jeudi 31 janvier 2019

LE RIRE QUI INTERPELLE


Lorsque j’observe des pigeons, je pense souvent à un texte daté de 1992 que j’ai écrit à la troisième personne.
Je l’ai partagé il y’a quelques années.
Et à la fin du mois de janvier 2019,[1] je l’ai adressé à ma soeur, épouse et mère, installée à Ddaar lbiidaa :[2]
« Il se voit très âgé, avec des os qui fléchissent en lui et une tête allumée de blancheur, marchant à petits pas vers un petit jardin, un petit sac en plastique à la main avec des petits morceaux de pain, pour servir à manger à des pigeons.
Les pigeons l’entourent et au bout d’un moment, partent dans un envol majestueux et reviennent tournoyer au dessus de sa tête.
Il les fixe et son rictus devient un sourire, puis un rire qui se confond avec le claquement des ailes et lui rappelle les vagues de la mer ».
Ma soeur m’a répondu :
« Je le vois de dos ce vieil homme aux pas indécis, les gestes longs et le regard qui en dit long.
Portant son sachet de pain comme une valise lourde, il faut dire là tout effort est épuisant, ses bras lui font mal et ses os craquellent.
Le dos voûté, la tête baissée, le regard fixé sur ses petits pas.
Quand il s’assoit sur le banc du parc et relève la tête, mon regard se pose sur son visage.
Il n’a pas changé même si le temps de jolis sillons sur son visage.
Il n’a pas changé même si les cheveux sont devenus blancs.
Il n’a pas changé, le sachet qu’il porte est témoin de son grand coeur et de sa générosité.
Et puis... quand les pigeons sont rassasiés s’envolent en lui frôlant la tête, ce rire tellement franc et fort qui déchire le silence du parc, m’interpelle ».
J’ai lu plusieurs fois cette réponse.
Flots de pensées.
Averses d’images.
Afflux de sensations.
Larmes.
Les larmes « sont-elles des perles de la pensée, comme la rosée après une nuit noire : l’ultime de ce qu’un homme a pu ressentir et penser et que sa plume n’a pas pu traduire en mots ? »[3]
J’ai envoyé ce « mail » à ma soeur :
« Qu’Allaah te récompense pour ce texte d’un coeur à un autre coeur ».[4]
  
BOUAZZA



[1] Selon le calendrier dit grégorien.
[2] Le ʺrʺ roulé, Casablanca.
[3] Driss Chraïbi, L’Homme du Livre, Balland-Eddif (Eddif, Maroc, 1994, Balland, France, 1995), p. 85.

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