Elle ne viendra plus voir le mineur délinquant incarcéré.
Elle n’est plus éducatrice à la protection judicaire de la
jeunesse, dans une structure d’hébergement, dite foyer d’action éducative.[1]
Par mesure judiciaire, son service était chargé du suivi du
mineur délinquant avant son incarcération.
Elle a sympathisé avec l’éducateur en détention et aimait travailler avec lui …
Pendant le déjeuner dans sa cellule, le mineur délinquant a
relu quelques lignes d’une lettre reçue d’elle :
« Pieds nus sur l’asphalte sec, une
couverture drapée autour des épaules, il fait frais ! les cheveux flambant
dans cette lumière presque blanche. Trop loin pour mes vrais yeux, certes, mais
je les vois quand même, emmêlés, tout tirebouchonnés, entremêlés de poussière,
de pollen, de plumes, de platanes … Le pigeon ramier à gorge rose et collier
blanc quitte le platane frémissant sous la houle de ce mois frisquet. Pigeon,
certes, mais si voyageur qu’il doit être cousin avec le perroquet d’un ailleurs
exotique […]. Ici, ailleurs … Dehors, dedans … Et lui, que ni la vielle dame au
cabas usé, ni la jeune femme aux lunettes de soleil, ni l’homme à
l’attaché-case, ne semblent regarder lorsqu’ils le croisent, lui, rêve-t-il
encore ? Ses pieds imaginent-ils un chemin de pierres acérées et d’herbes
douces ?
Du haut du platane qui soutient mon
balcon, je me sens comme une abbesse perdue dans un tohu-bohu séculier et
sauvage … Calligraphier, conter, c’est un peu prier pour chacun et pour le
monde … Et si c’était une place véritable, et s’il fallait s’y asseoir avant
qu’il ne soit trop tard ? … ».[2]
Il a montré la lettre à l’éducateur en détention …
Un homme d’un certain âge, dont la route passe par la
prison, parmi des êtres à la mémoire en lambeaux, au cœur meurtri, au regard
exténué …
Cet homme, d’un âge certain, a souhaité être avec ces
mineurs délinquants incarcérés pour qu’ensemble, ils essayent de réfléchir au
Sens, au Lien …
Ils ont parlé longuement de l’éducatrice qui ne viendra
plus …
Le mineur délinquant a fait savoir qu’il allait chanter et
danser pour elle avec ses compagnons dans la cour de promenade.
Avant de quitter l’éducateur en détention il lui a lancé un
rire.
Un rire magnifique qui s’est répandu dans la prison, avant
de s’élever dans le ciel, comme pour mieux admirer la terre …
Le ciel et la terre se rejoignent, se mélangent, font
jaillir des images, des couleurs, des formes, des mouvements, des sons.
Et, par des ramifications que Seul connaît Celui qui veille
à leur conduite, les mineurs délinquants incarcérés se sont retrouvés.
Dans un espace fleuri par leur chant et leur danse.
Comme le printemps dont les parfums et les couleurs
embaument la vie.
Derrière les barreaux, à la fenêtre qui donne sur la cour
de promenade, l’éducateur en détention frappait comme eux dans ses mains en
suivant le rythme qu’il garde en lui.
Le rythme des battements du cœur de la mère.
Le chant a été repris en chœur par les corbeaux et les
mouettes, en grand nombre, qui viennent se nourrir de ce que les prisonniers
leur « transmettent » à travers les barreaux.
Le chant du commencement.
Le chant de la louange.
Le cheval noir luisant les accompagne dans la danse, comme
dans une ronde sacrée, autour d’un peuplier aux feuilles d’émeraude, arrosé par
une lumière coulant d’une cruche en rubis. L’éducatrice y était …[3]
BOUAZZA
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire