vendredi 23 juin 2023

SON TEMPS ICI-BAS S’EST ACHEVÉ


La dernière fois que je vous ai parlé d’elle, c’était lorsqu’elle a eu sa cinquième vaccination.
Vous savez qu’en  raison de l’épidémie du coronavirus,[1] elle a vécu le premier confinement du 17 mars au 11 mai 2020.[2]
Ensuite, un deuxième confinement mis en place du 30 octobre au 15 décembre 2020.
Puis un troisième et un quatrième, avant même la fin de la période fixée pour le troisième.
Comme pour le troisième confinement qui a été appelé « mesures de freinage », le terme « déconfinement » a été écarté pour celui de « réouverture », avec étalement d’avril à fin juin.
En de novembre 2021, une vague de l’épidémie a failli entraîner un nouveau confinement.
Les vagues continuent, avec des variants et des sous-variants.
En juillet 2022, c’était la septième vague.
Elle avait fait sa cinquième vaccination sans ignorer que les personnes vaccinées peuvent ne pas échapper à l’épidémie.
Les soignants soignent et Allaah guérit.
Lorsqu’elle s’installait sur le fauteuil de la petite pièce qu’elle affectionnait tout particulièrement, elle était  transportée.
Dans cet espace réduit, les souvenirs qui jaillissaient n’étaient jamais à l’étroit.
La petite pièce pouvait en accueillir à l’infini.
Flots de pensées.
Averses d’images.
Afflux de sensations.
La famille à laquelle elle avait voulu être rattachée, était d’abord la famille de l’Islaam.[3]
Vous vous souvenez de ses voyages lorsqu’elle était dans la petite pièce avec une fenêtre qui lui permettait de voir le ciel ?
Vous vous rappelez de son évasion en Italie ?
De Haçane Ibn Alwazzaane ?
Il a été capturé par des pirates au XVIème siècle, et donné au Pape.
C’est le géographe Jean Léon de Médicis, dit Léon l’Africain.
« […] Après avoir vécu à Grenade, sa ville natale, à Fès, à Tombouctou, au Caire, à Constantinople, Léon passe plusieurs années à Rome, où il enseigne l’arabe, écrit la partie hébraïque d’un dictionnaire polyglotte, et rédige en italien, sa célèbre « description de l’Afrique », qui va rester pendant quatre siècles une référence essentielle […].
Homme d’Orient et d’Occident […] ».[4]
« À Rome, tu étais « le fils de l’Africain », en Afrique, tu seras « le fils du Roumi. »[5] Où que tu sois, certains voudront fouiller ta peau et tes prières. […]. Garde toi de ployer sous la multitude […]. Lorsque l’esprit des hommes te paraîtra étroit, dis-toi que la terre de Dieu est vaste […]. N’hésite jamais à t’éloigner, au-delà de toutes les mers, au-delà de toutes les frontières … ».[6]
Albahr[7] Alabyad Almotawassite.
La Mer Blanche Intermédiaire.
La Mer Méditerranée.
La Côte des Fleurs, la Riviera dei Fiori.
La terre des couleurs, la terra dei colori.
La Ligurie, Liguria.
Bordighera, la ville lumineuse où les palmiers se plaisent.
C’est quelqu’un paraît-il, au XIIème siècle, de retour d’Orient, qui a pensé que les palmiers se sentiraient bien dans un tel cadre.
Il a eu raison.
Des orangers, des citronniers, des bananiers, des mimosas et surtout des oliviers[8] tiennent compagnie aux palmiers.
Des merveilles dont les murmures d’Amour embaument l’air et rendent la mer encore plus parfumée.
L’huile d’olive de la Ligurie.
L’art culinaire.
Elle peut en parler longtemps, avec son talent de conteuse hérité de ses ancêtres, pas les gaulois, ni les romains, les autres.
Il ragû di coniglio colle olive.
Le tajiine[9] de lapin aux olives.
Tu prends un lapin de Ligurie.
Un lapin de Ligurie c’est encore autre chose que la succulence d’un agneau de montagne, ajoutée aux délices de coquelets de terroir que la mère de ta mère faisait mijoter toute la nuit, à feu doux, au milieu d’un trésor d’aromates et d’épices.
Tu prends donc ce lapin, tu te procures des olives, des oignons, du céleri, du romarin, du thym, du laurier, du poivre et de l’huile d’olive extra vierge.
Tu fais revenir dans l’huile les herbes et les oignons finement coupés, le temps qu’il faudra. Tu ajoutes les morceaux de lapin avec le thym, le laurier et ce qu’il faut d’eau pour avoir une sauce délicieuse à l’arrivée.
Tu laisses cuire.
Doucement.
Tranquillement.
À feu caressant.
Tu laisses cuire toute une vie s’il le faut.
Lorsque c’est cuit, tu ajoutes les olives.
Et au moment de manger, tu invites ceux et celles qui peuvent faire honneur à ces bienfaits dans la joie et la reconnaissance, et de penser à ta mère qui sait mettre les saveurs de l’amour dans chaque plat et sans laquelle les « recettes de cuisine » ne valent rien.
C’est de cette grand-mère que je vous entretenait.
Je n’avais pas manqué de vous signaler qu’après avoir envoyé des textos[10] à ses petits-enfants, elle s’était mise à une fenêtre pour échanger avec les éboueurs, se souhaiter mutuellement un bon mois de ramadaane.[11]
Des éboueurs, comme elle, issus du processus migratoire lié au colonialisme français en Afrique et ailleurs.[12]
En finissant d’échanger avec eux, elle s’était mise à marcher avec des hommes, des femmes, des enfants.
Elle entendait des mots, et voyait des images.
Des mots et des images en mouvement.
Des mots et des images qui font voler en éclats l’imposture.
Des mots et des images qui font sortir des ténèbres.
Des mots et des images qui envoient la Lumière au coeur.
Des mots et des images qui se répandent dans tout l’être.
Des mots et des images qui permettent de saisir le Sens.[13]
Des mots et des images qui renforcent le Lien.[14]
Elle témoignait.
Avec elle, le ciel, le soleil, la lune, les étoiles, le vent, la mer, les cours d’eau, la terre, les saisons, les animaux, les plantes, les univers, transmettent le même témoignage.
Parfois, à la fin d’un conte, le toit s’ouvrait, et elle rejoignait le ciel.
Des pigeons partaient dans un envol majestueux et tournoyaient autour d’elle.
Son coeur s’emplissait de lumière et tout le monde flottait agréablement dans le ciel, pendant que se répandait le chant inoublié, le chant du commencement.
Un fois, elle était en train de préparer des affaires pour partir.
Elle finissait de prendre des vivres dans une sorte de cuisine.
Quelques personnes accomplissaient la prière.
L’homme qui dirigeait cette prière lui avait demandé si elle allait partir pour de bon.
Après avoir répondu par l’affirmative, elle avait souhaité aux personnes que leur prière soit acceptée.
Elle marchait en s’abreuvant et en s’irrigant de l’eau qui coulait en elle.
L’eau alimentait des ruisseaux rouges.
Couleur de terre.
Sang des artères.
L’herbe jaillissait.
Verte.
Elle aimait les musulmans et les musulmanes[15] résistent, comme partout où les attaques sont menées contre eux.
Elle aimait les croyants et les croyantes[16] qui ont fait, font, et feront face à ceux et à celles qui, sous divers prétextes, les agressent de mille et une manières en les accusant de tous les maux afin de porter atteinte à leur Adoration[17] d’Allaah, comme Allaah le demande.
Elle aimait ceux et celles qui ont résisté, résistent et résisteront à l’incompréhension, au rejet, aux attaques, aux insultes, aux injures, aux calomnies, aux humiliations, et autres.
Ceux et celle dont la force de résistance a fait, fait, et fera d’eux, partout, la cible des imposteurs.
Mais les violations continues de leurs droits élémentaires et les multiples attaques contre eux, n’ont pas mis fin, ne mettent pas fin, et ne mettront pas fin à leur marche.
Une marche qui se poursuivra jusqu’à la fin de la vie ici-bas.
Aucun ennemi du Message d’Allaah ne peut l’arrêter.
Personne ne peut éradiquer l’Islaam.
Elle avait pensé à un écrivain,[18] Driss Chraïbi,[19] qui, en 1992, dans le cadre de l’émission radiophonique de France culture, « À voix nue »,[20] a eu cinq entretiens avec Rachel Assouline,[21] sur ses écrits, son parcours.
Cet écrivain arrivé en 1945 de la colonie du Maroc,[22] à la métropole en France, pour des études universitaires.
Il avait vécu dans ce pays jusqu’à la fin de son existence ici-bas[23] survenue le premier avril 2007, à l’âge de 81 ans.
Il était dans la Drôme[24] lorsqu’il a rejoint la vie dernière.[25]
À un moment de ses entretiens avec Rachel Assouline, Driss Chraîbi a précisé que dans sa vie, il a réussi une certaine harmonie entre l’Orient et l’Occident.
Il en avait peut-être « rêvé ».
Est-ce qu’elle s’intéressait à lui parce qu’elle avait aussi ce « rêve » ?
La grand-mère est partie.
Son temps ici-bas s’est achevé.
Qu’Allaah la couvre de Sa miséricorde. 
 
BOU’AZZA
[1] Covid 19.
[2] Selon le calendrier dit grégorien.
[3] L’Islaam depuis Aadame (Adam) sur lui la bénédiction et la paix, consiste à faire de son mieux pour Adorer Allaah, comme Allaah le demande.
L’Islaam n’est pas une question d’ethnie, de tribu, de clan, de classe sociale, de sexe, de couleur, de langue, de parti politique, de pays, de nationalité, d’Etat (le fait qu’un État ne soit pas fondé sur l’islaam, ne signifie nullement que les croyants et les croyantes installés dans une contrée ayant un tel État, ne font pas de leur mieux pour Adorer Allaah, comme Allaah le demande).
L’Islaam c’est ce qui unit les croyants et les croyantes où qu’ils soient, sur la base du Message d’Allaah, Le Seigneur des univers.
Alqoraane est la continuation, la synthèse, le parachèvement du Message d’Allaah, L’Unique.
Mohammad, l’ultime Messager et Prophète sur lui la bénédiction et la paix, a eu pour mission de le transmettre.
[4] Amin Maalouf, Léon l’Africain, Jean Claude Lattès, Paris1986, page de présentation.
[5] Roumi : du mot Romain, pour désigner ce qui n’est pas du blad, (bilaad, bled), du pays.
[6] Amin Maalouf, opt.cit. p.473.
[7] Le « r » roulé.
[8] [...] un arbre béni, un olivier ni oriental ni occidental.
[9] Le ragoût.
[10] Pluriel de texto qui est un court message écrit que l’on envoie depuis un téléphone mobile, sur un autre téléphone mobile (voir internet).
[11] Le « r » roulé, ramadan.
Mois de jeûne en Islaam.
Un mois où de l’aube au coucher du soleil, les personnes saines d’esprit et pubères ne doivent ni manger, ni boire.
Les époux et les épouses, des hommes et des femmes, ne doivent pas avoir de rapports sexuels pendant la journée du jeûne.
C’est un mois propice aux efforts pour se ressourcer afin de s’améliorer, pour essayer de faire de son existence ici-bas, une existence alimentée par le Message d’Allaah.
Un mois pour continuer, avec plus de force encore, le parcours dans la Voie d’Allaah.
[12] Le système colonialo-impérialo-sioniste a imposé à des populations entières de par le monde de chercher des moyens de subsistance dans des conditions, le plus souvent, atroces.
Beaucoup parmi elles, rurales, se sont trouvées dans des faubourgs de villes nouvelles coloniales, contraintes de s’adapter à des modes de survie dans des bidonvilles.
Ces populations ont connu la transplantation forcée dans leur pays d’origine, avant qu’elles ne soient poussées à le quitter parfois pour fournir la main d’œuvre, taillable et corvéable à merci, dont les métropoles avaient besoin.
Les régimes mis en place dans les colonies par la suite et qui sévissent toujours, ont accéléré les migrations pour répondre aux exigences de la métropole, et pour en faire un trafic qui rapporte.
C’est dire que le processus migratoire lié au colonialisme, ne peut pas être compris en occultant l’histoire de la transplantation d’êtres de sociétés rurales, d’êtres colonisés, maintenus dans l’ignorance et la misère, dépossédés et sans moyens dans des sociétés industrialisées.
« L’oubli de l’histoire n’est jamais neutre. Effacer le passé constitue l’un des plus sûrs moyens de stériliser toute analyse du présent, pour répéter inlassablement de vieilles recettes et réitérer les mêmes mécanismes de domination ».
Philippe Norel, « Malgré les sanglots de l’homme blanc... », dossier « Polémiques sur l’histoire coloniale », Le Monde diplomatique, bimestriel, juillet-août 2001, p. 73.
La France a eu recours à la main d’œuvre colonisée et transplantée en métropole et il a fallu de longues années pour que des travailleurs immigrés, dans le cadre dit du regroupement familial, puissent entreprendre des démarches afin d’avoir l’autorisation de faire venir leurs femmes et leurs enfants.
Les immigrés des colonies ne cessent de faire face à de multiples injustices et agressions, qui n’épargnent pas ceux et celles qui ont obtenu la nationalité française.
Le processus migratoire a bien entendu divers « visages » que beaucoup s’acharnent à défigurer, afin de masquer ce qu’ils veulent cacher.
Il importe donc d’essayer sans cesse d’en saisir les développements, les modifications, les changements, et autres.
Cette main d’oeuvre, dont la France et l’Europe ne veulent plus en raison des changements intervenus, continue néanmoins d’essayer d’arriver par n’importe quel moyen, en prenant tous les risques.
Elle fuit les colonies, même s’il n’est pas fait appel à elle, car elle n’arrive pas à se débarrasser de la merde qui gicle de partout, en Afrique et ailleurs.
Ce processus migratoire  ne cesse donc pas de mettre en relief certaines conséquences des méfaits du système colonialo-impérialo-sioniste qui a semé, et qui sème l’oppression.
[13] Le Sens du Message d’Allaah.
[14] Le Lien avec Allaah.
[15] Almoslimoune wa almoslimaate.
[16] Almouminoune wa almouminaate.
[17] ’ibaada.
La première lettre du mot ‘ibaada c’est la lettre ‘ (‘iine) qui n’existe pas dans l’alphabet français et non la lettre i qui n’est donc pas écrite ici en lettre majuscule.
[18] Qu’elle a beaucoup lu.
[19] Idriis Achchraaïbii  (les « r » roulé).
[20] Entretiens d’hier et d’aujourd’hui.
[21] Présentatrice et productrice de l’émission.
[22] Almaghrib (le « r » roulé).
[23] Addoneyaa.
[24] Il habitait à Crest.
[25] Alaakhira (le « r » roulé), l’au-delà.


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