C'est
moi.
Vous
me connaissez un peu mieux maintenant.
Vous
connaissez aussi l'éducateur dont je vous ai parlé, qui intervient en
détention.
Je
l'ai revu il n'y a pas longtemps, après ma sortie de prison, chez une famille
du Nord, à Roubaix.
Instants
mémorables …
j'ai oublié de vous dire que lorsqu'il a voulu faire
éducateur, il a voulu le faire à Roubaix. Mais l'administration n'a pas eu de
poste pour lui … cette cité coule dans ses
artères.
Quand
il en parle, je vis ce qu'il dit.
Il
me rappelle mes connaissances profondes qui, en vrai, sont au-delà du temps et
de l'espace. Vous comprenez ?
À
Roubaix, les gens ont dans le cœur non seulement le « soleil qu'ils n'ont
pas dehors », mais toutes les saisons du monde …
et même les pavés le savent … dans les
castagnes, ils ne sont pas étrangers à certains rires …
aujourd'hui édentés … témoins de la
vie, de certaines de ses manifestations …
Roubaix
fait partie d'une région où autrefois jadis, des êtres de partout ont été
réimplantés par milliers pour trimer dans les mines.
Force
de travail intarissable.
Exploitable
et corvéable à merci.
Cela
a fait un mélange pas possible … genre
« sous le couscous, le saucisson » … ou
si vous préférez, « sous les pavés, les mères Guez » …
Mes
parents y ont atterri, comme beaucoup d'autres, en arrivant de l'autre rive de
la Mer Méditerranée, la Mer Blanche Intermédiaire, Albahr Alabyad
Almotawassite.
Mais
moi, Roubaix c'est mon Bled …
Ce
soir, une famille fête un mariage.
Les
occasions de ce genre « donnent du sens et créent du lien » … comme
disait une éducatrice que j'ai connu il y a de cela toute une vie …
Tout
le monde participe à la fête …
Peu
de temps après mon arrivée avec des parents, j'ai reconnu la voix de
l'éducateur.
Dans
une pièce pleine, il animait à sa manière un échange avec François, un militant
connu dans la cité, qui ne rate aucune occasion pour répandre la « bonne
parole » parmi les « sauvageons » et leurs parents « les
sauvages » …
Il
ne connaît pas l'éducateur et ses « métamorphoses » …
Il
pensait pouvoir faire de l'effet :
-
Tout le monde sait que j'ai raison.
Je
vais parler avec franchise.
- Ji croyi qui ji pouvi parli aussi, mi si
ti vou parli avic franechise, ji ti lisse …[1]
-
Non. Tu n’as pas compris ce que je veux dire.
Franchise,
ce n'est pas quelqu'un avec qui je veux parler.
C'est
une expression.
Cela
signifie parler sans détours.
- Mi
ji suis bite.[2]
-
Non. Tu n'es pas bête.
C'est
une incompréhension, c'est tout.
Les
subtilités de la langue, ce n'est pas évident …
Bon.
Je
vais éviter ce qui est complexe.
Notre
approche de la « problématique migratoire » est objective.
Tu
vois ?
Au
fait, tu permets que je te tutoie ?
-
Toi tuer moi ?
-
Non.
Moi
je ne suis pas toi.
Et
toi tu n'es pas moi.
C'est
sûr ça.
C'est
certain.
Moi
c'est moi et toi c'est toi.
Heureusement.
-
Toi veux tuer moi?
-
Non.
Pas
du tout.
Moi
pas vouloir tuer toi.
Je
veux dire que je ne veux pas te tuer.
Tutoyer
au lieu de vouvoyer.
C'est
plus sympa … sympathique.
-
Saint-Pathique, ji voua, comme Saint-dit-cas …
-
Non. Pas comme syndicat …
L'assistance
autour a dépassé le stade de l'hilarité, mais François reste sérieux et
continue :
- Tu
sais, pour la fête ce soir, j'ai prévu de faire écouter « le temps des
cerises ».
-
Icouti? Non, manger.
Le
thon des soeurs Ize, nous aimons boucou,[3] avec
épices …
-
Manger épicé, vous savez faire …
-
Oui, manger et pisser, y a bon …
Ecoute
François, t'es très sympa, je te propose de venir avec moi pour saluer la
mariée et son époux.
Ils
sont supers et restituent une immémoriale harmonie.
Une
harmonie qui n'est ni d'Orient ni d'Occident.
Quelque
chose dont la valeur nous dépasse …
Chaque
fois que je suis dans un cadre pareil, je sens une éclosion des sens, la mère
du printemps … et je suis submergé de paix … une coulée de salaam …
François
écoutait mais avait l'air sonné.
C'est
comme s'il venait de recevoir un uppercut de Mohammad 'Ali …
L'éducateur,
très attentionné l'entraîne, comme un passeur à travers l'agitation bruyante,
après avoir fait un clin d’œil à quelqu'un qui déjà restituait ces scènes à sa
manière …[4]
BOUAZZA
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