C’était il y a très longtemps.
Je ne pouvais pas me souvenir du moment exact.
J’avais à peine trois ans parait-il.[1]
Mais c’est quelque chose qui ne me quitte pas.
J’y pense fort.
Le
mariage de mes parents ne s’était pas déroulé comme prévu.
La
confiance de ma mère a été trahie.
Et elle a été divorcée en violation
de ses droits les plus élémentaires.[2]
J’avais à peine trois ans.
Aujourd’hui
encore,[5] il
m’arrive de regarder la photo qui illustre ce texte.
Ma
mère, enceinte de moi, semble observer son ventre : est-ce pour ne pas
fixer l’objectif de l’appareil photo ?
Fixée
au mur afin de lui donner un relief autre, une couverture à desseins
géométriques, oeuvre peut-être de ma mère, qui excellait dans ce domaine.
Á
l’époque où la photo a été prise,[8] le
colonialisme français[9] n’avait
pas encore octroyé « l’indépendance dans l’interdépendance »[10] à
beaucoup de ses colonies d’Afrique[11] dont le
Maroc.
Chaque
fois que j’observe cette photo, je prends le temps de me regarder dans le
ventre de ma mère : que vois-je ?
Je
me pose la question.
Flots
de pensées.
Averses
d’images.
Afflux
de sensations.
Adolescent,
j’allais la voir quand je pouvais.
Quelques
kilomètres en pleine campagne.
Jusqu’à
l’humble demeure.[14]
Devancé
par mon cœur.
Je
fixais son sourire.
Il
sentait l’aube de la vie.
Je la regardais pétrir.
Ses doigts fins caressaient la pâte avec amour.
De
temps à autre, elle ajoutait une petite branche de bois dans le four fait par
elle-même.
Un
four de terre, en forme de bol renversé avec une ouverture devant pour allumer
le feu et introduire le pain à faire cuire, puis une ouverture au milieu pour
dégager la fumée.
Par
moments, la flamme éclairait son visage et lui donnait plus de chaleur.
Son
silence me parlait.
Elle
venait nous voir lorsqu’elle le pouvait.
Les premières visites dont je me
souviens, remontent à la fin des années cinquante, au début des années
soixante.
Il m’arrivait de mettre ma tête sur
ses genoux.
Elle me caressait les cheveux et me
grattait la tête.[15]
Elle parlait peu, presque à voix
basse.
Comme si elle parlait à elle-même.
Elle fuyait les regards comme si sa
présence gênait.
Elle mangeait à peine.
Nous nous observions discrètement,
mais intensément.
C' était il y a très longtemps.
C’était hier.[16]
BOUAZZA
[1]
Selon le calendrier dit grégorien.
[2]
Mon père a procédé de la même manière avec sa première épouse (ma mère était la
deuxième).
[3]
Mes trois sœurs, mon frère et moi.
[4] De par sa position d’employé
dans l’administration sous contrôle du colonialisme Français, mon père
avait décidé de nous garder, estimant que c’était ce qu’il fallait faire
puisque ma mère ne pouvait pas nous scolariser et nous assurer un avenir.
En
divorçant sa première épouse, il lui avait arraché aussi ses deux enfants, mon
frère aîné et ma première soeur.
Mon père a eu d’autres femmes et d’autres
enfants :
Avec
sa troisième épouse, il a eu huit enfants, mes cinq frères et mes trois soeurs/
Avec une autre femme, il a eu un enfant, mon frère.
Et d’un dernier mariage, il a eu deux enfants, ma soeur et mon frère.
Ma
mère de son côté, s’était remariée avec son cousin qui l’avait demandé en
mariage avant mon père, mais c’était mon père qu’elle voulait, parait-il.
Avec son cousin, elle a eu quatre enfants : mes
trois soeurs et mon frère.
[5]
J’ai soixante sept ans.
[6] Devenu
quelques années plus tard un personnage ʺimportantʺ du Maroc de ʺl’indépendance
dans l’interdépendanceʺ.
[7] Il y a
un certain nombre d’années, c’est cette soeur qui a confié cette photo à son
fils aîné, mon neveu enseignant universitaire, journaliste, et auteur d’un
livre sur le roi du Maroc, ce neveu qui vient me voir lors de ses passages en
France, a été chargé par ma soeur de me remettre cette photo.
[8]
Avant ma naissance qui remonte à l’année 1950, selon le calendrier dit
grégorien.
[9]
Et le colonialisme espagnol, ainsi que d’autres.
[10] Statut
octroyé par le système colonialo-impérialo-sioniste, et qui s’est traduit dans
les colonies par la multiplication des "États" supplétifs,
subordonnés avec plus ou moins de zèle, de soumission et de servilité dans
l’exécution des ordres des métropoles et autres employeurs.
Ces
"États" sont fondés sur l’imposture, le crime, la trahison, la
tromperie, la corruption, l’injustice, la perversion, la débauche, le mensonge,
le pillage, l’oppression, l’exploitation, le viol, la tyrannie, la torture,
l’enfermement, la négation de l’être humain.
Au
Maroc, occupé par la France, l’Espagne, et autres, occupation dite
″protectorat″, ce système a tout mis en place afin que le sultanat moribond
soit transformé en monarchie héréditaire, dite de "droit divin".
Le
sultan, protégé est alors devenu roi au service de ce système.
[11]
Et d’ailleurs.
[12]
Souk, marché.
[13]
Tiddas, à moins de cinquante kilomètres de Lkhmiiçaate (Khémisset).
[14] Aujourd’hui en ruines, depuis un certain temps déjà.
Il y a quelques années, un jour, ou
peut-être une nuit, en m’imaginant de retour sur les ruines de cette demeure,
j’ai écrit :
Des os fléchissent en moi et ma tête est
allumée de blancheur.
Emmitouflé, je contemple les ruines de ce
qui était une humble demeure paysanne.
Que dire de ce qui a été ?
Je regarde ce qui reste de ce qui servait
de cuisine où je tenais compagnie à ma
mère, pendant qu’elle préparait à manger.
[15]
Est-ce pour cette raison que j’aime toujours qu’on me caresse les cheveux et
qu’on me gratte la tête ?
[16] Le temps continue de s’écouler.
Les saisons succèdent aux saisons.
Alternance du jour et de la nuit.
Mes petits-enfants poussent.
Des petits-enfants qui aident à saisir plus
profondément encore, le cycle fabuleux, la voie du destin de chaque être qui accomplit ce
pourquoi il est dans cet univers, en attendant l’autre.
Allaah a fait de moi un fils, un époux, un père, un
grand-père.
Ses signes sont partout.
Sa miséricorde m’aide à les observer et à réfléchir.
Á méditer sur le jour qui se lève, sur le soleil et
ses lueurs matinales, sur la lune quand elle vient après lui, sur la nuit qui
s’étend, sur la terre, la mer, le ciel qui se rejoignent.
Des souvenirs s’assemblent.
Des pensées se rassemblent.
Des mots s’associent.
La mémoire résonne au rythme de l’inoublié.
Rythme du Sens et du Lien.
Rythme des couleurs originelles.
Rythme des graines qui germent.
Rythme des fleurs qui embaument le temps et l’espace.
Rythme des invocations.
Rythme de la louange.
Rythme de la Lumière.
Rythme de l’Amour.
Rythme du souvenir de Demain.
Ravissement.
Reconnaissance.
Ruissellement de paix.
Je suis grand-père et ma marche continue au rythme des
saisons, dans l’impermanence d’ici-bas, pour la permanence de l’au-delà.
Les bienfaits de ce monde me sont généreusement
offerts, et j’invoque le Seigneur des univers pour que les bienfaits de l’autre
monde me soient accordés.
ʺNous avons créé l’être humain d’un choix d’argile.
Puis Nous en fîmes un peu de liquide dans un lieu sûr. Puis Nous avons fait du
liquide une adhérence, puis de l’adhérence un morceau de chair, puis du morceau
de chair Nous avons créé des os, et avons revêtu les os de chair, puis Nous en
fîmes une autre créature. Béni soit Allaah, Le Meilleur des Créateurs. Puis
après cela vous êtes appelés à mourir. Puis le jour de la résurrection vous
serez ressuscitésʺ.
Alqoraane
(le Coran), sourate 23 (chapitre 23), Almouminoune, Les croyants, aayate 13 à
aayate 16 (verset 13 au verset 16).
Qu’Allaah m’aide à faire de mon mieux pour l’Adorer comme
Il le demande.
Je ne fais que reprendre ce dont j’ai déjà parlé.
Voir :
http://deshommesetdesfemmes.blogspot.com
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