jeudi 9 avril 2020

MÊME EN CONFINEMENT


L’institutrice s’arrachait régulièrement les cheveux, parce la petite refusait de répéter après elle :
« Petit à petit, l’oiseau fait son nid ».
Et disait :
« Petit à petit, le nid fait son oiseau ».[1]
La petite n’avait aucun respect pour l’ordre qui, dans la logique de l’institutrice, répond aux « canons de la loi » qui tonnent plus fort et plus longtemps que les canons tout court.
Canons et autres armes de destruction massive utilisés par l’Etat colonisateur, employeur de l’institutrice, pour « pacifier »[2] le pays de la petite,[3] et imposer à certains « petits indigènes »[4] l’histoire de « leurs ancêtres les gaulois ».
À bout de « patience », l’institutrice a fini par alerter les « autorités compétentes » pour utiliser d’autres moyens.
Le nid a été détruit.
La petite est restée en vie cependant.
Sa petite fille, installée en France,[5] est aujourd’hui confinée, en raison de l’épidémie du coronavirus.[6]
Comme le reste de la population, elle doit rester chez elle.
Si elle veut quitter son domicile, elle doit avoir une justification.
Mais même en confinement, elle explore le temps et l’espace.
Chez elle, elle utilise une petite pièce où la pensée n’est jamais à l’étroit.
« Ces populations doivent se mettre à l’heure de notre logique.
Nous devons imposer nos règles.
Notre discipline.
Notre grandeur.
Nous devons les pénétrer profondément.
Avant nous, elles n’avaient rien.
Maintenant, nous allons leur apprendre à acquérir le sens de notre hiérarchie, à comprendre l’immense intérêt de la séparation des pouvoirs et de la distinction entre la vie privée et la vie publique, de la différence entre le profane et le sacré.
Nous allons les éduquer.
Leur montrer la richesse de l’éducatif.
De la démocratie.
De la liberté.
Il nous appartient d’éveiller les consciences.
D’assurer la conscientisation de ces masses incultes et sauvages pour les intégrer à notre civilisation.
Les assimiler.
Nous devons libérer ces populations de leurs servitudes qui s’opposent à notre modernisme.
Les colonies ne se font pas avec des pucelles ou des rosiers.
Ces populations ont besoin des maîtres que nous sommes.
Sans nous, elles ne peuvent pas penser.
Elles ne peuvent pas avancer.
Nous résister est un crime.
Il faut donc être sans pitié avec les criminels.
Nous sommes les missionnaires de la déclaration universelle des droits de l’Homme ».[7]
La grand-mère a résisté.
Elle a été tuée par le colonialisme.
Des massacres.
Des crimes.
Des carnages.
Des horreurs.
Des pillages.
Des tortures.
Des viols.
Des transgressions.
Des humiliations.
La mort semée.
La désagrégation planifiée.
Le désarroi répandu.
Les déséquilibres provoqués.
L’harmonie mutilée.
La décomposition alimentée.
La mémoire infectée.
Des « indigènes » se sont trouvés parqués dans des bidonvilles, prélude au processus migratoire, une transplantation plus dure, plus douloureuse.
Comment expliquer l’oppression, le colonialisme et l’impérialisme qui ont mis en place des systèmes post-coloniaux et néo-coloniaux dits des « indépendances »,[8] systèmes qui continuent les crimes les plus abjects, qui terrorisent des populations dominées, pillées, écrasées, maintenues dans la misère, les maladies et autres ?
Flots de pensées.
Averses d’images.
Afflux de sensations.
Larmes.[9] 

BOU’AZZA



[1] C’est une expression du défunt Idriis Achchraaïbii (les ʺrʺ roulés), Driss Chraïbi, écrivain originaire d’Afrique.
Il est arrivé en France en 1945 pour des études universitaires.
Il n’avait pas encore vingt ans.
Il s’est installé dans ce pays et y a vécu jusqu’à la fin de son existence ici-bas survenue le premier avril 2007 à l’âge de 81 ans.
Il était dans la Drôme (Crest) lorsqu’il a rejoint la vie dernière.
Son corps a été ramené au Maroc pour y être enterré.
Dans ses écrits, il a souvent exprimé une sorte de nostalgie de l’enfance, et appelé à se souvenir de Demain, du rythme des couleurs originelles, de ce que nous recevons en offrande avant même que nous soyons ici-bas.
Il avait dit :
ʺL’homme naît, vit ce qu’il vit et meurt. Il faut être prêt pour la mort comme pour la naissanceʺ.
[2] Mot utilisé par le colonialisme et autres pour ne pas dire massacrer, détruire, écraser, éliminer, et autres.
[3] Almaghrib, Lmghrib (le "r" roulé), le Maroc.
[4] Le mot ʺindigènesʺ est une appellation arrogante et méprisante utilisée par le colonialisme, la métropole, pour désigner les populations des territoires colonisés, des colonies.
En France, les originaires d’Afrique, les nègres, les bamboulas, même français, et surtout les bougnoules, les ratons, les melons, même français, c’est à dire les arabes, donc les musulmans.
Pour la métropole c’est du pareil au même.
La métropole recours sciemment à l’amalgame, à la confusion entre ʺethnieʺ, ʺcroyanceʺ, ʺdélinquanceʺ.
Ainsi, pour parler d’hommes et de femmes originaires d’Afrique du Nord par exemple, des ʺmaghrébinsʺ, la métropole use de connotations négatives pour dire les ʺarabesʺ, c’est à dire les ʺmusulmansʺ, autrement dit des ʺviolentsʺ, des ʺvoleursʺ, des ʺvioleursʺ, des ʺassassinsʺ et autres.
Pour cela, la gauche, la droite, et autres, avec leurs ʺdiverses variantesʺ, sont interchangeables.
[5] Comme beaucoup d’éléments de populations colonisées, les circonstances lui ont imposé d’être installée au pays du colonisateur.
[6] Covid 19.
[7] Ses phrases et d’innombrables autres ont été tenues, écrites, publiées, diffusées, appliquées par des oppresseurs qui continuent et continueront d’y recourir, sous une forme ou une autre.
[8] Statut octroyé par le système colonialo-impérialo-sioniste, et qui s’est traduit dans les colonies par la multiplication des "États" supplétifs, subordonnés avec plus ou moins de zèle, de soumission et de servilité dans l’exécution des ordres des métropoles et autres employeurs.
Ces "États" sont fondés sur l’imposture, le crime, la trahison, la tromperie, la corruption, l’injustice, la perversion, la débauche, le mensonge, le pillage, l’oppression, l’exploitation, le viol, la tyrannie, la torture, l’enfermement, la négation de l’être humain.
Au Maroc, occupé par la France, l’Espagne, et autres, occupation dite ″protectorat″, le système colonialo-impérialo-sioniste a transformé le sultanat moribond, en monarchie héréditaire, dite de "droit divin".
Le sultan, protégé, est alors devenu roi, au service de ce système.
[9] Texte qui date de plusieurs années, adapté un peu aujourd’hui.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire