vendredi 19 mai 2017

MARIAGE …

C'est moi.
Vous me connaissez un peu mieux maintenant.
Vous connaissez aussi l'éducateur dont je vous ai parlé, qui intervient en détention.
Je l'ai revu il n'y a pas longtemps, après ma sortie de prison, chez une famille du Nord, à Roubaix.
Instants mémorables …
j'ai oublié de vous dire que lorsqu'il a voulu faire éducateur, il a voulu le faire à Roubaix. Mais l'administration n'a pas eu de poste pour lui … cette cité coule dans ses artères.
Quand il en parle, je vis ce qu'il dit.
Il me rappelle mes connaissances profondes qui, en vrai, sont au-delà du temps et de l'espace. Vous comprenez ?
À Roubaix, les gens ont dans le cœur non seulement le « soleil qu'ils n'ont pas dehors », mais toutes les saisons du monde … et même les pavés le savent … dans les castagnes, ils ne sont pas étrangers à certains rires … aujourd'hui édentés … témoins de la vie, de certaines de ses manifestations …
Roubaix fait partie d'une région où autrefois jadis, des êtres de partout ont été réimplantés par milliers pour trimer dans les mines.
Force de travail intarissable.
Exploitable et corvéable à merci.
Cela a fait un mélange pas possible … genre « sous le couscous, le saucisson » … ou si vous préférez, « sous les pavés, les mères Guez » …
Mes parents y ont atterri, comme beaucoup d'autres, en arrivant de l'autre rive de la Mer Méditerranée, la Mer Blanche Intermédiaire, Albahr Alabyad Almotawassite.
Mais moi, Roubaix c'est mon Bled …
Ce soir, une famille fête un mariage.
Les occasions de ce genre « donnent du sens et créent du lien » … comme disait une éducatrice que j'ai connu il y a de cela toute une vie …
Tout le monde participe à la fête …
Peu de temps après mon arrivée avec des parents, j'ai reconnu la voix de l'éducateur.
Dans une pièce pleine, il animait à sa manière un échange avec François, un militant connu dans la cité, qui ne rate aucune occasion pour répandre la « bonne parole » parmi les « sauvageons » et leurs parents « les sauvages » …
Il ne connaît pas l'éducateur et ses « métamorphoses » …
Il pensait pouvoir faire de l'effet :
- Tout le monde sait que j'ai raison.
Je vais parler avec franchise.
- Ji croyi qui ji pouvi parli aussi, mi si ti vou parli avic franechise, ji ti lisse …[1]
- Non. Tu n’as pas compris ce que je veux dire.
Franchise, ce n'est pas quelqu'un avec qui je veux parler.
C'est une expression.
Cela signifie parler sans détours.
- Mi ji suis bite.[2]
- Non. Tu n'es pas bête.
C'est une incompréhension, c'est tout.
Les subtilités de la langue, ce n'est pas évident …
Bon.
Je vais éviter ce qui est complexe.
Notre approche de la « problématique migratoire » est objective.
Tu vois ?
Au fait, tu permets que je te tutoie ?
- Toi tuer moi ?
- Non.
Moi je ne suis pas toi.
Et toi tu n'es pas moi.
C'est sûr ça.
C'est certain.
Moi c'est moi et toi c'est toi.
Heureusement.
- Toi veux tuer moi?
- Non.
Pas du tout.
Moi pas vouloir tuer toi.
Je veux dire que je ne veux pas te tuer.
Tutoyer au lieu de vouvoyer.
C'est plus sympa … sympathique.
- Saint-Pathique, ji voua, comme Saint-dit-cas …
- Non. Pas comme syndicat …
L'assistance autour a dépassé le stade de l'hilarité, mais François reste sérieux et continue :
- Tu sais, pour la fête ce soir, j'ai prévu de faire écouter « le temps des cerises ».
- Icouti? Non, manger.
Le thon des soeurs Ize, nous aimons boucou,[3] avec épices …
- Manger épicé, vous savez faire …
- Oui, manger et pisser, y a bon …
Ecoute François, t'es très sympa, je te propose de venir avec moi pour saluer la mariée et son époux.
Ils sont supers et restituent une immémoriale harmonie.
Une harmonie qui n'est ni d'Orient ni d'Occident.
Quelque chose dont la valeur nous dépasse …
Chaque fois que je suis dans un cadre pareil, je sens une éclosion des sens, la mère du printemps … et je suis submergé de paix … une coulée de salaam …
François écoutait mais avait l'air sonné.
C'est comme s'il venait de recevoir un uppercut de Mohammad 'Ali …
L'éducateur, très attentionné l'entraîne, comme un passeur à travers l'agitation bruyante, après avoir fait un clin d’œil à quelqu'un qui déjà restituait ces scènes à sa manière …[4]
  
BOUAZZA




[1] Je croyais que je pouvais parler aussi, mais si tu veux parler avec franchise, je te laisse.
[2] Mais je suis bête.
[3] Beaucoup.
[4] Texte mis sur le net le 30 novembre 2003, selon le calendrier dit grégorien, à partir d’écrits antérieurs.

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