Je
dormais au rez-de-chaussée au salon, devenu mon « refuge » depuis le
plâtrage de mon pied,[1] lorsque
j’ai été réveillé par mon épouse qui venait d’être informée du décès de l’un de
mes frères,[2]
survenu avant l’aube du dimanche 30 octobre 2016.[3]
« Nous
sommes à Allaah et à Lui nous retournons ».[4]
Il
est mort dans une « clinique » où il avait été hospitalisé en
urgence.
Il
avait dix ans de moins que moi.
Flots
de pensées.
Averses
d’images.
Afflux
de sensations.
Un
jour,[5] c’était
Le samedi 17 avril 2010,[6] j’avais
appris par un appel téléphonique qu’il avait fait un infarctus, et qu’il était
hospitalisé.
Une
de mes sœurs, domiciliée à Ddaar[7] lbida,[8] avait
fait des démarches afin qu’il soit envoyé en France où il avait résidé pendant plusieurs
années.[9]
Les
« médecins » de la « clinique » où il était hospitalisé au
Maroc ne lui avaient prodigué aucun soin, et s’activaient, comme c’est souvent
le cas, pour le plumer avant son transfert en France, ou avant son décès.[10]
Lorsqu’il
était arrivé en France, une de mes sœurs, installée en région parisienne, a
fait tout ce qu’il fallait pour son accueil et son hospitalisation.
Ce
frère avait dix ans lorsque j’avais quitté le Maroc, pour des études
universitaires en France.[11]
Et jusqu’au
baccalauréat, j’avais passé de longues périodes à l’internat.
C’est
dire que je le connaissais à peine.
Je
suis retourné au Maroc en 1977, et je ne me rappelle pas l’avoir revu.
Beaucoup
plus tard, j’avais appris qu’à quinze ans, il avait quitté le pays, et qu’il
avait galéré en Espagne où il avait été emprisonné pendant une longue période,
pour des raisons que j’ignore.
Il
était revenu quelques mois au Maroc avant de partir pour l’Asie à dix sept ans,
l’année où j’étais retourné au pays.
Au
bout de quatre ans, j’avais décidé de quitter le Maroc et de retourner en
France avec mon épouse et nos deux fils.
Ce
frère y était, mais les contacts n’avaient pas eu lieu.
Et
le temps était passé.
Alternance
des jours et des nuits.
Notre
père et ma mère avaient quitté l’existence ici-bas.[12]
J’avais
voulu faire un pas[13] vers
des frères et des sœurs, en « renouant » des contacts, en dépit de
certains blocages.
Peu
de temps après sa sortie de l’hôpital, il avait tenu à venir à la maison[14] pour
préparer un dîner, et avait insisté afin que personne ne l’aide.
Le
jour convenu, il était arrivé avec tout ce dont il avait besoin, et avait l’air
content de cuisiner, comme il l’avait de nous voir manger avec appétit, ce
qu’il avait préparé.
Quelques jours plus tard, le
vendredi 21 mai 2010, un peu avant 18 heures, mon épouse a reçu un appel
téléphonique de ma sœur installée en région parisienne, l’informant que ce
frère venait de faire un malaise.
Lorsque nous sommes arrivés sur
les lieux, les secours y étaient encore : des pompiers et une équipe du
SMUR.[15]
Une dizaine de personnes à qui
il ne fallait surtout pas poser de questions.[16]
Nous avons pu apprendre
toutefois que mon frère était conscient, mais nous ne pouvions pas le voir.
Nous avons été obligés de
rester sur le trottoir, devant l’hôtel où il avait une chambre.
Au bout de plus d’une heure, il
a été sorti sur un brancard, et m’a tout de suite demandé de ne pas téléphoner
à sa mère.[17]
Le médecin a fini par nous
faire savoir qu’il soupçonnait un AVC[18] et que
le malade allait être ramené à l’hôpital où il était quelques jours auparavant.
Un moment plus tard, nous nous
sommes présentés au service des urgences qui nous a envoyé au service de
réanimation.
Il nous a été dit que le malade
était dans un autre service pour un scanner.[19]
Il fallait rester dans la salle
d’attente jusqu’à ce qu’« on » vienne nous chercher.
Sans nouvelles, nous nous
manifestions de temps à autre pour nous entendre dire plusieurs fois que le
scanner n’était pas encore fait.
Fatigués d’attendre, nous
avions décidé de chercher où il était exactement, et nous avions fini par le
trouver dans un couloir[20] comme
plusieurs autres personnes ramenées au service des urgences.
Et nous avions fini par savoir
qu’« on » lui avait fait l’IRM[21] et
qu’il ne s’agissait pas d’AVC, mais d’une grande fatigue.
En me voyant, il m’avait
annoncé que ce n’était pas encore l’heure.[22]
Je lui avais alors demandé de témoigner
sa reconnaissance à Allaah.
En le regardant, je n’arrivais
pas à savoir ce qu’il sentait profondément.
D’ailleurs, je ne peux pas
savoir ce quelqu’un sent profondément.
Seul Allaah connaît l’intimité
des cœurs.[23]
Je l’invoque pour qu’Il me
pardonne si je n’arrive pas toujours à faire de mon mieux pour agir convenablement
dans Sa Voie.
Lorsque nous l’avions quitté,
il était presque vingt deux heures.
Dans
son profond égarement, dans sa longue errance,[24] ce
frère, m’avait-on dit, lisait Alqoraane.
Pendant
son hospitalisation, je lui avais rendu visite, et il m’avait alors fait savoir
qu’il lui arrivait de contempler profondément la nature, de se mettre à
l’écoute, de méditer, de réciter des passages d’Alqoraane, de faire des
invocations, de penser fort à Allaah.
Je lui avait un peu parlé de l’accomplissement
de la prière.[25]
Nous nous sommes revus
plusieurs fois durant cette deuxième hospitalisation.
Je
lui avais apporté un livre ayant trait à la vie de Mohammad, l’ultime Prophète
et Messager sur lui la bénédiction et la paix.
Il m’avait beaucoup parlé.
Pas de lui, mais de certains
épisodes concernant notre père,[26] et du
moment[27] où celui-ci
a rejoint l’au-delà.
Peu de temps après
l’hospitalisation, il m’avait appelé pour me demander un numéro de téléphone.
En l’interrogeant, j’avais
appris qu’il repartait pour le Maroc.
Je ne l’avais plus revu.
Durant sa dernière
hospitalisation au Maroc qui a duré peut-être quarante huit heures, ou un peu
plus, les « médecins » n’ont pas fait grand-chose, mais la
« clinique » ne s’est pas gênée pour présenter à des membres de la
famille une facture de quelques dizaines de milliers de dirhams.
l’enterrement a eu lieu le mardi
1er novembre 2016,[28] dans le
même cimetière où notre père est enterré,[29]
Ce frère était viscéralement
attaché à sa mère.[30]
BOUAZZA
[1]
Suite à une fracture du péroné.
[2] Un des
huit enfants, cinq garçons et trois filles, du troisième mariage de mon père.
De son premier mariage, mon père a eu mon frère aîné
et ma soeur décédée en 1970.
Il a eu trois
filles et deux garçons avec ma mère, sa deuxième épouse.
Avec une autre femme, il a eu un garçon.
Et d’un dernier mariage, il a eu une fille et un garçon.
[3]
Selon le calendrier dit grégorien.
[4] Alqoraane (Le Coran), sourate2 (chapitre 2), Albaqara
(le ″r″ roulé), La Vache, aayate 156 (verset 156).
Dans
sa traduction du Qoraane (le ʺrʺ roulé) Kachriid (le ʺrʺ roulé) note que ʺla formule de consolation citée
dans le verset 156, s’appelle ʺistirjaa’eʺ (le ʺrʺ roulé).
