Il y
a un demi-siècle.
J’étais
au lycée.
Interne.
Et
avant de retourner à l’internat en fin d’après-midi, j’aimais prendre un petit
pain au beurre, avec un café au lait.
Des
instants dont je garde toujours les parfums.
Comme
je garde aussi ceux de la camaraderie.
Et
en particulier d’un camarade dont j’ai déjà parlé.
« Notre
rencontre avait ce « quelque chose » qu’on n’explique pas et qui,
instantanément et de manière forte, scelle et renforce une relation, comme par
enchantement.
Il
venait de la région de Wjda,[6] d’une
famille très démunie matériellement.
Sa
richesse cependant était grande par l’authenticité de ses sentiments et sa
franche camaraderie.
Je
l’ai tout de suite aimé.
De
cet amour fraternel de notre jeune âge.
Et
c’était réciproque.
De
temps à autre, il m’arrivait de lui donner, discrètement un peu d’argent[7] ou autre
chose, avec humilité et modestie.
Il
acceptait sans façon car il avait tout de suite compris que c’était l’élan du
cœur.
Nous
avions beaucoup de plaisir à lire, et à échanger des idées[8].
Nous
passions de longs moments à rire aussi.
De
tout.
J’aimais
comme lui imiter les professeurs, parfois jusque dans les détails qui
paraissaient « insignifiants » et qui par notre imitation devenaient
« importants ».
En
arrivant au lycée, son rêve était d’atteindre la terminale, pour pouvoir
étudier la philosophie[9] qu’on
n’étudiait pas avant.
Cette
matière le passionnait.
Avant
la terminale, je l’appelais déjà alfaylasouf[10].
Je
pense parfois à lui.
« Dans
le noir de la cour de l’internat, il illuminait la soirée en parlant du ciel et
de la terre ».[11]
Qu’a
t-il atteint par le biais de la « philosophie » ?
A
t-il pu approfondir le Sens ?[12]
Renforcer
le Lien ?[13]
Je
l’espère de tout cœur ».
Le
temps continue de s’écouler.
Les
saisons succèdent aux saisons.
Alternance
des jours et des nuits.
Mes
petits-enfants poussent.
Des
petits enfants qui répandent les couleurs de la joie, renforcent les senteurs
des parfums de l’aube de la vie.
Des
petits-enfants qui aident à saisir plus profondément encore, le cycle fabuleux,
la voie du destin de chaque être qui accomplit ce pourquoi il est dans cet
univers, en attendant l’autre.
Allaah
a fait de moi un époux, un père, un grand-père.
Par
la vitre de la fenêtre, dans la pièce où je suis installé devant l’écran de
l’ordinateur, je peux contempler le violet des crocus et le blanc des
perce-neige, qui peignent, avec d’autres fleurs, le petit bout de jardin de la
maison où je suis installé avec mon épouse, et annoncent le printemps qui
arrive à grandes enjambées.
Les
Signes[14] sont
partout.
La
miséricorde d’Allaah m’aide à les observer et à réfléchir.[15]
Des
souvenirs s’assemblent.
Des
pensées se rassemblent.
Des
mots s’associent.
La
mémoire résonne au rythme de l’inoublié.
Rythme
du Sens et du Lien.
Rythme
des couleurs originelles.
Rythme
des graines qui germent.
Rythme
des fleurs qui embaument le temps et l’espace.
Rythme
des invocations.
Rythme
de la louange.
Rythme
de la Lumière.
Rythme
de l’Amour.
Rythme
du souvenir de Demain.
Ravissement.
Reconnaissance.
Ruissellement
de paix.
Je
suis grand-père et ma marche continue au rythme des saisons, dans
l’impermanence d’ici-bas, pour la permanence de l’au-delà.
Les
parfums de ce monde me sont généreusement offerts, et j’invoque le Seigneur des
univers[16] pour
que les parfums de l’autre monde me soient accordés.
« Nous
avons créé l’être humain d’un choix d’argile. Puis Nous en fîmes un peu de
liquide[17] dans un
lieu sûr. Puis Nous avons fait du liquide une adhérence, puis de l’adhérence un
morceau de chair, puis du morceau de chair Nous avons créé des os, et avons
revêtu les os de chair, puis Nous en fîmes une autre créature. Béni soit Allaah,
Le Meilleur des Créateurs. Puis après cela vous êtes appelés à mourir. Puis le
jour de la résurrection vous serez ressuscités ».[18]
BOUAZZA
[1]
Fès.
[2]
Le ʺrʺ roulé, Maroc.
[3]
Selon le calendrier dit grégorien.
[4]
Lorsque je ne faisais pas ce qui était appelé la grande sortie, du samedi soir
au dimanche soir.
[5]
Je n’avais pas assez d’argent de poche pour le faire souvent.
Mes camarades non plus.
[6]
Wajda, Oujda.
[7] Mon père
m’en donnait très peu.
[8] Il
n’aimait pas le sport, alors que pour moi, c’était important.
Je
ne comprenais pas comment il pouvait se dispenser de jouer au football.
[9] J’avais
compris par la suite qu’il s’agit de la ʺphilosophieʺ dite ʺeuropéenneʺ,
ʺoccidentaleʺ.
La
ʺphilosophieʺ de pays colonialo-impérialistes, dits ʺcivilisésʺ …
[10] Le
philosophe, lfaylasouf, faylasouf.
En terminale, je l’écoutais avec plus d’intérêt que je
ne le faisais avec le professeur.
Il était intarissable sur HEIDEGGER.
Je ne me souviens plus de tout ce qu’il disait, mais
j‘ai parfois l’impression d’entendre sa voix, lorsqu’il s’appliquait dans la
prononciation du nom de ce personnage, afin d’accentuer le côté ʺgutturalʺ pour
impressionner et des fois pour faire rire.
HEIDEGGER.
La sonorité de ce nom nous était plaisante et nous
donnait l’impression de connaître le personnage, juste parce que nous
connaissions son nom.
Plus
il parlait de ce personnage, et plus il exposait son souhait d’être enseignant
de philosophie dans un lycée.
[11]
Phrase mise dans un texte daté de 1992.
[12]
Le Sens du Message d’Allaah.
[13]
Le Lien avec Allaah.
[14]
Aayaate, pluriel de Aaya.
[15] Méditer sur le jour qui se lève, sur le soleil et ses
lueurs matinales, sur la lune quand elle vient après lui, sur la nuit qui
s’étend, sur la terre, la mer, le ciel qui se rejoignent.
Aimer à retrouver la Raison.
[16]
Rabb al’aalamiine (le ʺrʺ roulé).
[17] Goutte
de sperme.
[18]
Alqoraane (le Coran), sourate 23 (chapitre 23), Almouminoune, Les croyants,
aayate 13 à aayate 16 (verset 13 au verset 16).
[19]
L’Adoration, al’ibaada.
[20]
L’Islaam depuis Aadame (Adam) sur lui la bénédiction et la paix, consiste à
faire de son mieux pour Adorer Allaah, comme Allaah le demande.
Je ne fais que reprendre ce dont j’ai déjà parlé.
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