Elle
est confinée depuis quelques semaines, en raison de l’épidémie du coronavirus.[1]
Comme
le reste de la population, elle doit rester chez elle.
Si
elle veut quitter son domicile, elle doit avoir une justification.
Chez
elle, elle utilise beaucoup une petite pièce.
Mais
c’est incroyable ce qu’elle est spacieuse.
Dans
cet espace réduit, les souvenirs qui jaillissent ne sont jamais à l’étroit.
La
petite pièce peut en accueillir à l’infini.
La
semaine dernière, au téléphone, l’un de ses petits-fils a insisté pour qu’elle
lui parle encore de son enfance :
Au
milieu de l’herbe, des coquelicots, des marguerites qui couvrent le champ
derrière la demeure en pisé, nous étions à peine visibles.
Des
enfants sans nombre.
J’étais
au milieu d’eux.
Nous
aimions nous retrouver.
Faire
le plein des couleurs et des parfums.
Chanter.
Rire.
Courir.
Passer
à travers des nuées d’oiseaux.
Faire
voler les cigognes.
S’approcher
des vaches.
S’allonger
sous le ciel.
Fixer
le soleil.
Ma
sœur me suivait comme une ombre.
Autour
du champ, des arbres couvrent de leur ombrage la piste qu’empruntent des
chevaux. Les adultes parlaient parfois de choses graves.
D’arrestations.
De
tortures.
De
bagnes.
De
disparitions.
Ainsi,
la grand-mère s’était mise à parler encore de son enfance, à l’un de ses
petits-fils :
Allongée
sous le ciel, je fermais parfois les yeux, pour mieux voir.
Flots
de pensées.
Averses
d’images.
Afflux
de sensations.
Un
cheval noir était au centre .
Luisant.
Il
s’est approché d’une vache blanche qui ruminait, avant de partir dans un galop
vertigineux.
Le
hennissement a parcouru la terre.
Le
ciel était ouvert.
L’eau
de la pluie alimentait des ruisseaux rouges.
Je
me suis mise à courir.
À
passer à travers des nuées d’oiseaux.
À
faire voler les cigognes.
À
m’approcher des vaches.
À
m’allonger sous le ciel.
À
fixer le soleil.
Ma
sœur me suivait comme une ombre.
Avec
des enfants sans nombre, j’ai pris de la hauteur pour jouer aux tapis volants
tamponneurs.
Ma
mère me regardait et disait :
- Elle
tente de retrouver ce qu’elle a égaré.
Un
jour peut être, comme un diamant, dans son cœur brillera la Lumière et alors, elle
renouera le fil rompu et aimera de toutes ses forces ce dont ils ont voulu la
détourner.
Après
l’atterrissage de mon tapis volant, je l’ai mis sous le bras et j’ai donné la
main à ma soeur qui m’attendait.[2]
BOU’AZZA
[1] Covid 19.
[2] Texte daté décembre 2003,
selon le calendrier dit grégorien, à partir d’écrits antérieurs, aujourd’hui un
peu adapté.
Voir:
http://deshommesetdesfemmes.blogspot.com
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