Lorsque
j’observe des pigeons, je pense souvent à un texte daté de 1992 que j’ai écrit
à la troisième personne.
Je l’ai
partagé il y’a quelques années.
Et à
la fin du mois de janvier 2019,[1] je l’ai
adressé à ma soeur, épouse et mère, installée à Ddaar lbiidaa :[2]
« Il
se voit très âgé, avec des os qui fléchissent en lui et une tête allumée de
blancheur, marchant à petits pas vers un petit jardin, un petit sac en
plastique à la main avec des petits morceaux de pain, pour servir à manger à
des pigeons.
Les
pigeons l’entourent et au bout d’un moment, partent dans un envol majestueux et
reviennent tournoyer au dessus de sa tête.
Il
les fixe et son rictus devient un sourire, puis un rire qui se confond avec le
claquement des ailes et lui rappelle les vagues de la mer ».
Ma soeur m’a répondu :
« Je le vois de dos ce vieil homme aux pas indécis, les
gestes longs et le regard qui en dit long.
Portant son sachet de pain comme une valise lourde, il faut
dire là tout effort est épuisant, ses bras lui font mal et ses os craquellent.
Le dos voûté, la tête baissée, le regard fixé sur ses petits
pas.
Quand il s’assoit sur le banc du parc et relève la tête, mon
regard se pose sur son visage.
Il n’a pas changé même si le temps de jolis sillons sur son
visage.
Il n’a pas changé même si les cheveux sont devenus blancs.
Il n’a pas changé, le sachet qu’il porte est témoin de son
grand coeur et de sa générosité.
Et puis... quand les pigeons sont rassasiés s’envolent en
lui frôlant la tête, ce rire tellement franc et fort qui déchire le silence du
parc, m’interpelle ».
J’ai lu plusieurs fois cette réponse.
Flots
de pensées.
Averses
d’images.
Afflux
de sensations.
Larmes.
Les larmes « sont-elles des perles de la pensée, comme
la rosée après une nuit noire : l’ultime de ce qu’un homme a pu ressentir
et penser et que sa plume n’a pas pu traduire en mots ? »[3]
J’ai envoyé ce « mail » à ma soeur :
« Qu’Allaah te récompense pour ce texte d’un coeur à un
autre coeur ».[4]
BOUAZZA
[1] Selon le calendrier dit
grégorien.
[2] Le ʺrʺ roulé, Casablanca.
[3] Driss
Chraïbi, L’Homme du Livre, Balland-Eddif (Eddif, Maroc, 1994, Balland,
France, 1995), p. 85.