J’ai
reçu une lettre de mon pote et je n’arrête pas de la relire, chaque fois que je
regagne ma cellule.
Je
suis dedans, il est dehors mais nous sommes ensemble … un vrai pote …
Ce
qu’il m’écrit, c’est des trucs de ouf …[1]
La
semaine dernière, une loisegau[2] qu’il
connaît lui a raconté qu’elle s’est achetée un joint pour sa mère … il a flippé
… il avait beaucoup de mal à y croire …
Alors
le lendemain, il a cherché à savoir plus …
Elle
a confirmé en précisant que c’était dans une droguerie où sa mère avait ses
habitudes … Merde …
J’hallucine
…
Mon
pote a fini par découvrir que la droguerie ce n’est pas un endroit plein de
drogue …
Il a
donc dépoussiéré un peu ses neurones, comme Maigret,[3] et a
capté que le joint acheté par la loisegau n’était pas ce que vous croyez, mais
un joint pour la cafetière italienne de sa mère, dans une quincaillerie du
coin, ou droguerie …
Sa
mère … celle-là …
J’étais
mort de rire …[4]
Les
surveillants ont entendu dire « mort de rire » et ont conclu que
j’étais mort.
Ils
ont informé le service médical qui a commencé les démarches pour mon transfert
à la morgue …
À la
Maison d’Arrêt, on ne rigole pas avec les mots.
Dans
« mort de rire » il y a mort … donc morgue …
Il
m’a fallu beaucoup d’énergie pour prouver que j’étais encore « apte à
rester en détention » … que la vie est encore en moi comme mon zob[5] en
témoigne …
Et
ce n’était pas un faux témoignage …
Dans
la même lettre, mon pote continue de me parler de sa loisegau qui s’est rendue
en pharmacie pour demander un thermomètre auri-cul-aire[6] qui
coûte quarante cinq euros …
Je
ne sais pas ce que signifie auri-cul-aire.
Je
regarderais dans Larousse pour ça.
Pas
la juge.[7]
Le
dictionnaire.
Vous
vous rappelez ?
C’est
bien.
Alors
que ceux zé celles[8]
qui se rappellent, informent celles zé ceux qui ne savent pas …
Pour
la recette concernant les pieds de veaux, lkar’ine, aussi …
Mais
revenons au thermomètre.
Vu
le prix, moi j’aurais pris un thermomètre cul-aire tout simplement.
C’est
beaucoup moins cher, et tout le monde connaît.
Non ?
-
C’est de la merde je te dis …
- Je
sais que c’est de la merde …
J’ai
toujours su que c’est de la merde.
Ce
qui me fait chier c’est que personne n’arrive à s’en débarrasser …
- La
merde, personne ne peut s’en débarrasser …
-
Merde alors …
Au
café « French con-con », affalés au zinc, devant leur énième verre
d’alcool, deux zombies « échangent » sur les mineurs délinquants …
Mon
pote me parle de cela aussi dans sa lettre.
Il
est allé dans ce café pourri qu’il ne connaissait pas pour voir quelqu’un qui
n’est même pas venu …
Mon
pote m’écrit qu’il s’en bat les couilles de ce qu’il a entendu …
Il
dit ça par pudeur mon pote …
Il
n’étale pas sa souffrance … comme on étale je ne sais quoi …
Il
dit ça pour ne pas déshabiller son cœur …
Mais
moi je le connais …
Il
est comme moi …
Kif
kif …[9]
En
ce moment, les deux zombies ont sûrement déjà les gueules explosées …
Dans
un coin de rue, à proximité du « French Con-con » …
Ils
avaient beaucoup de mal à mettre les yeux en face des trous, alors ils ont
glissé sur une peau de banane basanée …
Comme
mon pote …
Qui
a le même profil que le mien …
Un
écrit-vain[10]
rappelle que les zombies ont des mères mal-baisées.
Parmi
les mal-baisées, certaines éducatrices sont bien classées et contribuent à
faire des zombies, des zombies encore des zombies … des zombies, des zombies,
toujours des zombies.
Je
parle à l’éducateur en détention des deux zombies du café.
Il
me lance un proverbe, m’invite à le retenir, à en faire part à mon pote dans ma
réponse après avoir fait appel à ce qui me sert de cervelle (il aime souvent me
dire cela), puis nous en discuterons après …
« Les
ducs à tiffes »[11] … Quoi
…
J’ai
attrapé sans mal le proverbe qui vient de je ne sais quelle cité.
Je
l’ai instantanément retenu.
Comme
une phrase de rap.
Il
est peut-être d’un rappeur d’ailleurs …
Putain
…
Ça
me botte …
Mon
pote va aimer aussi …
Le
proverbe dit :
« Les
chiens aboient, la caravane passe ».
Qu’est
ce que vous en dites, vous ?[12]
BOUAZZA
[1] De fou.
[2] Une gauloise.
[3] Le commissaire Maigret,
feuilleton télévisuel.
[4] MDR.
[5] Zeb, bite, pénis.
[6] Auriculaire.
[7] La rousse.
[8] Ceux et celles.
[9] Pareils, les mêmes.
[10] Un écrivain.
[11] L’éducatif.
[12]
Texte mis sur le net le 10 janvier 2004, selon le calendrier dit grégorien.
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