lundi 3 juillet 2017

CARESSE ...


Tu prends des aubergines, pas celles qui mettent des prunes aux caisses en stationnement interdit, tu les laves, tu coupes la queue, pas celle à laquelle tu penses, tu les partages en deux avec minutie, ou avec Rachid si tu veux, et tu les mets dans l’eau salée.
Après, tu les épluches dans le sens de la longueur, en gardant à intervalles égaux, des parties de deux centimètres avec leur peau ; c’est peut-être chiant, mais n’oublie pas que ta mère l’a fait mille et une fois avec amour.
Tu coupes en rondelles de deux centimètres d’épaisseur.
Tu étales sur un plat.
Je sais, tu aimes étaler, mais pas sur un plat.
Tu saupoudres de sel fin au fur et à mesure afin qu’elles ne noircissent pas, même si tu es basané et que tu n’a rien contre les noirs.
Tu fais frire à l’huile bouillante d’arachide, de Rachid si tu préfères, ou d’olive, comme le prénom de ta copine de l’école primaire Jules Ferry, je me rappelle.
Tu fais frire des deux côtés.
Tu laisses égoutter.
Le poulet, tu le découpes, pas celui qui t’a arrêté pour rébellion, tu places les morceaux dans une cocotte, non pas celle de ton quartier, avec tout ce qu’il faut : safran, gingembre, poivre, sel, coriandre, huile et deux verres d’eau.
Cuisson a feu doux.
Toute une vie s’il le faut …
Laisser le temps au thon[1] … disent certains zé certaines[2] … en oubliant qu’il en faut pour le poulet aussi …
En cours de cuisson, tu ajoutes un peu d’eau si nécessaire.
Lorsque c’est cuit, tu mets dans un plat, tu verses la sauce autour.
Les aubergines sont au dessus du poulet ; parfois c’est l’inverse, mais pour cette fois, c’est ainsi.
Tu sers chaud …
Au moment de manger, n’oublie pas de partager ce délice, d’être reconnaissant pour les bienfaits infinis qui te sont offerts et de penser à ta mère qui sait mettre les saveurs de l’amour dans chaque plat, et sans laquelle les « recettes de cuisine » ne valent rien …
Lorsque l’éducateur en détention a fini de lire, à sa manière, au mineur délinquant incarcéré la recette du « poulet aux aubergines frites »,[3] celui-ci s’est mis à parler et l’échange qui est né, plein de couleurs et de saveurs, a donné au temps et à l’espace une autre dimension.
Les plats des mères ont commencé à défiler emplissant l’atmosphère des parfums des enfants et des familles nombreuses, de la musique de la Mer Blanche Intermédiaire …
Albahr Alabyad Almotawassite …
la Mer Méditerranée … du chant de la louange repris par les mouettes et les corbeaux … du hennissement du cheval noir luisant …
 Une éclosion des sens …
Une coulée de salaame.
Paix.
Pace.
Peace …
Une caresse du ciel …[4]

BOUAZZA



[1] Laisser le temps au temps.
Un certain François Mitterrand s’était approprié cette expression qu’il ne cessait d’ânonner.
Révolutionnaire de gauche, comme disaient ses fans, socialiste installé, par les décideurs, sur le trône du palais de l’Élysée pendant quatorze ans, il avait promis de ʺchanger la vieʺ et d’offrir le paradis.
Une fois sur le trône, il avait changé, mais d’avis, afin de continuer à jouir des plaisirs, tout en veillant à se faire idolâtrer.
Laisser le temps au temps ânonnait-il, pour faire patienter ceux et celles qui croient, depuis l’aube de la vie, aux imposteurs, et qui continueront d’y croire, jusqu’à la fin de l’existence ici-bas.
[2] Certains et certaines.
[3] Latifa Bennani-Smires, la cuisine Marocaine, Casablanca (Maroc), Almadariss, 1983, P. 103.
[4] Texte mis sur le net, sans l’illustration, le 6 décembre 2004, selon le calendrier dit grégorien.

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