Il y
a des choses difficiles à aborder, n’est-ce pas ?
« Les
ducs à tiffes »[1] par
exemple.
On
ne sait pas quoi en dire.
Alors,
on dit n’importe quoi.
On
fait tout pour rendre complexe ce qui est simple.
On
se gave de phraséologie et on bave d’autosatisfaction en parlant de lanternes
alors qu’on sait qu’il s’agit de vessies …
On
use de mots creux, brouillés, vidés, insignifiants, nuls …
La
cendre qu’emporte le vent un jour d’orage …
Ce
n’est pas de cela que je veux vous parler mais encore d’un mineur en détention.
Il a
eu rendez-vous au parloir avec son père il y a quelques jours.
Quatre
semaines après son incarcération.
Vous
savez que les démarches pour l’obtention d’un permis de visite sont
« kafkaïennes » comme vous dites.
Je
ne vous apprends rien, je sais …
Ce
mineur connaît peu de choses sur le parcours de ses parents.
Ce
rendez-vous au parloir a pris une immense importance.
Il
en parle de toutes ses fibres …
Tous
les jours, son père se lève très tôt.
Il
ne lui a jamais demandé ce qu’il faisait une fois dehors et le père n’a jamais
pensé à le lui dire …
Le
père s’engouffre dans les dédales du quotidien parmi la multitude.
Il
cherche sa part de ce qui est réparti entre les êtres.
Avant
de partir, il regarde dormir ses enfants et les couvre de son sourire.
Beau
comme les Univers.
Il a
toujours cru que cela suffisait à les protéger …
Mais
n’a pas su le leur transmettre …
À la
fin de son trajet en train, il glisse sous terre pour continuer en métro.
Le
kiosque à journaux étale ses papiers.
Insultants
pour le père.
Depuis
toujours.
Sans
intérêt …
La
cendre qu’emporte le vent un jour d’orage …
L’Essentiel
est ailleurs pour ce père d’un temps et d’un espace autres …
Les
affiches publicitaires tout le long du quai présentent la femme dans toutes les
positions comme support pour tout vendre …
Sur
l’une d’elles, une blonde, nue, face à une glace, prise de derrière et de
devant, vante la banane.
Texte :
Pour être LIBRE, mon corps a besoin de la banane.
La
banane, le fruit de la LIBERTÉ.
Sur
un banc, un sans domicile dort.
À
ses pieds, une bouteille de vin.
Vide.
Au
dessus, une affiche avec un enfant noir affamé.
Texte :
Défendez votre LIBERTÉ.
Envoyez
vos chèques pour qu’il reste en Afrique.
Le
père, au milieu du flot, accède au compartiment.
Parmi
les femmes assises, certaines font machinalement des gestes pour tirer sur le
bout de tissu qui leur sert de jupe, et attirent automatiquement des regards
vers ce qui leur tient lieu de culotte …
D’autres
se tripotent avec des types et s’introduisent mutuellement les langues dans les
bouches …
Des
culs sont collés à des sexes, des mains sont prises entre des fesses …
C’est
l’heure de pointe.
Des
hommes et des femmes paraissent plongés dans des lectures, semblent absorbés ou
dorment comme ils peuvent.
Des
voleurs à la tire opèrent tranquillement pendant qu’une voix enregistrée met en
garde contre les pickpockets …
Parmi
les usagers, ceux et celles qui veulent monter à l’arrêt, coincent ceux et
celles qui veulent descendre.
Les
émanations variées, les secousses multiples, le bruit de la machine, les
lamentations de plus en plus nombreuses de ceux et de celles qui font la manche
ajoutent à l’ambiance quotidienne du métro …
Vous
le savez.
Je
ne vous apprends rien, je sais …
Le
père descend et entreprend le trajet qu’il fait à pied pour atteindre son lieu
de travail.
Il
connaît les endroits de ce trajet où s’accumulent des seringues de drogués
jetées après usage, comme les capotes, les bouteilles d’alcool, et autres
traces d’activités nocturnes dans les recoins du chantier …
Le
père commence le travail.
Très
dur et très mal payé.
Dans
son parcours, il le vit cependant comme une prière.
Il
sent en lui une éclosion de sens.
Il a
la sensation de s’élever, comme dans un songe lointain, où il se voit avec des
oiseaux au dessus d’un océan sans limite …
Le
mineur en détention voulait que tout le monde le sache …
Il
en a même parlé aux corbeaux, aux mouettes autour de la Maison d’Arrêt et les a
chargé de transmettre …
Vous
le savez.
Je
ne vous apprends rien, je sais …[2]
BOUAZZA
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