dimanche 2 juillet 2017

ALTERNANCE ...


La juge qui a horreur de la délinquance juvénile est toujours à son poste …
Vous vous souvenez ?
La rousse, pas le dictionnaire …
Celle qui malgré ses yeux verts, jette des regards noirs …
Le petit bout de lingerie dit cul-otte[1] qu’elle laisse entrevoir entre ses jambes juridiquement écartées a, aujourd’hui encore, comme c’est souvent le cas, le teint rouge et noir des couvertures du code pénal et du code de procédure pénale …
Depuis un moment, elle est accrochée au téléphone et semble jouir en écoutant une recette de cuisine simplifiée qu’une voix magistrale lui détaille :
- Tu prends une chair tendre et fraîche.
Comme tu les aimes.
Tu l’étends délicatement sur une préparation d’herbe de ton choix.
Tu penses aux épices aphrodisiaques.
Un assortiment raffiné.
Tu laisses mijoter.
À petit feu.
Le temps qu’il faudra.
Pas de précipitation.
Tu dégustes en douceur …
À la Maison d’Arrêt, prison, le mineur délinquant qu’elle avait décidé d’incarcérer la veille pour « violence sur une personne dépositaire de l’autorité publique », avait moins de seize ans.
Etendu sur le dos dans sa cellule, il fixait le plafond mais voyait plus loin.
Des étoiles éclairaient son visage d’enfant …
« Vague après vague se couvrant et se renouvelant et ajoutant leur vie à la vie tel le flux de la mer, la marée de l’émotion montait en lui de la pointe de ses pieds à sa conscience. Et il la laissait monter, le submerger. C’était indicible, paisible, maternel ».[2]
Il se voyait dans un village de montagne plein de lumière, au milieu des autres et du rythme que dégageait un instrument apprivoisé par un vieillard :
« Le luth, il le fit glisser sur ses genoux en un geste très lent, comme s’il se fût agi d’un enfant endormi. Les cordes, il les effleura du bout des doigts pour les réveiller. Puis il leur fit donner de la voix, à plein. Et voici : le passé rejoint le présent, l’instrument devient aussi vivant que l’arbre plein de sève qui lui a jadis offert son bois. Quatre cordes en boyau de chat, tendues à rompre. Placée au centre, la cinquième est en crin de cheval tressé : le bourdon. Naissant à partir de ce bourdon et y revenant à intervalles réguliers, à la fois pour y mourir et pour en renaître, monte la langue de la vie, musicale charnellement ; monte, scande et bat selon l’alternance du jour et de la nuit, selon le déroulement des saisons, le flux et le reflux de tous les océans du monde, le déferlement des vents issus des quatre horizons du ciel ; danse la mélodie de l’arbre du Destin, danse et vibre en flots ininterrompus de pulsations l’éternité sans durée. Sans néant.[3] ».[4]
  
BOUAZZA



Peinture réalisée par mon épouse.
[1] Culotte.
[2] Driss Chraïbi, L’homme qui venait du passé, Paris, Denoël, p. 122.
[3] Driss Chraïbi, op.cit. p. 135-136.
[4] Texte mis sur le net, sans l’illustration, le 1er décembre 2004, selon le calendrier dit grégorien.

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