samedi 4 mars 2017

PENSÉES PARFUMÉES


C’était à Faas,[1] au Mghrib,[2] dans les années soixante.[3]
Il y a un demi-siècle.
J’étais au lycée.
Interne.
Le dimanche,[4] après le déjeuner, il m’était agréable d’aller parfois au cinéma.[5]
Et avant de retourner à l’internat en fin d’après-midi, j’aimais prendre un petit pain au beurre, avec un café au lait.
Des instants dont je garde toujours les parfums.
Comme je garde aussi ceux de la camaraderie.
Et en particulier d’un camarade dont j’ai déjà parlé.
« Notre rencontre avait ce « quelque chose » qu’on n’explique pas et qui, instantanément et de manière forte, scelle et renforce une relation, comme par enchantement.
Il venait de la région de Wjda,[6] d’une famille très démunie matériellement.
Sa richesse cependant était grande par l’authenticité de ses sentiments et sa franche camaraderie.
Je l’ai tout de suite aimé.
De cet amour fraternel de notre jeune âge.
Et c’était réciproque.
De temps à autre, il m’arrivait de lui donner, discrètement un peu d’argent[7] ou autre chose, avec humilité et modestie.
Il acceptait sans façon car il avait tout de suite compris que c’était l’élan du cœur.
Nous avions beaucoup de plaisir à lire, et à échanger des idées[8].
Nous passions de longs moments à rire aussi.
De tout.
J’aimais comme lui imiter les professeurs, parfois jusque dans les détails qui paraissaient « insignifiants » et qui par notre imitation devenaient « importants ».
En arrivant au lycée, son rêve était d’atteindre la terminale, pour pouvoir étudier la philosophie[9] qu’on n’étudiait pas avant.
Cette matière le passionnait.
Avant la terminale, je l’appelais déjà alfaylasouf[10].
Je pense parfois à lui.
« Dans le noir de la cour de l’internat, il illuminait la soirée en parlant du ciel et de la terre ».[11]
Qu’a t-il atteint par le biais de la « philosophie » ?
A t-il pu approfondir le Sens ?[12]
Renforcer le Lien ?[13]
Je l’espère de tout cœur ».
Le temps continue de s’écouler.
Les saisons succèdent aux saisons.
Alternance des jours et des nuits.
Mes petits-enfants poussent.
Des petits enfants qui répandent les couleurs de la joie, renforcent les senteurs des parfums de l’aube de la vie.
Des petits-enfants qui aident à saisir plus profondément encore, le cycle fabuleux, la voie du destin de chaque être qui accomplit ce pourquoi il est dans cet univers, en attendant l’autre.
Allaah a fait de moi un époux, un père, un grand-père.
Par la vitre de la fenêtre, dans la pièce où je suis installé devant l’écran de l’ordinateur, je peux contempler le violet des crocus et le blanc des perce-neige, qui peignent, avec d’autres fleurs, le petit bout de jardin de la maison où je suis installé avec mon épouse, et annoncent le printemps qui arrive à grandes enjambées.
Les Signes[14] sont partout.
La miséricorde d’Allaah m’aide à les observer et à réfléchir.[15]
Des souvenirs s’assemblent.
Des pensées se rassemblent.
Des mots s’associent.
La mémoire résonne au rythme de l’inoublié.
Rythme du Sens et du Lien.
Rythme des couleurs originelles.
Rythme des graines qui germent.
Rythme des fleurs qui embaument le temps et l’espace.
Rythme des invocations.
Rythme de la louange.
Rythme de la Lumière.
Rythme de l’Amour.
Rythme du souvenir de Demain.
Ravissement.
Reconnaissance.
Ruissellement de paix.
Je suis grand-père et ma marche continue au rythme des saisons, dans l’impermanence d’ici-bas, pour la permanence de l’au-delà.
Les parfums de ce monde me sont généreusement offerts, et j’invoque le Seigneur des univers[16] pour que les parfums de l’autre monde me soient accordés.
« Nous avons créé l’être humain d’un choix d’argile. Puis Nous en fîmes un peu de liquide[17] dans un lieu sûr. Puis Nous avons fait du liquide une adhérence, puis de l’adhérence un morceau de chair, puis du morceau de chair Nous avons créé des os, et avons revêtu les os de chair, puis Nous en fîmes une autre créature. Béni soit Allaah, Le Meilleur des Créateurs. Puis après cela vous êtes appelés à mourir. Puis le jour de la résurrection vous serez ressuscités ».[18]
Qu’Allaah m’aide à faire de mon mieux pour l’Adorer[19] comme Il le demande.[20]
  
BOUAZZA



[1] Fès.
[2] Le ʺrʺ roulé, Maroc.
[3] Selon le calendrier dit grégorien.
[4] Lorsque je ne faisais pas ce qui était appelé la grande sortie, du samedi soir au dimanche soir.
[5] Je n’avais pas assez d’argent de poche pour le faire souvent.
Mes camarades non plus.
[6] Wajda, Oujda.
[7] Mon père m’en donnait très peu.
[8] Il n’aimait pas le sport, alors que pour moi, c’était important.
Je ne comprenais pas comment il pouvait se dispenser de jouer au football.
[9] J’avais compris par la suite qu’il s’agit de la ʺphilosophieʺ dite ʺeuropéenneʺ, ʺoccidentaleʺ.
La ʺphilosophieʺ de pays colonialo-impérialistes, dits ʺcivilisésʺ …
[10] Le philosophe, lfaylasouf, faylasouf.
En terminale, je l’écoutais avec plus d’intérêt que je ne le faisais avec le professeur.
Il était intarissable sur HEIDEGGER.
Je ne me souviens plus de tout ce qu’il disait, mais j‘ai parfois l’impression d’entendre sa voix, lorsqu’il s’appliquait dans la prononciation du nom de ce personnage, afin d’accentuer le côté ʺgutturalʺ pour impressionner et des fois pour faire rire.
HEIDEGGER.
La sonorité de ce nom nous était plaisante et nous donnait l’impression de connaître le personnage, juste parce que nous connaissions son nom.
Plus il parlait de ce personnage, et plus il exposait son souhait d’être enseignant de philosophie dans un lycée.
[11] Phrase mise dans un texte daté de 1992.
[12] Le Sens du Message d’Allaah.
[13] Le Lien avec Allaah.
[14] Aayaate, pluriel de Aaya.
[15] Méditer sur le jour qui se lève, sur le soleil et ses lueurs matinales, sur la lune quand elle vient après lui, sur la nuit qui s’étend, sur la terre, la mer, le ciel qui se rejoignent.
Aimer à retrouver la Raison.
[16] Rabb al’aalamiine (le ʺrʺ roulé).
[17] Goutte de sperme.
[18] Alqoraane (le Coran), sourate 23 (chapitre 23), Almouminoune, Les croyants, aayate 13 à aayate 16 (verset 13 au verset 16).
[19] L’Adoration, al’ibaada.
[20] L’Islaam depuis Aadame (Adam) sur lui la bénédiction et la paix, consiste à faire de son mieux pour Adorer Allaah, comme Allaah le demande.
Je ne fais que reprendre ce dont j’ai déjà parlé.

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