L’épidémie
du coronavirus[1] dure.
Comme
le reste de la population, elle doit rester chez elle.
Si
elle veut quitter son domicile, elle doit avoir une justification.
Le
confinement continue.
Chez
elle, elle utilise beaucoup une petite pièce.
Mais
c’est incroyable ce qu’elle est spacieuse.
Dans
cet espace, les souvenirs qui jaillissent ne sont jamais à l’étroit.
La petite
pièce peut en accueillir à l’infini.
« Voilà
le paradis où je vivais autrefois : mer et montagne. Il y a de cela toute
une vie. […] Voilà le paradis où nous vivions autrefois : arbre de roc, la
montagne plongeant abruptes ses racines dans les entrailles de la mer. La terre
entière, humanité comprise, prenant source de vie dans l’eau. L’Océan montant à
l’assaut du ciel […] Une vague vient du fond du passé et, lente, dandinante,
puissante, déferle. Explose et fait exploser les souvenirs comme autant de
bulles d’écume. […] Une autre vague vient par dessus la première et fulgure.
Etincelle et ruisselle d’une vie nouvelle. Sans nombre, débordant par delà les
rives du temps, de l’éternité d’autres vagues naissent et meurent, se couvrant
et se renouvelant, ajoutant leur vie à la vie. D’aussi loin qu’on les entende,
toutes ont la même voix, répètent le même mot : paix, paix, paix … ».
Ce texte,[2] elle
aurait pu l’écrire.
Son père aussi.
Sa mère également.
Et ses grands-parents.
Et ses ancêtres.[3]
Elle
avait le livre depuis longtemps, parmi les livres bien rangés de sa
bibliothèque.
Il
attendait, depuis longtemps, d’être lu.
Elle
achète, comme d’innombrables autres, des livres avec l’idée de les lire plus
tard.
Avec
elle, beaucoup de choses sont en attente pour « plus tard ».
En
le lisant, elle avait l’impression de l’avoir toujours connu par cœur.
Maintenant,
dans sa petite pièce, les vagues succèdent aux vagues.
Elle
s’est mise à fredonner un air que lui chantait sa mère.
Une
mère éblouissante.
Belle
comme les univers.
Coulée
de miséricorde.
Des
images défilent devant ses yeux comme un film au ralenti qui parfois projette l’avenir.
Elle
se voit très âgée, avec des os qui fléchissent en elle et une tête allumée de
blancheur, marchant à petits pas vers un jardin, un sac à la main avec des
morceaux de pain, pour nourrir des pigeons.
Les
pigeons l’entourent et au bout d’un moment, partent dans un envol majestueux et
reviennent tournoyer au dessus de sa tête.
Elle
les fixe et son rictus devient un sourire, puis un rire qui se confond avec le
claquement des ailes et lui rappelle les vagues de la mer.
Et
une fois encore, elle n’a pas pu empêcher ses yeux de se remplir de larmes.[4]
BOU’AZZA
[1] Covid 19.
[2] Driss Chraïbi, La
civilisation, ma mère..., Éditions Denoël, Paris, 1972, p. 13-14.
Idriis Achchraaybii (les ʺrʺ roulé) est un écrivain
originaire d’Afrique.
Il est arrivé en France en 1945 pour des études
universitaires.
Il n’avait pas encore vingt ans.
Il s’est installé dans ce pays et y a vécu jusqu’à la
fin de son existence ici-bas survenue le premier avril 2007 à l’âge de 81 ans.
Il était dans la Drôme (Crest) lorsqu’il a rejoint la
vie dernière.
Son corps a été ramené au Maroc pour y être enterré.
Dans ses écrits, il a souvent exprimé une sorte de
nostalgie de l’enfance, et appelé à se souvenir de Demain, du rythme des
couleurs originelles, de ce que nous recevons en offrande avant même que nous
soyons ici-bas.
Il avait dit :
ʺL’homme naît, vit ce qu’il vit et meurt. Il faut être
prêt pour la mort comme pour la naissanceʺ.
[3] Pas les Gaulois, les
autres.
[4] Ce texte,
aujourd’hui un peu modifié, remonte à 2004 (selon le calendrier dit grégorien),
et renvoie à des écrits antérieurs.
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