samedi 18 janvier 2020

RENCONTRE DEVANT LA BOUTIQUE DE ’OMAR


Vous le connaissez.
J’en ai parlé plus d’une fois.
Il se prénomme ‘abd.[1] Alhaliime.
Le serviteur du Doux.[2]
Nous étions très jeunes quand je l’ai connu.
Aujourd’hui, je suis à quelques semaines de mes soixante dix ans.[3]
Et lui à quelques mois de ses soixante quinze ans.
Flots de pensées.
Averses d’images.
Afflux de sensations.
Il me téléphone et m’écrit parfois.
Dernièrement, après un échange, j’ai contacté à son sujet mon neveu[4] installé à ddaar[5] lbidaa[6]
Il le connaît de nom, et a décidé de me faire la surprise en se rendant à Lkhmiçaate[7] pour le rencontrer.
« [...] Je l’ai rencontré vers 15 heures, devant la « boutique » d'Omar. Je suis arrivé trois quart d'heure avant le RDV exprès pour faire un grand tour dans les ruelles du vieux Khemisset. Je me suis garé devant l'immeuble où habitaient, jadis, deux de mes tantes, après leur divorce je crois. Et déjà, en sortant de la voiture, j'ai aperçu un vieillard grand de taille, entrain de roder près de la boutique. Je me suis dit « c'est peut-être lui » mais, comme je ne l'avais jamais vu auparavant, j'ai décidé de l'ignorer le temps de ma ballade que je voulais faire seul. En flânant dans les rues années 30 de cette ville, images, odeurs et lumières n'avaient pas changé. Comme si c'était hier. Comme si le temps s'est arrêté, figé depuis des décennies. Les mêmes vieillards avec leur barbes années 40 somnolant devant des boutiques improbables, faites de bric et de broc. Les mêmes charrettes (lkraress) tirées nonchalamment par des mulets mal nourris, les mêmes odeurs de crottes de cheval sur ces routes ancestrales délabrées par le temps et les saisons. Et cette lumière, ces arbres, cyprès et eucalyptus centenaires, ces petites maisons coloniales en pierre et en tuiles rouges, quasiment à l'abandon.
Vers 15 heures, je rejoins le lieu de notre RDV et ça n'a pas raté : c'était lui. Visiblement, le bonhomme faisait les cent pas depuis plus d'une heure devant la boutique. Il m'a dit qu'il m'a reconnu depuis qu'il m'a vu il y a trois quart d'heure. Je lui ai répondu que j'avais envie de visiter les vieilles ruelles. Très bavard, il m'a informé que la boutique d'Omar est souvent fermée même si parfois, le frère[8] l'ouvrait pour je ne sais quelle raison. Et que ma tante [9] ne veut pas la lâcher : elle cherche, en effet, à vendre le « pas de porte »,[10] dit-il... La boutique, elle, appartient à la tante d'Abdelhalim[11] qui vit à Salé[12] et que ça fait des années qu'elle ne perçoit plus le loyer pour des raisons de commodité (elle n'allait pas faire le déplacement pour 50 dirhams) ».[13] 

BOUAZZA



[1] La première lettre de ‘ abd c’est la lettre ‘ (‘iine) qui n’existe pas dans l’alphabet français, et non la lettre a (qui n’est donc pas écrite ici en lettre majuscule).
[2] Le serviteur d’Allaah.
[3] Selon le calendrier dit grégorien.
[4] Enseignant universitaire, journaliste, auteur de deux livres sur le roi du Maroc.
Il me rend visite régulièrement lorsqu’il est de passage en France.
[5] Le ʺrʺ roulé.
[6] Addaar albaydaa-e, Casablanca.
[7] Khémisset.
Considérée comme la ʺcapitaleʺ de Zmmour (le ʺrʺ roulé), Zemmour.
[8] Le frère de ‘omar.
[9] Une de mes soeurs, l’épouse de ‘omar décédé en 2016.
[10] Ssaroute, assaroute (le ʺrʺ roulé), la clé.
Pratique répandue au Maroc où le locataire procède à la vente d’assaroute, en violation des règles qui régissent la location dans un pays où les populations se réclament de l’Islaam.
‘omar avait loué cette boutique en 1957.
[11] ‘abd Alhaliime.
[12] Slaa, salaa, ville séparée de rrbaate, arribaate (Rabat) par waad bou ragrag, oued bouregreg, ouaad abou raqraaq (les ʺrʺ roulés).

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