Elle
était en confinement depuis le mois de mars 2020,[1] en
raison de l’épidémie du coronavirus.[2]
Comme
le reste de la population, elle devait rester chez elle.
Si
elle voulait quitter son domicile, elle devait avoir une justification.
Chez
elle, elle utilisait beaucoup une petite pièce.
Mais
c’est incroyable ce qu’elle est spacieuse.
Dans
cet espace réduit, les souvenirs qui jaillissent ne sont jamais à l’étroit.
La
petite pièce peut en accueillir à l’infini.
Maintenant c’est le déconfinement.
Elle
marche à petits pas vers le fleuve.[3]
Le
fleuve coule.
Elle
le fixe, et semble échanger avec ceux et celles qui y ont été jetés, qui
continuent de marcher sur l’eau.
Le
ciel et le fleuve se rejoignent, se confondent, font jaillir d’autres images,
d’autres couleurs, d’autres formes, d’autres sons.
Un
sac à la main avec des morceaux de pain, elle tenait à commencer par nourrir
des pigeons.
Elle
a toujours aimé nourrir les pigeons.
Les
pigeons l’entourent et au bout d’un moment, partent dans un envol majestueux et
reviennent tournoyer au dessus de sa tête.
Elle
sait d’où elle vient, et où elle va.
Parmi
les personnes assises non loin d’elle, « [...] un homme se leva. [...]. Et
il chanta. […].
C’était
la fin de nos maux et de nos pauvres petits problèmes, la nostalgie douloureuse
et sereine à la fois de cette autre vie qui était la nôtre et vers laquelle
nous étions destinés à retourner tous, vainqueurs et vaincus, accomplis ou à
l’état larvaire, fidèles et athées, de par la Toute-Miséricorde de Dieu.
C’était cela qu’il y avait dans la voix de cet homme qui chantait[4]. [...].
Quand il arrivait à la fin d’un verset, il marquait une pause – et cela était
ainsi : une explosion de ferveur. Et, tant qu’il chantait, c’était
ainsi : un désert où un homme chantait sa foi. Et la voix modulait,
montait, changeait de registre, devenait tragique, devenait un élan, puis
tombait sur nos têtes comme un vol de mouette, légère et paisible, presque un
souffle. [...]. La paix, la vérité de toujours étaient en lui, dans sa voix –
alors que tout croulait autour de lui et sur les continents ».[5]
BOU’AZZA
[1] Selon le calendrier dit
grégorien.
[2] Covid 19.
[3] La seine, où furent jetés le 17 octobre 1961, lors
d’une manifestation de travailleurs originaires d’Afrique, contre le colonialisme
français, des hommes, des femmes, des résistants traités de bougnoules, de
sales arabes, de terroristes musulmans.
Elle n’oublie pas : sa mémoire remonte à l’aube
de la vie.
S’agissant du système coloniali-impérialo-sioniste, elle
connaît ses agressions, ses crimes, ses horreurs, ses carnages, ses orgies
exterminatrices, ses massacres, ses destructions, ses démolitions, ses
pratiques mensongères, sa haine, son
arrogance, ses campagnes de dénigrement, ses insultes, ses vexations,
ses humiliations, ses manipulations, ses tromperies, ses attaques, ses recours
au faux, son attachement à l’imposture.
[5] Driss Chraïbi, Succession ouverte, Paris, Denoël, 1962,
p. 78, 79, 80.
Idriis Achchraaybii (les ʺrʺ roulé) est un écrivain
originaire d’Afrique.
Il est arrivé en France en 1945 pour des études
universitaires.
Il n’avait pas encore vingt ans.
Il s’est installé dans ce pays et y a vécu jusqu’à la
fin de son existence ici-bas survenue le premier avril 2007 à l’âge de 81 ans.
Il était dans la Drôme (Crest) lorsqu’il a rejoint la
vie dernière.
Son corps a été ramené au Maroc pour y être enterré.
Dans ses écrits, il a souvent exprimé une sorte de
nostalgie de l’enfance, et appelé à se souvenir de Demain, du rythme des
couleurs originelles, de ce que nous recevons en offrande avant même que nous
soyons ici-bas.
Il avait dit :
ʺL’homme naît, vit ce qu’il vit et meurt. Il faut être
prêt pour la mort comme pour la naissanceʺ.
Mon texte, daté de 2004 selon le calendrier dit
grégorien, aujourd’hui adapté, s’appuie sur des écrits antérieurs.
Voir :
http://deshommesetdesfemmes.blogspot.com
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