lundi 9 novembre 2015

LORSQU’IL M’ARRIVE DE CUISINER


Lorsqu’il m’arrive de cuisiner, et que je prépare un couscous[1] par exemple, c’est plus que préparer quelque chose à manger.[2]
Je suis comme en communication avec la semoule fine dès que je commence à la caresser en la répartissant dans un grand plat.
Les sons et les images qui me parviennent sentent l’aube de la vie.
J’arrose, avec douceur, la semoule d’eau chaude dans laquelle j’ai pris le soin d’ajouter du sel auparavant.
Je mélange avec une cuillère en bois, puis avec les mains lorsque les mains se plaisent dans la chaleur.
Travail patient pour que les grains soient bien détachés.
Se peut-il que ces grains soient plus précieux que des perles ?
Gestes délicats.
Mes doigts s’enfoncent dans la semoule tiède.
Des sensations multiples.
Des pensées se bousculent au rythme des battements de mon cœur.
Par une sorte d’alchimie, les ondulations de la semoule offrent une fabuleuse fresque avec des signaux immémoriaux : un ruissellement de bien-être, une miséricorde.
Je mets la semoule dans la partie supérieure de la couscoussière qui fait « passoire », dans laquelle la semoule reçoit, pour la cuisson, la vapeur qui monte de la partie basse de la couscoussière, la marmite dans laquelle cuisent la viande et les légumes.[3]
Au bout d’une trentaine de minutes de cuisson, la semoule est répartie de nouveau dans le plat.
Je la rafraîchis d’un bon verre d’eau pour faire gonfler encore les grains et mieux les détacher. Je prends tout mon temps pour mélanger.
L’opération est renouvelée une deuxième fois, en y ajoutant du beurre ou du « smne ».[4]
La viande et les légumes qui cuisent dans la marmite ont eu, bien entendu, à subir mon intervention.
La viande,[5] une fois nettoyée comme il se doit, est coupée en morceaux, mise dans la partie basse de la couscoussière avec des oignons émincés, du persil, de la coriandre,[6] hachés, du safran, du poivre, du sel, de l’huile d’olive en quantité suffisante pour avoir une sauce onctueuse à l’arrivée.
Je laisse revenir.
Je verse de l’eau.
La quantité nécessaire.
J’ajoute des tomates coupées en morceaux, des carottes, des navets.
Je laisse cuire, en même temps que les grains de semoule.
Doucement.
Tranquillement.
Toute une vie s’il le faut.
Un peu avant la cuisson, j’ajoute des morceaux de citrouille lavés, coupés, sans enlever la peau, et des fèves fraîches.[7]
Lorsque c’est cuit, j’adjoins au tout le contenu d’une boîte de pois chiches déjà prêts.
Pour servir, je répartis la semoule dans un plat profond.
La viande, les légumes et la sauce par dessus.
Une merveille.
Au moment de manger et de partager ce délice, je fais de mon mieux afin de ne pas oublier d’être reconnaissant pour les infinis bienfaits qui me sont offerts par Allaah, et d’avoir une pensée pour des personnes qui ont transmis, qui transmettent, qui transmettront les saveurs de l’amour dans les plats, des personnes sans lesquelles les « recettes de cuisine » ne valent rien.[8]




[1] Tt’aame, atta’aame ( nourriture), ksksou (appelation courante au Maroc).
[2] Cuisiner, ce n’est pas seulement préparer un mets.
C’est observer, réfléchir, se remémorer, cultiver des sensations, transmettre, partager, offrir, témoigner sa reconnaissance au Seigneur des univers, Rabb al’aalamiine (le ʺrʺ roulé).
C’est un parcours à travers le temps et l’espace.
Un contact avec des êtres, des sons, des images, des couleurs, des parfums, des goûts, et autres.
[3] Dans cette marmite, on peut mettre seulement de l’eau lorsque la viande et les légumes sont mis dans une cocotte-minute pour ʺgagner du tempsʺ.
[4] Beurre salé et conservé pendant des mois, voire des années.
[5] Poulet de campagne, agneau ou boeuf.
[6] Qzbour (le ʺrʺ roulé).
[7] Ou congelés.

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