Un
de mes compagnons de détention, celui qui me prêtait le cahier de la sœur qu'il
a perdue, va sortir demain, ine chaa-e Allaah.[1]
Je
me suis attaché à lui.
Un
frère.
Dès
que je l'ai vu, j'ai eu un élan particulier de sympathie à son égard.
Je
n'ai jamais cherché à savoir pourquoi.
L'éducateur
en prison dit que c'est une question d'atomes crochus.
Je
ne sais pas ce que cela signifie vraiment.
Je
ne connais que la tome de Savoie … ou l'atome nucléaire …
Depuis
son arrivée en prison, ce compagnon de détention m'a décrit avec d'infinis
détails ce qu'il fera une fois dehors.
L'éducateur
le sait aussi.
Nous
en avons souvent parlé ensemble.
Cette
sœur lui rappelle une des siennes.
À sa
sortie, le compagnon en détention ira sur la tombe de sa sœur …
Il
lui racontera son incarcération …
Je
connais cette sœur.
Il
n'a jamais cessé de m'en parler …
Elle
me connaît aussi.
Elle
est venue plusieurs fois dans ma cellule.
Nous
avons discuté longuement.
Elle
m'a gratté plus d'une fois la tête.
Jusqu'à
m'endormir.
Elle
sait que cela me plaît.
Je
ne me suis jamais lassé de la regarder.
Eblouissante.
Belle
comme les univers.
Son
frère m'a fait part de l'amour qu'elle a pour les parfums.
Avant
son départ, il lui en a offert un.
Celui
qu'elle préfère.
Il
se rappelle de tous les détails …
En
l'ouvrant, elle a fermé les yeux et a passé un long moment à sentir.
C'est
ce qu'elle fait toujours avec les parfums.
Elle
vit un instant de recueillement, une invocation ...
Il
m'a expliqué qu'une fois dehors, il va se procurer un flacon de parfum.
Celui
qu'elle préfère.
Il
ira retrouver cette sœur.
Partie
suite à ce que des médecins ont appelé une leucémie.
Il
lui fera sentir le parfum qu'il répandra tout autour d'elle puis lui parlera,
comme autrefois, lorsqu'ils étaient convaincus que l'échange continuait même
lorsqu'ils dormaient …
J'ai
attendu longtemps derrière les barreaux de la fenêtre de la cellule pour fixer
les pas de ce compagnon se dirigeant vers la sortie.
Lorsqu'il
s'est arrêté puis s'est retourné pour me regarder, je lui ai montré le papier
qu'il m'a glissé la veille.
Et
au même moment, la symphonie de nos rires s'est répandue au loin, reprise en
chœur dans le ciel par les corbeaux et les mouettes qui vivent dans notre
voisinage …
Vous
vous souvenez ?
Ce
papier contient une recette de cuisine.
Le
gâteau de foie.
Tu
haches un foie de volaille avec oignon, ail et persil.
Tu
fais roussir ce hachis dans l'huile d'olive.
Vierge
bien entendu.
Aussi
vierge que ta sœur avant qu'elle ne découvre l'huile de Rachid …[2]
Tu ajoutes
un peu de farine, tu tournes et tu laisses cuire.
Le
temps qu'il faudra.
Tu
délaies quatre jaunes d’œuf dans un demi-litre de lait.
Oui,
du lait de vache, pas de ta mère …
De
la vache qui rit de préférence, il est meilleur que celui de la vache folle …
Tu
verses les jaunes d’œuf avec le lait sur le hachis de foie et tu laisses
épaissir en tournant. Le temps qu'il faudra.
Tu
ajoutes du sel et du poivre.
Tu
montes les blancs en neige et tu les incorpores au tout.
Tu
mets au four, à température moyenne et tu attends que ça gonfle.
Le
temps qu'il faudra.
Puis
tu partages ce délice avec le plus grand nombre … et d'abord avec ma sœur et
moi …
Lorsque
j'ai lu cette recette, mes larmes cette nuit-là, avaient la senteur du parfum
préféré de ma sœur … parfum de vie …
Vous
connaissez ?[3]
BOUAZZA