Celui
qui la prononce avec sincérité et conviction y trouve en effet une réelle
consolation dans les moments les plus difficiles.
Quand
on se rappelle qu’on est entièrement la propriété d’Allaah et que c’est vers
Lui que doit se faire notre retour, comment peut-on être écrasé de chagrin
devant la perte des biens éphémères de ce monde ? Quand Allaah nous
reprend un être cher ou un bien auquel nous sommes attachés, Allaah n’a fait
que récupérer ce qu’il nous a prêté par pure bonté de Sa part et sans aucune
contrepartie de la nôtre.
Que
pouvons-nous donner à Celui qui possède toute chose en exclusivité
totale ?ʺ
Salaah
Addiine Kachriid (Salah Eddine Kechrid), traduction du Qoraane (Coran),
Loubnaane (Liban), Bayroute (Beyrouth), éditions Daar Algharb Alislaamii,
cinquième édition, 1410 (1990), première édition, 1404 (1984).
Note
en bas de la page 30.
[5]
Je ne fais que reprendre ce dont j’ai déjà parlé.
[6]
Selon le calendrier dit grégorien.
[7]
Le ʺrʺ roulé.
[8]
La Maison Blanche, Casablanca.
[9] Il avait
déjà été hospitalisé pour de graves problèmes du cœur et autres et avait depuis
de nombreuses années un lourd traitement à suivre.
[10]
La ligne directrice étant dans beaucoup de cas, de soutirer le maximum avant le
décès du malade.
C’est
un principe assez ancré dans le pays de ʺl’indépendance dans
l’interdépendanceʺ.
Un
pays dit ʺmusulmanʺ, où dans plusieurs
domaines, les populations sont soumises à l’exploitation la plus éhontée, et où
il n’est pas rare que le fils et la fille dépouillent leurs parents.
[11]
Je n’avais pas encore vingt ans.
[12]
Le samedi 28 juin et le samedi 04 octobre 2008.
[13]
Sans cautionner ce qui ne doit pas l’être.
[14]
Il occupait une chambre dans un petit hôtel dans la commune voisine de celle où
je suis installé.
[15]
Service Mobile d’Urgence et de Réanimation.
[16]
Informer les membres de la famille les gêne dans l’accomplissement de leur
tâche.
[17]
Pour ne pas l’affoler.
[18]
Accident Vasculaire Cérébral.
Un de mes frères âgé aujourd’hui de plus de
56 ans (le fils aîné de ma belle-mère), en a fait un au mois de juin 2009 qui,
heureusement, n’a pas laissé de séquelles.
[19] Dit
aussi tomodensitométrie et qui permet de détecter des anomalies que la
radiographie classique ou l’échographie ne permettent pas de détecter.
[20]
Parce qu’il n’y avait pas de lit disponible.
[21]
Imagerie par Résonance Magnétique.
[22] De la
fin de sa route ici-bas.
[23] ″Allaah ne pardonne pas qu’on Lui
associe quoi que ce soit et pardonne le reste à qui Il veut″.
Alqoraane (Le Coran), sourate 4 (chapitre 4),
Anniçaa-e, Les Femmes, aayate 48 (verset 48).
[24]
D’autres mots et expressions de la même famille, peuvent être utilisés bien
sûr.
[25]
J’invoque Allaah pour qu’Il pardonne mes manquements dans ce domaine, et dans
d’autres.
[26] Pendant
les quelques années passées au Maroc après des études universitaires en France,
j’avais décidé à un moment d’effectuer le stage d’avocat dans le cabinet ouvert
par mon père à Lkhmiçaate (Khemisset) à la fin de son parcours de magistrat.
J’ai
voulu peut-être ʺrattraper le temps perduʺ, essayer de construire ce qui n’a
pas été construit.
[27]
Un moment où il était présent.
[28]
1er safar1438 (le ʺrʺ roulé).
[29]
Tmara (le ʺrʺ roulé), Témara, dans les environs de Rabat.
J’ai repris beaucoup de ce dont j’ai déjà parlé.
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