mercredi 13 septembre 2023

MOUNNOU


Il s’appelait Mohammad, mais tout le monde l’appelait Mounnou.
Mon père l’appelait Mono.
C’était le frère de ma belle-mère, la troisième épouse de mon père qui avait remplacé ma mère, divorcée, lorsque j’avais à peine trois ans.
À la mort du père de Mounnou, sa mère avait la charge d’élever cinq enfants : deux garçons et trois filles.
Elle avait obtenu un emploi chez une famille de colonialistes Français à Rbaate,[1] au Mghrib[2] qui la faisaient bénéficier d’un logement dans une dépendance.
Au contact des enfants de cette famille, Monnou, son frère et ses avaient été scolarisés, parlaient le français, et s’habillaient comme des français.
Mon père était employé dans l’administration sous contrôle du colonialisme Français.
Il venait de quitter la région de khniifra,[3],]en pays Zayaane,[4] dans le Moyen Atlas, pour Tagziirte.[5]
Il voyageait souvent, avait beaucoup de contacts, sentait qu’en ce début des années cinquante, les choses pouvaient changer.
Il se voulait moderne, en mesure de saisir les occasions par rapport à ce qui s’annonçait.
Il avait pressenti qu’il allait avoir d’importantes opportunités.
En voyant ma future belle-mère, la soeur de Monnou, une jeune fille de seize ou dix-sept ans, à Rbaate, mon père, coureur de jupons[6] comme dirait l’autre, avait certainement senti, dès les premières approches, qu’il ne pouvait pas aller plus loin en dehors du mariage.
Alors, pour l’avenir se disait-il, c’est peut-être l’épouse qu’il lui fallait.
Il avait la trentaine, était bel homme, ne manquait pas d’argent, possédait une voiture,[7]  faisait des projets.
Il avait fait croire à la jeune fille qu’il était célibataire et qu’elle était l’élue de son cœur.
Tout était allé très vite et le mariage avait été conclu.
C’était avant l’indépendance dans l’interdépendance[8] qui a été annoncée en 1956.[9]
Monnou venait à la maison et passait parfois avec nous de longues périodes.
Mon frère cadet et moi lui étions très attachés et il nous aimait beaucoup.
Il lui arrivait de s’engueuler avec sa soeur lorsqu’il estimait son comportement déplacé, et nous soutenait.
Lorsqu’il avait besoin de travailler, il venait à la maison et mon père lui trouvait immédiatement un emploi, mais il ne le gardait pas longtemps car il ne supportait pas les liens de subordination.
Il nous relatait beaucoup d’événements, avait l’art de nous raconter des histoires, de nous faire rêver, et nous étions joyeux en sa compagnie.
Il avait un sens aigu de la justice.
Avec mon frère cadet, ils avaient des liens très forts.
Après mon départ pour la France, j’ai eu très peu d’informations le concernant.
Je l’ai revu en 1980 je crois, à Lkhmiiçaate[10] au cabinet d’avocat de mon père où j’effectuais mon stage.
Il était en procès avec le propriétaire qui voulait l’expulser du logement qu’il occupait en famille à Rbaate.
Il était triste, fatigué, et devait repartir le même jour.
Nous n’avions même pas déjeuné ensemble.
Je ne l’ai plus revu.
J’ai quitté le Maroc en 1981 en laissant son dossier au cabinet : mon père s’en était-il occupé ?
Quelques années plus tard, j’ai appris qu’il était mort dans un accident de travail, écrasé par un ascenseur.
« Innaa lillaah wa innaa ilayhi raaji’oune ».[11] 
 
BOU’AZZA
[1] Le « r » roulé, Rabat.
[2] Le « r » roulé, Maroc.
[3] Le « r » roulé, Khénifra.
[4] Zayane.
[5] Le « r » roulé, Taghzirt.
[6] Pour les musulmans et les musulmanes (almoslimoune wa almoslimaate), les croyants et les croyantes (almouminoune wa almouminaate), dans le cadre du mariage, les relations sexuelles d’un homme marié avec une femme autre que son épouse, ou d’une femme mariée avec un homme autre que son époux, constituent l’adultère.
Azzinaa.
Le mot azzinaa désigne la fornication (rapports sexuels entre un homme et une femme non mariés) et aussi l’adultère.
La sanction de la fornication n’est pas la même que celle de l’adultère.
« N’approchez pas azzinaa, c’est une turpitude et une mauvaise voie ».
Alqoraane (Le Coran), sourate 17 (chapitre 17), Alisraa-e (le « r » roulé), Le Voyage Nocturne, aayate 32 (verset 32).
[7] Les indigènes qui en possédaient à l’époque étaient plus que rares.
Indigènes est une appellation arrogante et méprisante donnée par le colonialisme, la métropole, aux populations des territoires colonisés, la colonie.
[8] Statut octroyé par le système colonialo-impérialo-sioniste, et qui s’est traduit dans les colonies par la multiplication des "États" supplétifs, subordonnés avec plus ou moins de zèle, de soumission et de servilité dans l’exécution des ordres des métropoles et autres employeurs.
Ces États sont fondés sur l’imposture, le crime, la trahison, la tromperie, la corruption, l’injustice, la perversion, la débauche, le mensonge, le pillage, l’oppression, l’exploitation, le viol, la tyrannie, la torture, l’enfermement, la négation de l’être humain.
Au Maroc, occupé par la France, l’Espagne, et autres, occupation dite protectorat, le système colonialo-impérialo-sioniste a transformé le sultanat moribond, en monarchie héréditaire, dite de droit divin.
Le sultan, protégé, est alors devenu roi, au service de ce système.
[9] Selon le calendrier grégorien.
[10] Khémisset.
[11] Le « r » roulé.
« Nous sommes à Allaah et à Lui nous retournons ».
Alqoraane (Le Coran), sourate2 (chapitre 2), Albaqara (le « r » roulé), La Vache, aayate 156 (verset 156).
Dans sa traduction du Qoraane (le « r » roulé) Kachriid (le « r »ʺ roulé) note que la formule de consolation citée dans le verset 156, s’appelle istirjaa’e (le « r » roulé).
Celui qui la prononce avec sincérité et conviction y trouve en effet une réelle consolation dans les moments les plus difficiles.
Quand on se rappelle qu’on est entièrement la propriété d’Allaah et que c’est vers Lui que doit se faire notre retour, comment peut-on être écrasé de chagrin devant la perte des biens éphémères de ce monde ? Quand Allaah nous reprend un être cher ou un bien auquel nous sommes attachés, Allaah n’a fait que récupérer ce qu’il nous a prêté par pure bonté de Sa part et sans aucune contrepartie de la nôtre.
Que pouvons-nous donner à Celui qui possède toute chose en exclusivité totale ? »
Salah Eddine Kechrid (Salaah Addiine Kachriid), traduction du Qoraane (Coran), Loubnaane (Liban), Bayroute (Beyrouth), éditions Daar Algharb Alislaamii, cinquième édition, 1410 (1990), première édition, 1404 (1984).
Note en bas de la page 30. 


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