Connaître
son passé pour comprendre son présent …
En
détention, dans le quartier des mineurs, l’éducateur me parle souvent de ce
point en soulignant que l’une de ses collègues en a fait le fondement de sa
réflexion …
Un
détenu avait une sœur qui pensait aussi beaucoup à cela …
Il
me parle toujours de cette sœur qu’il a perdue … et qui lui a laissé un cahier
qu’elle utilisait pour écrire sur le pays d’origine de ses parents en
expliquant qu’elle arrivait ainsi à comprendre le présent …
De
temps à autre, mon compagnon détenu me passe ce cahier.
Lorsque
je l’ai ouvert le premier soir où je l’ai eu dans ma cellule, je n’ai pas dormi
…
Je
suis tombé, mais sans me faire mal, sur une coupure du quotidien
« Bas-bouche »,[1] avec
une recette cul-inaire[2] de
madame Anastasia « la muse gueule d’amour ...
Prendre
une belle endive.
Tartiner
l’intérieur avec de la crème de Roquefort, parsemer d’œufs de lump, alterner
les rouges et noirs, présenter avec des oeufs de caille …
Je
n’ai jamais rien mangé de semblable.
Je
ne sais même pas ce que signifie une belle endive, ni comment sont les oeufs de
lump … mais les rouges et noirs m’ont fait couler l’eau de la bouche à inonder
la prison …
Rouges
et noirs … ça me met en transe.
En y
ajoutant les oeufs de caille, je n’ai pas pu empêcher mon estomac d’entamer une
interminable danse du ventre, mobilisant tout mon corps, conformément à la
coutume ancestrale, pas la Gauloise, l’autre, pour fêter ces mets comme il se
doit, c’est-à-dire en y associant tout le monde …
Je
ne vous dis pas la veillée …
Le
lendemain, en dépit de la fatigue, j’ai commencé à lire les écrits de la sœur …
À
mon rythme … qui cherche doucement le sens … et qui ne va pas vite pour faire
le lien …
« En
ce début de matinée, derrière les barreaux d’une fenêtre du poste de
surveillance installé sur la colline par les forces de l’occupation française,
le responsable fume une cigarette.
La
bouffée d’air qui pénètre dans les lieux lui passe par dessus la tête.
Il
se tourne et fixe le paysage tracé sur la carte accrochée au mur.
Avec
ses troupes, il contrôle la situation après avoir procédé à un massacre
généralisé.
Il
est fier de la marche de la Civilisation Française.
Il a
une pensée pour Clauzel, Bugeaud et autres serviteurs du colonialisme et des
idéologies qui y mènent et qui en découlent … ».
Dans
ce cahier, j’ai relu je ne sais combien de fois des lignes sur la
RÉSISTANCE :
« Les
canons de la soldatesque colonialiste tonnent.
Les
balles crépitent.
La
montagne explose déversant des cavaliers armés de leur FOI.
Un
cheval noir.
Les
ombres se rassemblent à l’APPEL.
Elles
refluent comme des vagues, puis remontent …
LA
RÉSISTANCE.
SAVEZ-VOUS
CE QU’EST LA RÉSISTANCE ?
ET
QUI VOUS DIRA JAMAIS CE QU’EST LA RÉSISTANCE ?
Le
cheval noir s’éloigne … ».
J’ai
discuté avec l’éducateur en détention plusieurs fois de ces écrits en lui
faisant savoir qu’il me faut d’énormes efforts auxquels je ne suis pas habitué,
pour les lire et des efforts encore plus grands pour les comprendre …
Il
m’a toujours répondu : LIS.
« Des
créatures meurent.
D’autres
naissent et meurent à leur tour.
Quiconque
rejette la RESISTANCE, n’a pas compris l’ESSENTIEL … ne cherche pas à saisir le
Sens … ne tient pas à faire le Lien … ».
Lorsque
je pose le cahier, il m’arrive de recevoir, dans la cellule, la sœur de mon
compagnon détenu.
Belle
comme les Univers.
Elle
me connaît.
Elle
me parle de moi et murmure :
« LES
JOURS S’EN VONT … JE DEMEURE … ».[3]
BOUAZZA
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire