mardi 11 juin 2019

LE TEMPS D’UNE GESTATION


Dans neuf mois exactement, j’aurai soixante dix ans,[1] ine chaa-e Allaah.[2]
Le temps d’une gestation.
Les plus belles années de ma vie ?
Celles que j’ai passées en faisant de son mieux pour Adorer[3] Allaah, comme Allaah le demande.[4]
Des souvenirs d’enfance ?
Beaucoup.
Je pense en ce moment à celui de la mariée.
J’en ai parlé plus d’une fois.
J’avais sept ou huit ans je crois.
Nous habitions au quartier de l’Océan à Rbaate.[5]
Notre maison avait un patio où j’aimais jouer et auquel je repense avec douceur.
Nous occupions le rez-de-chaussée, ma belle-mère, mes sœurs, mes frères et moi.
Mon père, lui, avait le premier étage où son épouse le rejoignait la nuit.
Pour y accéder, mon père passait cependant par notre espace et y restait un peu parfois.
À notre tour, nous empruntions les allées de son territoire pour monter à la terrasse.
Cette terrasse était un lieu enchanteur.
Et c’est à cet endroit que j’ai eu des sensations qu’il m’est difficile, aujourd’hui encore, de décrire avec des mots.
Un jour, j’y suis resté un long moment.
Il faisait beau.
La terrasse voisine était couverte d’une toile qui la transformait en une sorte de grande tente. C’était la fête pleine de chants et de joie.
J’écoutais.
Je pouvais regarder aussi et je ne me privais pas de le faire.
Je ne sais pas comment les choses se sont passées, mais subitement, elle était devant moi. Lumineuse au milieu des chants et d’innombrables personnes.
Je ne regardais qu’elle.
Je n’avais jamais vu quelqu’un comme elle.
J’étais transporté.
Je ne savais pas qu’une femme pouvait être aussi radieuse.
C’était une femme, mais pour moi c’était « autre chose ».
Je ne savais pas quoi.
Une sorte de pureté.
Je pensais qu’elle ne regardait que moi et j’avais la sensation qu’elle me caressait du regard, me transmettait l’affection, m’offrait l’amour.
Une coulée de bonheur irriguait mon cœur.
C’est ma belle-mère, je pense, qui m’a expliqué que j’avais vu la mariée.
La signification exacte m’échappait un peu et j’avais une forte envie de rejoindre cette femme et de rester avec elle.
C’est peut-être à partir de cette époque que le mariage est devenu pour moi un symbole fort que les mots peinent à décrire.
Je suis très attaché au mariage.
Il a toujours été à la pointe de mes préoccupations.
Celui de mes parents ne s’était pas déroulé comme prévu.
Ma mère avait été trompée.
La confiance avait été trahie.
La trahison.
Savez-vous ce qu’est la trahison ?
Et qui vous dira jamais ce qu’est la trahison ?
Ma mère a été divorcée au mépris de ses droits les plus élémentaires.[6]
Ses cinq enfants lui avaient été arrachés.[7]
Mon père a décidé de les garder.[8]
Ma mère était retournée chez ses parents.
Un cousin s’était présenté.
Ce cousin voulait l’épouser avant même que mon père ne soit son mari.[9]
L’union a eu lieu.
Ils ont eu quatre enfants.[10]
J’avais à peine trois ans lorsque ma mère a été divorcée.
Elle a été la deuxième épouse[11] de mon père.
Ils ont eu cinq enfants : trois filles et deux garçons.
Lorsque ses enfant lui avaient été arrachés, ma mère avait senti qu’elle ne savait plus regarder la lumière.
Elle perdait la chaleur du cœur.
Les feuilles s’étaient étiolées.
Les branches s’étaient affaiblies.
L’arbre était à l’agonie.[12]
Mais il y avait encore la sève.
Et lorsque la sève demeure, les feuilles renaissent, les branches se revitalisent et l’arbre, irrigué, renforce les racines et s’élève dans les cieux.[13]
Par la miséricorde d’Allaah, j’ai vécu toutes ces années, et la marche continue.
Fils.
Frère.
Époux.
Père.
Grand-père.
Alhamdo lillaah.[14]
  
BOUAZZA


Sur la photo, mon père tient dans ses bras une de mes soeurs, mon aînée de deux ans.

Ma mère est enceinte de moi.
[1] Selon le calendrier dit grégorien.
[2] Si Allaah veut.
[3] Adoration, ‘ibaada.
[4] L’Islaam depuis Aadame (Adam) sur lui la bénédiction et la paix, consiste à faire de son mieux pour Adorer Allaah, comme Allaah le demande.
L’Islaam n’est pas une question d’ethnie, de tribu, de clan, de classe sociale, de sexe, de couleur, de langue, de parti politique, de pays, de nationalité, d’Etat.
L’Islaam c’est ce qui unit les croyants et les croyantes où qu’ils soient, sur la base du Message d’Allaah.
Alqoraane (Le Coran) est la continuation, la synthèse et le parachèvement du Message d’Allaah L’Unique, Le Seigneur des univers.
Mohammad, l’ultime Prophète et Messager sur lui la bénédiction et la paix a eu pour mission de le transmettre à toute l’humanité.
[5] Le "r" roulé, Rabat.
[6] Elle n’avait aucun moyen de défendre ses droits.
[7] Mes trois soeurs, mon frère cadet, et moi.
[8] De par sa position, il s’était attribué, comme il l’avait fait avec sa première épouse, le droit de garder les enfants, car il estimait que les mères ne pouvaient pas leur assurer un avenir.
Nous avons vécu avec la troisième épouse qui a eu huit enfants avec mon père (cinq frères et trois soeurs).
Mon père a eu un garçon (mon frère) avec une autres femme.
Et encore une fille et un garçon (ma soeur et mon frère) avec une dernière épouse.
[9] Ma mère et ses parents avaient préféré mon père qui avait plus de ʺpouvoirʺ.
[10] Mes trois soeurs et mon frère.
[11] La première épouse a quitté ce monde il y a une quarantaine d’années.
Elle a eu deux enfants avec mon père : mon frère aîné et ma sœur dont l’existence ici-bas s’est arrêtée en 1970, année de mon arrivée en France.
Après son divorce, cette première épouse s’était remariée et a eu un garçon que je voyais, ainsi que sa mère et son père, lorsque j’étais au Maroc.
[12] Parfois, les agissements de certains membres d’une famille, peuvent briser et détruire celle-ci.
Comment alors soigner la maladie et espérer que ces personnes obtiennent la guérison ?
[13] Ma mère a quitté l’existence ici-bas, le samedi 28 juin 2008, et mon père, le samedi 4 octobre 2008.

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