dimanche 26 avril 2020

L’UN DES PETITS-FILS DE LA CONFINÉE


Elle est confinée depuis quelques semaines, en raison de l’épidémie du coronavirus.[1]
Comme le reste de la population, elle doit rester chez elle.
Si elle veut quitter son domicile, elle doit avoir une justification.
Chez elle, elle utilise beaucoup une petite pièce.
Mais c’est incroyable ce qu’elle est spacieuse.
Dans cet espace réduit, les souvenirs qui jaillissent ne sont jamais à l’étroit.
La petite pièce peut en accueillir à l’infini.
La semaine dernière, au téléphone, l’un de ses petits-fils a insisté pour qu’elle lui parle encore de son enfance :
Au milieu de l’herbe, des coquelicots, des marguerites qui couvrent le champ derrière la demeure en pisé, nous étions à peine visibles.
Des enfants sans nombre.
J’étais au milieu d’eux.
Nous aimions nous retrouver.
Faire le plein des couleurs et des parfums.
Chanter.
Rire.
Courir.
Passer à travers des nuées d’oiseaux.
Faire voler les cigognes.
S’approcher des vaches.
S’allonger sous le ciel.
Fixer le soleil.
Ma sœur me suivait comme une ombre.
Autour du champ, des arbres couvrent de leur ombrage la piste qu’empruntent des chevaux. Les adultes parlaient parfois de choses graves.
D’arrestations.
De tortures.
De bagnes.
De disparitions.
Ainsi, la grand-mère s’était mise à parler encore de son enfance, à l’un de ses petits-fils :
Allongée sous le ciel, je fermais parfois les yeux, pour mieux voir.
Flots de pensées.
Averses d’images.
Afflux de sensations.
Un cheval noir était au centre   .
Luisant.
Il s’est approché d’une vache blanche qui ruminait, avant de partir dans un galop vertigineux.
Le hennissement a parcouru la terre.
Le ciel était ouvert.
L’eau de la pluie alimentait des ruisseaux rouges.
Je me suis mise à courir.
À passer à travers des nuées d’oiseaux.
À faire voler les cigognes.
À m’approcher des vaches.
À m’allonger sous le ciel.
À fixer le soleil.
Ma sœur me suivait comme une ombre.
Avec des enfants sans nombre, j’ai pris de la hauteur pour jouer aux tapis volants tamponneurs.
Ma mère me regardait et disait :
- Elle tente de retrouver ce qu’elle a égaré.
Un jour peut être, comme un diamant, dans son cœur brillera la Lumière et alors, elle renouera le fil rompu et aimera de toutes ses forces ce dont ils ont voulu la détourner.
Après l’atterrissage de mon tapis volant, je l’ai mis sous le bras et j’ai donné la main à ma soeur qui m’attendait.[2] 

BOU’AZZA



[1] Covid 19.
[2] Texte daté décembre 2003, selon le calendrier dit grégorien, à partir d’écrits antérieurs, aujourd’hui un peu adapté.
Voir:
http://deshommesetdesfemmes.blogspot.com

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