer pour des raisons de
commodité (elle n'allait pas faire le déplacement pour 50 dirhams) ».[13]
BOUAZZA
[1] La
première lettre de ‘ abd c’est la lettre ‘ (‘iine) qui n’existe pas dans
l’alphabet français, et non la lettre a (qui n’est donc pas écrite ici en
lettre majuscule).
[2] Le serviteur d’Allaah.
[3] Selon le calendrier dit
grégorien.
[4] Enseignant universitaire, journaliste,
auteur de deux livres sur le roi du Maroc.
Il me rend visite régulièrement lorsqu’il est de
passage en France.
[5] Le ʺrʺ roulé.
[6] Addaar albaydaa-e,
Casablanca.
[7] Khémisset.
Considérée comme la ʺcapitaleʺ de Zmmour (le ʺrʺ
roulé), Zemmour.
[8] Le frère de ‘omar.
[9] Une de mes soeurs, l’épouse
de ‘omar décédé en 2016.
[10] Ssaroute, assaroute (le
ʺrʺ roulé), la clé.
Pratique
répandue au Maroc où le locataire procède à la vente d’assaroute, en violation
des règles qui régissent la location dans un pays où les populations se
réclament de l’Islaam.
‘omar
avait loué cette boutique en 1957.
[11] ‘abd Alhaliime.
[12] Slaa,
salaa, ville séparée de rrbaate, arribaate (Rabat) par waad bou ragrag, oued
bouregreg, ouaad abou raqraaq (les ʺrʺ roulés).
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