mardi 4 juillet 2017

RAMIFICATIONS ...


Elle ne viendra plus voir le mineur délinquant incarcéré.
Elle n’est plus éducatrice à la protection judicaire de la jeunesse, dans une structure d’hébergement, dite foyer d’action éducative.[1]
Par mesure judiciaire, son service était chargé du suivi du mineur délinquant avant son incarcération.
Elle a sympathisé avec l’éducateur en détention  et aimait travailler avec lui …
Pendant le déjeuner dans sa cellule, le mineur délinquant a relu quelques lignes d’une lettre reçue d’elle :
             « Pieds nus sur l’asphalte sec, une couverture drapée autour des épaules, il fait frais ! les cheveux flambant dans cette lumière presque blanche. Trop loin pour mes vrais yeux, certes, mais je les vois quand même, emmêlés, tout tirebouchonnés, entremêlés de poussière, de pollen, de plumes, de platanes … Le pigeon ramier à gorge rose et collier blanc quitte le platane frémissant sous la houle de ce mois frisquet. Pigeon, certes, mais si voyageur qu’il doit être cousin avec le perroquet d’un ailleurs exotique […]. Ici, ailleurs … Dehors, dedans … Et lui, que ni la vielle dame au cabas usé, ni la jeune femme aux lunettes de soleil, ni l’homme à l’attaché-case, ne semblent regarder lorsqu’ils le croisent, lui, rêve-t-il encore ? Ses pieds imaginent-ils un chemin de pierres acérées et d’herbes douces ?
            Du haut du platane qui soutient mon balcon, je me sens comme une abbesse perdue dans un tohu-bohu séculier et sauvage … Calligraphier, conter, c’est un peu prier pour chacun et pour le monde … Et si c’était une place véritable, et s’il fallait s’y asseoir avant qu’il ne soit trop tard ? … ».[2]
Il a montré la lettre à l’éducateur en détention …
Un homme d’un certain âge, dont la route passe par la prison, parmi des êtres à la mémoire en lambeaux, au cœur meurtri, au regard exténué …
Cet homme, d’un âge certain, a souhaité être avec ces mineurs délinquants incarcérés pour qu’ensemble, ils essayent de réfléchir au Sens, au Lien …
Ils ont parlé longuement de l’éducatrice qui ne viendra plus …
Le mineur délinquant a fait savoir qu’il allait chanter et danser pour elle avec ses compagnons dans la cour de promenade.
Avant de quitter l’éducateur en détention il lui a lancé un rire.
Un rire magnifique qui s’est répandu dans la prison, avant de s’élever dans le ciel, comme pour mieux admirer la terre …
Le ciel et la terre se rejoignent, se mélangent, font jaillir des images, des couleurs, des formes, des mouvements, des sons.
Et, par des ramifications que Seul connaît Celui qui veille à leur conduite, les mineurs délinquants incarcérés se sont retrouvés.
Dans un espace fleuri par leur chant et leur danse.
Comme le printemps dont les parfums et les couleurs embaument la vie.
Derrière les barreaux, à la fenêtre qui donne sur la cour de promenade, l’éducateur en détention frappait comme eux dans ses mains en suivant le rythme qu’il garde en lui.
Le rythme des battements du cœur de la mère.
Le chant a été repris en chœur par les corbeaux et les mouettes, en grand nombre, qui viennent se nourrir de ce que les prisonniers leur « transmettent » à travers les barreaux.
Le chant du commencement.
Le chant de la louange.
Le cheval noir luisant les accompagne dans la danse, comme dans une ronde sacrée, autour d’un peuplier aux feuilles d’émeraude, arrosé par une lumière coulant d’une cruche en rubis. L’éducatrice y était …[3]

BOUAZZA





Aquarelle réalisée par mon épouse.
[1] FAE.
[2] Lettre de RRC, en date du 24 mai 2004.
[3] Texte mis sur le net, sans l’illustration, le 12 décembre 2004, selon le calendrier dit grégorien, en partie à partir d’écrits antérieurs.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire