jeudi 29 juin 2017

CÉCITÉ ...


Parmi les mineurs délinquants incarcérés, ou laissés en liberté, concernés par des décisions judiciaires, certains ont quelques difficultés dans l’usage courant de la langue française.
Les parents parfois ne parlent pas cette langue.
Il arrive à l’éducateur en détention de parler à quelques-uns, en cas de besoin, ainsi qu’à des parents, la langue du pays d’origine.[1]
Levée de boucliers.
Représentations.
Clichés.
Une violence inouïe, ancrée depuis des lustres, qui tente de se cacher derrière des mots « enveloppés » … des « non-dits » …
Une haine immense, insidieuse, véhiculée de longue date par ceux et celles qui ne connaissent rien de cette langue … en dépit de la « proximité » …
Un mépris profond qui prend le masque de « l’argumentation rationnelle » : l’éducateur auprès des mineurs fait partie d’une institution dans laquelle il doit être « neutre ».
Pour ce faire, il n’a pas à user de la langue de leur pays d’origine et de celui de leurs parents … car il risque de perdre sa « neutralité » …
Cette manière « d’ouvrir » le « débat » par une fermeture, n’est pas seulement une gabegie de plus, c’est une agression caractérisée, devenue ordinaire …
L’éducateur en détention a déjà connu des situations de ce genre, où une peur ancestrale, obscurantiste, dont personne ne tient à analyser les causes réelles, provoque des réactions « hystériques » …
À chaque fois, il a dénoncé l’« état d’esprit » qui continue, en dépit des discours des démagogues de tous bords, pires en réalité que des armes de destruction massive, à vouloir vendre, sous d’autres emballages, « l’histoire de nos ancêtres les gaulois » et autres horreurs qui n’ont pas disparu avec la fin des empires coloniaux et qui sont entretenues et alimentées par l’impérialisme et, consciemment ou pas, par toutes ses créatures.
C’est une partie d’un ensemble par lequel certains et certaines excluent ipso facto « l’autre », parce qu’il leur résiste et veulent le réduire à quelque chose qui ne doit exister que par rapport à la hiérarchie de normes qu’ils s’accordent le droit de lui imposer, pour le couper, qu’ils le sachent ou pas, de ses racines, de son identité, de sa mémoire et le détruire …
Ces gens-là cherchent à effacer même les mots qui peuvent garder un sens pour « l’autre » dans son parcours, dans son histoire.
Ils se rabattent, y compris sur le « verlan », pour dénaturer en fait des mots et les vider de leur contenu …
Ces gens-là sont un lourd problème.
Très lourd.
Ils ont énormément à faire s’ils veulent, un jour, « voir » les mineurs et leurs parents.
Que leur faut-il pour les « percevoir » ?
Ils ne se le demandent même pas, préoccupés qu’ils sont par leur nombril …
La cécité n’atteint pas les yeux, mais les cœurs …
Les cœurs de ces gens-là sont aveugles.
Un tel constat a des causes et des conséquences bien sûr.
L’éducateur en détention, avec humilité, fait des efforts pour essayer de les étudier, d’en tirer des enseignements et d’approfondir la réflexion sur le Sens et le Lien …
Tout reste à décoloniser.
Décoloniser « les ducs à tiffes »[2] n’est pas le plus simple …
Avec les mineurs délinquants incarcérés et leurs parents, comme avec d’autres, l’éducateur en détention continue d’avoir recours à la langue du pays d’origine en cas de besoin …
« Quand j’écris en français, ma langue « maternelle » se met en retrait : elle s’écrase […] Mais elle revient (comme on dit).
La mère, la terre, la loi voilée.
Et je travaille aussi à la faire revenir quand elle me manque ».[3]
  
BOUAZZA



Broderie réalisée par mon épouse.
[1] La langue arabe.
[2] L’éducatif.
[3] Abdelkebir Khatibi, La mémoire tatouée, Paris, Denoël, 1971, P. 206-207.
‘Abd Alkabiir (le ʺrʺ roulé), le serviteur du Grand, de l’infiniment Grand.
Texte mis sur le net, sans l’illustration, le 6 novembre 2004 selon le calendrier dit grégorien.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire