lundi 11 mai 2020

DÉCONFINEMENT


Elle était en confinement depuis le mois de mars 2020,[1] en raison de l’épidémie du coronavirus.[2]
Comme le reste de la population, elle devait rester chez elle.
Si elle voulait quitter son domicile, elle devait avoir une justification.
Chez elle, elle utilisait beaucoup une petite pièce.
Mais c’est incroyable ce qu’elle est spacieuse.
Dans cet espace réduit, les souvenirs qui jaillissent ne sont jamais à l’étroit.
La petite pièce peut en accueillir à l’infini.
Maintenant c’est le déconfinement.
Elle marche à petits pas vers le fleuve.[3]
Le fleuve coule.
Elle le fixe, et semble échanger avec ceux et celles qui y ont été jetés, qui continuent de marcher sur l’eau.
Le ciel et le fleuve se rejoignent, se confondent, font jaillir d’autres images, d’autres couleurs, d’autres formes, d’autres sons.
Un sac à la main avec des morceaux de pain, elle tenait à commencer par nourrir des pigeons.
Elle a toujours aimé nourrir les pigeons.
Les pigeons l’entourent et au bout d’un moment, partent dans un envol majestueux et reviennent tournoyer au dessus de sa tête.
Elle sait d’où elle vient, et où elle va.
Parmi les personnes assises non loin d’elle, « [...] un homme se leva. [...]. Et il chanta. […].
C’était la fin de nos maux et de nos pauvres petits problèmes, la nostalgie douloureuse et sereine à la fois de cette autre vie qui était la nôtre et vers laquelle nous étions destinés à retourner tous, vainqueurs et vaincus, accomplis ou à l’état larvaire, fidèles et athées, de par la Toute-Miséricorde de Dieu. C’était cela qu’il y avait dans la voix de cet homme qui chantait[4]. [...]. Quand il arrivait à la fin d’un verset, il marquait une pause – et cela était ainsi : une explosion de ferveur. Et, tant qu’il chantait, c’était ainsi : un désert où un homme chantait sa foi. Et la voix modulait, montait, changeait de registre, devenait tragique, devenait un élan, puis tombait sur nos têtes comme un vol de mouette, légère et paisible, presque un souffle. [...]. La paix, la vérité de toujours étaient en lui, dans sa voix – alors que tout croulait autour de lui et sur les continents ».[5] 

BOU’AZZA



[1] Selon le calendrier dit grégorien.
[2] Covid 19.
[3] La seine, où furent jetés le 17 octobre 1961, lors d’une manifestation de travailleurs originaires d’Afrique, contre le colonialisme français, des hommes, des femmes, des résistants traités de bougnoules, de sales arabes, de terroristes musulmans.
Elle n’oublie pas : sa mémoire remonte à l’aube de la vie.
S’agissant du système coloniali-impérialo-sioniste, elle connaît ses agressions, ses crimes, ses horreurs, ses carnages, ses orgies exterminatrices, ses massacres, ses destructions, ses démolitions, ses pratiques mensongères, sa haine, son  arrogance, ses campagnes de dénigrement, ses insultes, ses vexations, ses humiliations, ses manipulations, ses tromperies, ses attaques, ses recours au faux, son attachement à l’imposture.
[4] Réciter, lire Alqoraane (Le Coran), fait parfois dire ou écrire en français, "chanter".
[5] Driss Chraïbi, Succession ouverte, Paris, Denoël, 1962, p. 78, 79, 80.
Idriis Achchraaybii (les ʺrʺ roulé) est un écrivain originaire d’Afrique.
Il est arrivé en France en 1945 pour des études universitaires.
Il n’avait pas encore vingt ans.
Il s’est installé dans ce pays et y a vécu jusqu’à la fin de son existence ici-bas survenue le premier avril 2007 à l’âge de 81 ans.
Il était dans la Drôme (Crest) lorsqu’il a rejoint la vie dernière.
Son corps a été ramené au Maroc pour y être enterré.
Dans ses écrits, il a souvent exprimé une sorte de nostalgie de l’enfance, et appelé à se souvenir de Demain, du rythme des couleurs originelles, de ce que nous recevons en offrande avant même que nous soyons ici-bas.
Il avait dit :
ʺL’homme naît, vit ce qu’il vit et meurt. Il faut être prêt pour la mort comme pour la naissanceʺ.
Mon  texte, daté de 2004 selon le calendrier dit grégorien, aujourd’hui adapté, s’appuie sur des écrits antérieurs.
Voir :
http://deshommesetdesfemmes.blogspot.com

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire