C’était il y a un an.
J’ai
mis sur le « blog » un texte intitulé « Ainsi sont les
jours qu’Allaah répartit entre les êtres », qui parle un peu de
lui, de notre relation.
Je
l’ai connu dans le cadre dit professionnel.[1]
Comme
je l’ai déjà écrit au sujet d’un ami du lycée, « notre rencontre avait ce
« quelque chose » qu’on n’explique pas et qui, instantanément et de
manière forte, scelle et renforce une relation, comme par enchantement ».
Nous nous sommes perdus de vue.
Mes appels téléphoniques
n’aboutissaient plus, et les messages sur internet restaient sans réponse.
Et voilà que je reçois sur ma
« boîte mail », les nouveaux coordonnées de la sienne.
Quelques
échanges et puis plus rien.
Je
n’ai pas cessé de le contacter : pas de réponse.
Puis,
en début de semaine, le signe que j’attendais, après un an de silence, est
arrivé :
« Bon Ramadan et Paix.
Bonjour cher ami,
C’est avec la tête basse et ma
honte (bue) et surtout ta ténacité à me faire sortir du bois qui m’ont poussé à
t’écrire. Je sais qu’en ce mois de pardon et de partage (ramadan oblige), il te
sera difficile de m’en tenir rigueur.
Je vais bien, du moins aussi bien
qu’un homme de mon âge (Alhamoudoulilah). Ma santé me permet de faire ce que je
peux et il est interdit de se plaindre dans mon cas par rapport à ce que vivent
les jeunes.
Mon retrait est dû à une certaine
désillusion sur le temps , sur les hommes. J’ai l’impression que toutes les
valeurs auxquelles je tiens vacillent en ce moment et que ce monde est fait
pour d’autres. Quand on ne maîtrise rien et que tout semble concourir à la
violence, à l’incompréhension et à la haine; est-il possible encore d’être
optimiste et partager l’espace et le temps avec d’autres ? C’est la raison
pour laquelle j’ai décidé de m’exclure volontairement et ne plus être une gêne
pour personne. Je ne suis pas mélancolique ou dépressif mais je deviens un
ermite qui fait le strict minimum pour rester sociable et surtout ne plus faire
parler de lui.
Si je conserve et me contente de
quelques relations sur place, je pense et veux revoir le reste de ma fratrie,
ma grande sœur surtout avant de tirer ma révérence. Ma grande hantise c’est ce
contact et revoir ceux que j’ai quittés il y a bien des années et qui se
battent encore pour survivre dans un pays où haine, violence et racisme ont
pris le dessus. Le Mali n’est plus un pays que pour les suceurs de sang et les
pauvres hères qui ne s’accrochent à une terre brûlante, dévoreuse des âmes où
la religion de l’argent règne en maître. J’espère malgré tout qu’un petit séjour
sur place me permettra de retrouver une sérénité que j’ai perdue.
Ce qui m’amène à parler d’argent.
Je ne puis me plaindre de ce que je gagne mais je n’ai effectivement pas de
marge de manœuvre. Cependant ce n’est pas la raison pour laquelle je me suis
mis au vert. Je n’ai pas de besoin extraordinaire et je peux me passer de bien
des choses et je mange (inch allah) correctement. C’est la marge qui me permet
de prendre de la distance qui me fit défaut : fixation sur mon séjour pour
voir la famille et d’aider mon fils en ce moment difficile pour lui.
Ce message du 28 juin 2016 te donne
une photo de mon état d’esprit.
Je te remercie de ton amitié et
reste très sensible au fait que ça remonte le moral et j’espère que tu
arriveras à croire toujours mon amitié même si je ne réponds pas présent et que
(j’ai) ou je donne l’impression d’une grande négligence. Je ne saurai terminé
ce mot qu’en prenant de tes nouvelles et celles de ton épouse et des enfants
(grands et petits).
Bon et généreux Ramadan.
Amicalement ».
Le
coeur serré, je n’ai pas traîné pour répondre.
« Assalaam ‘alaykom.
Cher S...
Qu’Allaah te récompense mille et
une fois d’avoir enfin décidé de me donner de tes nouvelles : c’est un des
bienfaits que le Créateur, dans Sa miséricorde, ne cesse de me dispenser,
particulièrement en ce fabuleux mois de ramadaane.[2]
Je connais ta sensibilité et
j’imaginais plus ou moins la raison principale de ton silence : la
désillusion.
Moi aussi j’ai connu le parcours
qui y mène.
D’autres également.
Ainsi sont les jours qu’Allaah
répartit entre les êtres.
« Ô être humain !
Qu’est-ce qui t’a trompé au sujet de ton Seigneur, Le Généreux ? »[3]
Cette question me fait pleurer
parfois.
Que répondre ?
Tu le fais un peu, et j’invoque
Allaah pour qu’il nous éclaire et nous guide.
D’innombrables choses, cher S...,
ont été dites, se disent et continueront à se dire sur la thématique des
problèmes, et sur les manières d’appréhender cette thématique.
Les approches, les analyses, et
autres, changent selon les préoccupations, les interrogations, les
orientations, les intérêts et les objectifs de chacun et de chacune.
Nous tombons parfois, pour ne pas
dire souvent, dans des confusions, nous avons du mal à saisir les interactions
et les intrications où se mêlent de nombreuses disciplines, et de multiples
« explications ».
Nous alimentons alors, et nous
entretenons des attitudes qui peuvent entraîner des conduites graves, qui nous
empêchent de faire de notre mieux, afin de saisir le Sens[4] et de renforcer le Lien.[5]
Nous avançons dans l’impermanence
d’ici-bas, pour la permanence de l’au-delà, et les épreuves jalonnent le
chemin.
« Les gens[6] ont-ils pensé qu’on les laisserait dire[7] qu’ils ont cru sans qu’ils ne soient
soumis à l’épreuve[8] ? ».[9]
Nous avons du mal à comprendre, du
mal à discerner.
« ...il se peut que vous ayez
de l’aversion pour une chose alors qu’elle vous est un bien, et il se peut que
vous aimiez une chose alors qu’elle vous est mauvaise. Et Allaah sait alors que
vous ne savez pas ».[10]
Les épreuves se rapportent à tous
les domaines, et sont parfois très dures.
Mais il faut garder l’espoir et ne
pas perdre confiance.
Le Mali[12]
sera ce que Allaah veut qu’il soit.
Ta famille le sait de Source sûre.
Il est bon que tu penses à te
rendre auprès d’elle pour te ressourcer, et retourner à l’Essentiel.
Je suis bien sûr, selon mes
possibilités que tu connais, disposé à t’aider : il ne faut donc pas
hésiter à me le dire.
Encore une fois, merci cher ami, de
m’avoir donné de tes nouvelles qui me transportent et « de joie, mon coeur
s’envole comme un faucon ».[13]
Mon épouse est en forme, et le mois
de ramadaane lui donne encore plus de force dans de multiples domaines.
Elle va bien sûr prendre connaissance
de cet échange, et exprimer sa joie d’avoir de tes nouvelles.
Nos enfants aussi, à qui je vais
transmettre « nos bavardages ».
Les petits enfants ne te
connaissent pas, mais seraient heureux de le faire : il ne faut donc pas
les décevoir, et ne pas hésiter à venir nous rendre visite quand tu veux.
Meilleurs souhaits »
En prenant connaissance de
« nos bavardages », mon fils aîné m’a envoyé ce
« mail » :
Le message de S... « est très
touchant, et m’a beaucoup ému. Qu’Allah le soutienne.
Le temps qui passe est une épreuve
pour nous tous, d’autant plus quand on vit dans une société où le quotidien est
peu aménagé pour nous permettre de garder le contact avec l’Essentiel…
Pour ce qui est des désillusions,
il n’est pas nécessairement mauvais d’en avoir en prenant de l’âge. Cela veut
peut être dire qu’on prend petit à petit plus réellement conscience de
l’Essentiel…
Ceux qui n’en n’auraient pas sont
soient totalement bénis d’Allah (il y en a peu probablement…), soient le
contraire (il y a plus, probablement…).
Je pense que son amertume est
accentuée par la difficulté de vivre seul à son âge, car même si rares sont les
couples et familles « modèles », arriver à garder le lien le plus
fort possible dans la durée jusqu’à ce qu’Allah nous rappelle à Lui est à la
fois une longue épreuve et un infini bienfait…
Dis-lui qu’il est en tout cas
bienvenu chez moi quand et autant qu’il veut ».
Quant à mon épouse, en lisant S...,
elle a tout simplement pleuré.[14]
BOUAZZA
[1] Nous sommes de la même
génération.
Comme moi, jeune
bachelier, il a quitté l’Afrique, lui le Mali et moi le Maroc, la colonie pour
la métropole, afin d’entreprendre des études universitaires, il y a de cela
quelques dizaines d’années.
Et puis il est toujours en
France, à la retraite, comme moi, après du travail de salarié subalterne, que
la métropole sait réserver à ses colonisés bardés de diplômes de ses
universités, colonisés dont les pays d’origine sont ʺindépendantsʺ !
Ils
ont obtenu en effet ʺl’indépendance dans l’interdépendanceʺ, statut octroyé par
le système colonialo-impérialo-sioniste, et qui s’est traduit dans les colonies
par la multiplication des "États" supplétifs, subordonnés avec plus
ou moins de zèle, de soumission et de servilité dans l’exécution des ordres des
métropoles et autres employeurs.
Ces
"États" sont fondés sur l’imposture, le crime, la trahison, la
tromperie, la corruption, l’injustice, la perversion, la débauche, le mensonge,
le pillage, l’oppression, l’exploitation, le viol, la tyrannie, la torture,
l’enfermement, la négation de l’être humain.
Mois de jeûne en Islaam.
Un mois où de l’aube au coucher du soleil, les
personnes saines d’esprit et pubères ne doivent ni manger, ni boire.
Les époux et les épouses ne doivent pas avoir de
rapports sexuels pendant le jeûne.
C’est un mois propice aux efforts pour se ressourcer
afin de s’améliorer, pour essayer de faire de son existence ici-bas, une
existence alimentée par le Message d’Allaah.
Un mois pour continuer, avec plus de force encore, le
parcours dans la Voie d’Allaah.
[3] Yaa ayyohaa alineçaane maa gharraka birabbik
alkariime ?
(Les ″r″ roulés).
Alqoraane (Le
Coran), sourate 82 (chapitre 82), Alinefitaar ((Le ″r″ roulé), La Fissuration,
aayate 6 (verset 6).
[4] Le Sens du Message que le Créateur adresse à chacun
d’entre nous.
[5] Le Lien avec le Créateur.
[6] Annaaçe.
[7] Qu’Allaah les laisserait dire.
[8] Dans sa traduction du Qoraane, Kachriid (le ʺrʺ roulé) note que cette épreuve peut-être
aussi bien par le bien que par le mal. Allaah éprouve ainsi l’homme pour voir
s’il sait le remercier dans le bonheur en respectant Sa loi et en secourant les
pauvres et s’il endure le mal avec patience. C’est en effet dans la joie et
dans la peine que l’homme a tendance à perdre la maîtrise de lui-même et seuls
les vrais croyants gardent leur égalité d’âme quels que soient les événements
extérieurs.
Salaah Addiine
Kachriid (Salah Eddine Kechrid), traduction du Qoraane (Coran),
Loubnaane (Liban), Bayroute (Beyrouth), éditions Daar Algharb Alislaamii,
cinquième édition, 1410 (1990), première édition, 1404 (1984).
Note en bas de la page 520.
[9] Alqoraane (Le Coran), sourate 29 (chapitre 29),
Al’anekaboute, L’Araignée, aayate 2 (verset 2).
[10] Alqoraane (Le Coran), sourate 2 (chapitre 2),
Albaqara (le ʺrʺ roulé), La Vache, aayate 216 (verset 216).
[11] Alqoraane (Le Coran), sourate 2 (chapitre 2),
Albaqara, La Vache, aayate 153 (verset 153).
[12] La soldatesque colonialo-impérialo-sioniste de France
s’y connaît en massacres et destructions, et en extermination des ʺindigènesʺ.
Dotée aujourd’hui de centaines d’avions de guerre des
plus performants, de centaines d’hélicoptères de combat, de drones, de portes
avions et d’une flotte maritime redoutable, d’innombrables chars, de missiles,
d’équipements militaires les plus récents et de tous les armements
sophistiqués, cette soldatesque qui possède des armes nucléaires et un arsenal
atomique, mobilise d’énormes moyens, depuis son intervention armée au Mali en
1913 (selon le calendrier dit grégorien), afin de répandre partout une diarrhée
verbale de gauche avec son ʺchefʺ, le figurant François Hollande, installé sur
le trône du Palais de l’Élysée en mai 2012, en remplacement de son alter ego de
droite, le figurant Nicolas Sarkozy.
Cette diarrhée verbale de gauche, ne diffère en rien
de celle de la droite bien sûr.
Toujours dans le registre de l’imposture, elle cherche
à faire que les massacres et les exterminations visent à ʺdéfendre la paix dans
le monde contre le terrorisme islamisteʺ !
Il n’y a pas si longtemps, c’était pour ʺciviliser les
indigènes et les mettre au niveau de l’humanitéʺ !
[13] Comme un vrai... diraient des personnes que tu
connais, et qui t’aiment bien.
[14] Ces ʺlarmes sont-elles des perles de la pensée, comme
la rosée après une nuit noire : l’ultime de ce qu’un homme a pu ressentir
et penser et que sa plume n’a pas pu traduire en mots ?ʺ.
Driss Chraïbi (Driis chraaïbii), L’Homme du Livre,
Balland-Eddif (Eddif, Maroc, 1994, Balland, France, 1995), p. 85.
Écrivain d’origine d’Afrique (Maroc) arrivé en France
en 1945 pour entreprendre des études universitaires.
Sa formation universitaire ne lui a pas servi à faire
une carrière professionnelle.
À S... et à moi non plus.
Il est resté dans ce pays et y a vécu jusqu’à la fin
de son existence ici-bas survenue le premier avril 2007 à l’âge de 81 ans.
Il a beaucoup écrit pour dire sa préoccupation de
retrouver le pays de l’enfance.
Il était dans la Drôme lorsqu’il a rejoint l’au-delà.
Son corps a été ramené au Maroc et enterré à
Casablanca, où son père est également enterré.
Voir :
http://deshommesetdesfemmes.blogspot.com
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