dimanche 14 mai 2017

RENAISSANCE


J’étais comme absent lorsque le surveillant est venu me tirer de la cellule, pour un entretien avec l’éducateur chargé de « m’accompagner dedans pour me préparer à être mieux dehors ». Joli refrain qui a autant d’effet sur moi que l’eau sur les plumes d’un canard sauvageon.
J’ai accepté d’y aller pour voir sa tronche, à celui-là encore qui s’intéresse à « la délinquance juvénile » …
Je suis arrivé, j’ai vu et je suis resté.
Quelque chose en ce type a retenu quelque chose de mon attention.
Il n’a pas attendu longtemps pour se mettre à parler …
J’avais la sensation que ses mots faisaient des efforts pour traverser l’espace entre nous et me parvenir.
Par moments, les efforts me paraissaient tellement soutenus que j’avais envie de donner un coup de main à ses mots pour qu’ils arrivent plus facilement.
Des mots de tous les horizons, de tous les âges …
Certains ne faisaient pas tout le chemin et se perdaient en route.
Et puis, petit à petit, j’ai eu l’impression d’écouter en fait quelque chose qui semblait venir de moi …
Curieux, n’est-ce pas ?
D’habitude, les mots me passent par dessus la tête.
Je n’avais même pas le temps de les voir, ni même de les entendre …
Et voilà que je me surprends, en écoutant ce mec, en train d’attraper des mots et de courir pour ne pas les perdre.
En leur courant après, j’entends le raisonnement de quelques-uns qui répandent un rythme me donnant envie de parcourir les cimes …
Comme autrefois … jadis …
- Il est possible, dit l’éducateur, de saisir les mouvements des deux rives de la Mer Blanche Intermédiaire.
C’est ainsi qu’est nommée en arabe la Mer Méditerranée.
Albahr Alabyad Almotawassite.
Il y a des mouvements que des êtres s’ingénient à obscurcir alors qu’ils sont d’une clarté … plus que claire …
Tu peux saisir l’essence de ces mouvements et d’autres encore …
Je sais … il y a des moments où les feuilles s’étiolent, où les branches s’affaiblissent et où l’arbre est à l’agonie …
La voix m’arrivait avec une sonorité qui me rappelait mon enfance …
L’aube de la vie …
je me voyais dans ses yeux et à mon regard, il a compris que j’étais à l’écoute …
- …mais la sève résiste.
Et lorsque la sève résiste, les feuilles repoussent. Les branches se revitalisent. L’arbre renaît. Il s’élève dans les cieux …
J’ai senti comme un éclair illuminant l’immensité.
Le temps et l’espace ont pris une autre dimension …
J’observais des flocons, on dirait de la laine teinte, agités par des vents et, comme dans un galop vertigineux, je me suis mis à courir, au rythme du chant inoublié…
Par le soleil et par son éclat …
Je me suis mis à pleurer alors que mon cœur riait …
Le ciel s’est baissé pour me caresser …
Je suis l’arbre qui renaît …
- Lève toi, c’est l’heure …
En ouvrant les yeux, je fus ébloui par un sourire, une grâce particulière m’annonçant le jour naissant …[1]
  
BOUAZZA




[1] Texte mis sur le net le 5 novembre 2003, selon le calendrier dit grégorien, sans la photo.

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