lundi 6 avril 2020

LE CONFINEMENT CONTINUE


L’épidémie du coronavirus[1] dure.
Comme le reste de la population, elle doit rester chez elle.
Si elle veut quitter son domicile, elle doit avoir une justification.
Le confinement continue.
Chez elle, elle utilise beaucoup une petite pièce.
Mais c’est incroyable ce qu’elle est spacieuse.
Dans cet espace, les souvenirs qui jaillissent ne sont jamais à l’étroit.
La petite pièce peut en accueillir à l’infini.
« Voilà le paradis où je vivais autrefois : mer et montagne. Il y a de cela toute une vie. […] Voilà le paradis où nous vivions autrefois : arbre de roc, la montagne plongeant abruptes ses racines dans les entrailles de la mer. La terre entière, humanité comprise, prenant source de vie dans l’eau. L’Océan montant à l’assaut du ciel […] Une vague vient du fond du passé et, lente, dandinante, puissante, déferle. Explose et fait exploser les souvenirs comme autant de bulles d’écume. […] Une autre vague vient par dessus la première et fulgure. Etincelle et ruisselle d’une vie nouvelle. Sans nombre, débordant par delà les rives du temps, de l’éternité d’autres vagues naissent et meurent, se couvrant et se renouvelant, ajoutant leur vie à la vie. D’aussi loin qu’on les entende, toutes ont la même voix, répètent le même mot : paix, paix, paix … ».
Ce texte,[2] elle aurait pu l’écrire.
Son père aussi.
Sa mère également.
Et ses grands-parents.
Et ses ancêtres.[3]
Elle avait le livre depuis longtemps, parmi les livres bien rangés de sa bibliothèque.
Il attendait, depuis longtemps, d’être lu.
Elle achète, comme d’innombrables autres, des livres avec l’idée de les lire plus tard.
Avec elle, beaucoup de choses sont en attente pour « plus tard ».
En le lisant, elle avait l’impression de l’avoir toujours connu par cœur.
Maintenant, dans sa petite pièce, les vagues succèdent aux vagues.
Elle s’est mise à fredonner un air que lui chantait sa mère.
Une mère éblouissante.
Belle comme les univers.
Coulée de miséricorde.
Des images défilent devant ses yeux comme un film au ralenti qui parfois projette l’avenir.
Elle se voit très âgée, avec des os qui fléchissent en elle et une tête allumée de blancheur, marchant à petits pas vers un jardin, un sac à la main avec des morceaux de pain, pour nourrir des pigeons.
Les pigeons l’entourent et au bout d’un moment, partent dans un envol majestueux et reviennent tournoyer au dessus de sa tête.
Elle les fixe et son rictus devient un sourire, puis un rire qui se confond avec le claquement des ailes et lui rappelle les vagues de la mer.
Et une fois encore, elle n’a pas pu empêcher ses yeux de se remplir de larmes.[4] 

BOU’AZZA



[1] Covid 19.
[2] Driss Chraïbi, La civilisation, ma mère..., Éditions Denoël, Paris, 1972, p. 13-14.
Idriis Achchraaybii (les ʺrʺ roulé) est un écrivain originaire d’Afrique.
Il est arrivé en France en 1945 pour des études universitaires.
Il n’avait pas encore vingt ans.
Il s’est installé dans ce pays et y a vécu jusqu’à la fin de son existence ici-bas survenue le premier avril 2007 à l’âge de 81 ans.
Il était dans la Drôme (Crest) lorsqu’il a rejoint la vie dernière.
Son corps a été ramené au Maroc pour y être enterré.
Dans ses écrits, il a souvent exprimé une sorte de nostalgie de l’enfance, et appelé à se souvenir de Demain, du rythme des couleurs originelles, de ce que nous recevons en offrande avant même que nous soyons ici-bas.
Il avait dit :
ʺL’homme naît, vit ce qu’il vit et meurt. Il faut être prêt pour la mort comme pour la naissanceʺ.
[3] Pas les Gaulois, les autres.
[4] Ce texte, aujourd’hui un peu modifié, remonte à 2004 (selon le calendrier dit grégorien), et renvoie à des écrits antérieurs.

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