Lorsqu’il
m’arrive de cuisiner, et que je prépare un couscous[1] par
exemple, c’est plus que préparer quelque chose à manger.[2]
Je
suis comme en communication avec la semoule fine dès que je commence à la
caresser en la répartissant dans un grand plat.
Les
sons et les images qui me parviennent sentent l’aube de la vie.
J’arrose,
avec douceur, la semoule d’eau chaude dans laquelle j’ai pris le soin d’ajouter
du sel auparavant.
Je
mélange avec une cuillère en bois, puis avec les mains lorsque les mains se
plaisent dans la chaleur.
Travail
patient pour que les grains soient bien détachés.
Se
peut-il que ces grains soient plus précieux que des perles ?
Gestes
délicats.
Mes
doigts s’enfoncent dans la semoule tiède.
Des
sensations multiples.
Des
pensées se bousculent au rythme des battements de mon cœur.
Par
une sorte d’alchimie, les ondulations de la semoule offrent une fabuleuse
fresque avec des signaux immémoriaux : un ruissellement de bien-être, une miséricorde.
Je
mets la semoule dans la partie supérieure de la couscoussière qui fait
« passoire », dans laquelle la semoule reçoit, pour la cuisson, la
vapeur qui monte de la partie basse de la couscoussière, la marmite dans
laquelle cuisent la viande et les légumes.[3]
Au
bout d’une trentaine de minutes de cuisson, la semoule est répartie de nouveau
dans le plat.
Je
la rafraîchis d’un bon verre d’eau pour faire gonfler encore les grains et
mieux les détacher. Je prends tout mon temps pour mélanger.
L’opération
est renouvelée une deuxième fois, en y ajoutant du beurre ou du
« smne ».[4]
La
viande et les légumes qui cuisent dans la marmite ont eu, bien entendu, à subir
mon intervention.
La
viande,[5] une
fois nettoyée comme il se doit, est coupée en morceaux, mise dans la partie
basse de la couscoussière avec des oignons émincés, du persil, de la coriandre,[6]
hachés, du safran, du poivre, du sel, de l’huile d’olive en quantité suffisante
pour avoir une sauce onctueuse à l’arrivée.
Je
laisse revenir.
Je
verse de l’eau.
La
quantité nécessaire.
J’ajoute
des tomates coupées en morceaux, des carottes, des navets.
Je
laisse cuire, en même temps que les grains de semoule.
Doucement.
Tranquillement.
Toute
une vie s’il le faut.
Un
peu avant la cuisson, j’ajoute des morceaux de citrouille lavés, coupés, sans
enlever la peau, et des fèves fraîches.[7]
Lorsque
c’est cuit, j’adjoins au tout le contenu d’une boîte de pois chiches déjà
prêts.
Pour
servir, je répartis la semoule dans un plat profond.
La
viande, les légumes et la sauce par dessus.
Une
merveille.
Au
moment de manger et de partager ce délice, je fais de mon mieux afin de ne pas
oublier d’être reconnaissant pour les infinis bienfaits qui me sont offerts par
Allaah, et d’avoir une pensée pour des personnes qui ont transmis, qui
transmettent, qui transmettront les saveurs de l’amour dans les plats, des
personnes sans lesquelles les « recettes de cuisine » ne valent rien.[8]
[1] Tt’aame, atta’aame (
nourriture), ksksou (appelation courante au Maroc).
[2] Cuisiner, ce n’est pas seulement préparer un mets.
C’est observer, réfléchir, se remémorer, cultiver des
sensations, transmettre, partager, offrir, témoigner sa reconnaissance au
Seigneur des univers, Rabb al’aalamiine (le ʺrʺ roulé).
C’est un parcours à travers le temps et l’espace.
Un contact avec des êtres, des sons, des images, des
couleurs, des parfums, des goûts, et autres.
[3] Dans cette marmite, on peut mettre seulement de l’eau
lorsque la viande et les légumes sont mis dans une cocotte-minute pour ʺgagner
du tempsʺ.
[4] Beurre salé et conservé pendant des mois, voire des
années.
[5] Poulet de campagne, agneau
ou boeuf.
[6] Qzbour (le ʺrʺ roulé).
[7] Ou congelés.
[8] Je ne
fais que reprendre ce dont j’ai déjà parlé.
Voir :
http://deshommesetdesfemmes.blogspot.com
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