L’institutrice s’arrachait
régulièrement les cheveux, parce la petite refusait de répéter après elle :
« Petit
à petit, l’oiseau fait son nid ».
Et
disait :
« Petit à petit, le nid
fait son oiseau ».[1]
La petite n’avait aucun respect
pour l’ordre qui, dans la logique de l’institutrice, répond aux « canons
de la loi » qui tonnent plus fort et plus longtemps que les canons tout
court.
Canons et autres armes de
destruction massive utilisés par l’Etat colonisateur, employeur de l’institutrice,
pour « pacifier »[2] le
pays de la petite,[3] et imposer à certains
« petits indigènes »[4]
l’histoire de « leurs ancêtres les gaulois ».
À bout de
« patience », l’institutrice a fini par alerter les « autorités
compétentes » pour utiliser d’autres moyens.
Le
nid a été détruit.
La
petite est restée en vie cependant.
Sa petite fille, installée en
France,[5] est
aujourd’hui confinée, en raison de l’épidémie du coronavirus.[6]
Comme
le reste de la population, elle doit rester chez elle.
Si
elle veut quitter son domicile, elle doit avoir une justification.
Mais
même en confinement, elle explore le temps et l’espace.
Chez
elle, elle utilise une petite pièce où la pensée n’est jamais à l’étroit.
« Ces
populations doivent se mettre à l’heure de notre logique.
Nous
devons imposer nos règles.
Notre
discipline.
Notre
grandeur.
Nous
devons les pénétrer profondément.
Avant
nous, elles n’avaient rien.
Maintenant, nous allons leur
apprendre à acquérir le sens de notre hiérarchie, à comprendre l’immense
intérêt de la séparation des pouvoirs et de la distinction entre la vie privée
et la vie publique, de la différence entre le profane et le sacré.
Nous allons les éduquer.
Leur montrer la richesse de
l’éducatif.
De la démocratie.
De la liberté.
Il nous appartient d’éveiller les
consciences.
D’assurer la conscientisation
de ces masses incultes et sauvages pour les intégrer à notre civilisation.
Les
assimiler.
Nous devons libérer ces
populations de leurs servitudes qui s’opposent à notre modernisme.
Les colonies ne se font pas avec
des pucelles ou des rosiers.
Ces
populations ont besoin des maîtres que nous sommes.
Sans
nous, elles ne peuvent pas penser.
Elles
ne peuvent pas avancer.
Nous
résister est un crime.
Il
faut donc être sans pitié avec les criminels.
Nous
sommes les missionnaires de la déclaration universelle des droits de
l’Homme ».[7]
La
grand-mère a résisté.
Elle
a été tuée par le colonialisme.
Des
massacres.
Des
crimes.
Des
carnages.
Des
horreurs.
Des
pillages.
Des
tortures.
Des
viols.
Des
transgressions.
Des
humiliations.
La
mort semée.
La
désagrégation planifiée.
Le
désarroi répandu.
Les
déséquilibres provoqués.
L’harmonie
mutilée.
La
décomposition alimentée.
La
mémoire infectée.
Des « indigènes » se
sont trouvés parqués dans des bidonvilles, prélude au processus migratoire, une
transplantation plus dure, plus douloureuse.
Comment expliquer l’oppression,
le colonialisme et l’impérialisme qui ont mis en place des systèmes
post-coloniaux et néo-coloniaux dits des « indépendances »,[8]
systèmes qui continuent les crimes les plus abjects, qui terrorisent des
populations dominées, pillées, écrasées, maintenues dans la misère, les
maladies et autres ?
Flots
de pensées.
Averses
d’images.
Afflux
de sensations.
Larmes.[9]
BOU’AZZA
[1] C’est
une expression du défunt Idriis Achchraaïbii (les ʺrʺ roulés), Driss Chraïbi,
écrivain originaire d’Afrique.
Il est arrivé en France en 1945 pour des études
universitaires.
Il n’avait pas encore vingt ans.
Il s’est installé dans ce pays et y a vécu jusqu’à la
fin de son existence ici-bas survenue le premier avril 2007 à l’âge de 81 ans.
Il était dans la Drôme (Crest) lorsqu’il a rejoint la
vie dernière.
Son corps a été ramené au Maroc pour y être enterré.
Dans ses écrits, il a souvent exprimé une sorte de
nostalgie de l’enfance, et appelé à se souvenir de Demain, du rythme des
couleurs originelles, de ce que nous recevons en offrande avant même que nous
soyons ici-bas.
Il avait dit :
ʺL’homme naît, vit ce qu’il vit et meurt. Il faut être
prêt pour la mort comme pour la naissanceʺ.
[2] Mot utilisé par le
colonialisme et autres pour ne pas dire massacrer, détruire, écraser, éliminer,
et autres.
[3]
Almaghrib, Lmghrib (le "r" roulé), le Maroc.
[4] Le
mot ʺindigènesʺ est une appellation arrogante et méprisante utilisée par le
colonialisme, la métropole, pour désigner les populations des territoires
colonisés, des colonies.
En France, les originaires d’Afrique, les nègres, les
bamboulas, même français, et surtout les bougnoules, les ratons, les melons,
même français, c’est à dire les arabes, donc les musulmans.
Pour la métropole c’est du pareil au même.
La métropole recours sciemment à l’amalgame, à la
confusion entre ʺethnieʺ, ʺcroyanceʺ, ʺdélinquanceʺ.
Ainsi, pour parler d’hommes et de femmes originaires
d’Afrique du Nord par exemple, des ʺmaghrébinsʺ, la métropole use de
connotations négatives pour dire les ʺarabesʺ, c’est à dire les ʺmusulmansʺ,
autrement dit des ʺviolentsʺ, des ʺvoleursʺ, des ʺvioleursʺ, des ʺassassinsʺ et
autres.
Pour cela, la gauche, la droite, et autres, avec leurs
ʺdiverses variantesʺ, sont interchangeables.
[5] Comme
beaucoup d’éléments de populations colonisées, les circonstances lui ont imposé
d’être installée au pays du colonisateur.
[6] Covid 19.
[7] Ses
phrases et d’innombrables autres ont été tenues, écrites, publiées, diffusées,
appliquées par des oppresseurs qui continuent et continueront d’y recourir,
sous une forme ou une autre.
[8]
Statut octroyé par le système colonialo-impérialo-sioniste, et qui s’est
traduit dans les colonies par la multiplication des "États"
supplétifs, subordonnés avec plus ou moins de zèle, de soumission et de
servilité dans l’exécution des ordres des métropoles et autres employeurs.
Ces
"États" sont fondés sur l’imposture, le crime, la trahison, la
tromperie, la corruption, l’injustice, la perversion, la débauche, le mensonge,
le pillage, l’oppression, l’exploitation, le viol, la tyrannie, la torture,
l’enfermement, la négation de l’être humain.
Au
Maroc, occupé par la France, l’Espagne, et autres, occupation dite
″protectorat″, le système colonialo-impérialo-sioniste a transformé le sultanat
moribond, en monarchie héréditaire, dite de "droit divin".
Le
sultan, protégé, est alors devenu roi, au service de ce système.
[9] Texte qui date de
plusieurs années, adapté un peu aujourd’hui.
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