J’étais
comme absent lorsque le surveillant est venu me tirer de la cellule, pour un
entretien avec l’éducateur chargé de « m’accompagner dedans pour me
préparer à être mieux dehors ». Joli refrain qui a autant d’effet sur moi
que l’eau sur les plumes d’un canard sauvageon.
J’ai
accepté d’y aller pour voir sa tronche, à celui-là encore qui s’intéresse à
« la délinquance juvénile » …
Je
suis arrivé, j’ai vu et je suis resté.
Quelque
chose en ce type a retenu quelque chose de mon attention.
Il
n’a pas attendu longtemps pour se mettre à parler …
J’avais
la sensation que ses mots faisaient des efforts pour traverser l’espace entre
nous et me parvenir.
Par
moments, les efforts me paraissaient tellement soutenus que j’avais envie de
donner un coup de main à ses mots pour qu’ils arrivent plus facilement.
Des
mots de tous les horizons, de tous les âges …
Certains
ne faisaient pas tout le chemin et se perdaient en route.
Et
puis, petit à petit, j’ai eu l’impression d’écouter en fait quelque chose qui
semblait venir de moi …
Curieux,
n’est-ce pas ?
D’habitude,
les mots me passent par dessus la tête.
Je
n’avais même pas le temps de les voir, ni même de les entendre …
Et
voilà que je me surprends, en écoutant ce mec, en train d’attraper des mots et
de courir pour ne pas les perdre.
En
leur courant après, j’entends le raisonnement de quelques-uns qui répandent un
rythme me donnant envie de parcourir les cimes …
Comme
autrefois … jadis …
- Il
est possible, dit l’éducateur, de saisir les mouvements des deux rives de la
Mer Blanche Intermédiaire.
C’est
ainsi qu’est nommée en arabe la Mer Méditerranée.
Albahr
Alabyad Almotawassite.
Il y
a des mouvements que des êtres s’ingénient à obscurcir alors qu’ils sont d’une
clarté … plus que claire …
Tu peux
saisir l’essence de ces mouvements et d’autres encore …
Je
sais … il y a des moments où les feuilles s’étiolent, où les branches
s’affaiblissent et où l’arbre est à l’agonie …
La
voix m’arrivait avec une sonorité qui me rappelait mon enfance …
L’aube
de la vie …
je
me voyais dans ses yeux et à mon regard, il a compris que j’étais à l’écoute …
-
…mais la sève résiste.
Et
lorsque la sève résiste, les feuilles repoussent. Les branches se revitalisent.
L’arbre renaît. Il s’élève dans les cieux …
J’ai
senti comme un éclair illuminant l’immensité.
Le
temps et l’espace ont pris une autre dimension …
J’observais
des flocons, on dirait de la laine teinte, agités par des vents et, comme dans
un galop vertigineux, je me suis mis à courir, au rythme du chant inoublié…
Par
le soleil et par son éclat …
Je
me suis mis à pleurer alors que mon cœur riait …
Le
ciel s’est baissé pour me caresser …
Je
suis l’arbre qui renaît …
-
Lève toi, c’est l’heure …
En
ouvrant les yeux, je fus ébloui par un sourire, une grâce particulière
m’annonçant le jour naissant …[1]
BOUAZZA
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