Jeune, il était, comme disent les
« spécialistes », promu à un « bel avenir ».
Les conditions ne manquaient pas pour lui permettre d’aller
facilement vers le haut de l’« échelle sociale ».
Mais lui, a préféré ne pas tenir compte de cette
« échelle » …
Il n’a pas cherché à « faire carrière », à
occuper un « poste important » …
Il a voulu faire de son mieux dans un système de valeurs AUTRE.
Beaucoup de personnes n’ont pas compris et ne comprennent
pas …
C’est ainsi …
Est-ce que l’aveugle est comme celui qui voit ?
Comment montrer que la cécité atteint les cœurs ?
Comment partager la lumière du discernement ?
Aujourd’hui, son parcours continue dans une autre fonction
dite d’éducateur.
Il agit en détention auprès des mineurs délinquants
incarcérés.
Avant cette fonction, il essayait déjà, à partir du thème
de l’autorité dans l’éducation, de comprendre pourquoi en France,
l’écrasante majorité des mineurs concernés par des décisions judiciaires,
sont originaires d’Afrique.[1]
Les éléments de réponse auxquels il a abouti, se trouvent
renforcés par son action auprès des mineurs délinquants incarcérés …
L’autorité est au centre de l’éducation.
Traiter des processus de l’éducation, c’est se trouver
confronté à l’exercice et aux formes de l’autorité.
Il y a une relation étroite, un lien fort entre les deux.
L’autorité est au carrefour de plusieurs disciplines.
Elle met en mouvement différentes interprétations et donne
lieu à de multiples analyses et pratiques.
Elle se nourrit d’innombrables apports.
C’est un phénomène universel.
S’agissant de sa « définition », il est
communément admis de dire que l’autorité constitue l’ensemble des relations de
commandement et d’obéissance.
Cela traduit la difficulté de la définir dans ses
ramifications variées.
Pour ce qui est du domaine de l’éducation, les démarches
sont nombreuses aussi.
L’éducation a un rôle d’apprentissage très large qui
englobe la capacité de s’abstraire, de prendre de la distance par rapport à
l’immédiateté du quotidien.
Il est difficile de parler d’éducation selon Kant en
l’absence d’une rupture avec cette immédiateté.
Pour Kant, l’apprentissage par les idées forme la capacité
de jugement.
Cette capacité est le fond de l’éducation.
Il s’agit alors de former pour atteindre, par la raison,
cette capacité de s’abstraire.
Kant en fait une force spirituelle.
L’opinion se forme dans l’expérience, le jugement[2]
dans l’éducation.
L’apprentissage, c’est quelque chose qui force la personne
à s’abstraire.
C’est une contrainte.
L’autorité dans l’éducation se rapporte à ce qui est mis en
œuvre pour donner du sens au processus de responsabilisation sociale.
S’agissant de ce processus, l’accent est mis sur
l’importance pour chaque personne de connaître ses obligations et ses
droits.
À partir de cela, on peut s’interroger sur les rapports à
l’autorité dans l’éducation des mineurs délinquants originaires d’Afrique,[3]
concernés par des décisions judiciaires.
Comment comprendre les mécanismes de ces rapports et leurs
implications ?
Les parcours des parents, des familles permettent de saisir
les mécanismes des rapports de ces mineurs délinquants à l’autorité dans
l’éducation.
Ces parcours éclairent des trajectoires et contribuent à
expliquer des implications.
Les trajectoires de vies de ces mineurs délinquants
s’articulent avec des histoires des parents, des familles.
Le travail sur les rapports de ces mineurs délinquants à
l’autorité dans l’éducation ne peut pas écarter les effets du colonialisme, de
l’impérialisme et de leurs agents.
La fin des empires coloniaux ne signifie pas la disparition
des effets du colonialisme, de l’impérialisme et de leurs agents.
Ces effets sont partout et concernent des domaines infinis.
En traitant de l’autorité, on a recours aux termes d’auctoritas
et de potestas.
Le premier terme est référé à un système de valeurs, à un
système d’échanges.
Il renvoie aux fondements, à la compétence, à la
transmission, au respect, à l’ascendant.
Le deuxième terme est référé à la contrainte, à la possibilité
de sanctionner et d’exclure.
La potestas repose sur le groupe et les besoins du
groupe imposent des limites.
Elle renvoie au pouvoir.
L’auctoritas et la potestas constituent
l’autorité.
Les différences qui les concernent n’occultent pas leur complémentarité
qui forme une sorte d’interaction dialectique, des liens qui construisent l’équilibre.
La distorsion entre l’auctoritas et la potestas entraîne
des problèmes.
Les explications de cette distorsion sont à chercher dans
les parcours des parents, des familles.
L’histoire des mineurs délinquants originaires d’Afrique ne
commence pas en France.
Elle ne commence donc pas à l’installation des parents dans
ce pays.
Il faudrait remonter au moins à la période coloniale pour
essayer de saisir ce processus.
En effet, les parcours de personnes ayant des attaches avec
le phénomène migratoire africain[4]
sont liés à cette donnée.
La période coloniale a modifié des modes de vie des
populations colonisées.
Des modes d’organisation ont été transformés.
Des valeurs aussi.
D’autres critères ont été introduits.
Des rapports différents au temps et à l’espace ont vu le
jour.
Un nouvel ordre des choses a été instauré, avec des données
qui ont contribué à changer la réalité et les représentations.
La période coloniale, il ne faut surtout pas l’oublier, a
bouleversé les données dans de multiples domaines.
L’appropriation des biens des pays colonisés, en violation
de leurs droits et en bafouant les lois, qui a constitué un des fondements de
la domination, et les moyens utilisés à cet effet, ont engendré de profondes
transformations.
Des populations entières furent tenues de chercher de quoi
subsister dans des conditions imposées par la nouvelle situation.
Ces populations, pour la plupart rurales, se sont trouvées
dans des banlieues de villes nouvelles, contraintes d’essayer de s’adapter à
d’autres modes de vie.
Ces populations ont connu la transplantation forcée dans
les pays d’origine avant que les circonstances ne les poussent à les quitter
parfois.
De nombreux ascendants de mineurs délinquants concernés par
des décisions judiciaires ont connu cela.
Le système néo-colonial, dit des « indépendances »,
mis en place par la suite, a accéléré les migrations vers les
« anciennes » métropoles.
Les parcours des personnes transplantées sont marqués par
des ruptures, des conflits, des changements qu’il n’est pas aisé de saisir dans
le détail.
Des questions de toutes sortes en découlent.
Les incidences sont variées.
Elles touchent bien entendu les fonctions parentales et les
modes d’organisation familiale. Elles agissent évidemment sur l’auctoritas
et la potestas.
La France a eu recours massivement à la main d’œuvre
africaine et autre.
Dans les années quatre-vingts, des immigrés, dans le cadre
du regroupement familial, ont été autorisés à faire venir leurs femmes et leurs
enfants.
Beaucoup continuent d’essayer d’arriver et de s’établir en
France ou dans d’autres pays, même s’il n’est plus fait appel à eux, pour avoir
des possibilités de vivre, fuyant les misères des pays d’origine.
Certains trouvent des femmes dans les pays d’immigration et
font des enfants.
Lors de ce processus, parmi toutes ces personnes,
nombreuses sont celles qui, en France, sont aujourd’hui françaises.
D’autres le seront demain.
Toutes ces personnes se trouvent dans des situations et
environnements qui leur demandent de nouvelles pratiques, d’autres modes de
vie, d’autres attitudes par rapport à des croyances, à des convictions, à des
traditions et autres.
Elles sont tenues de faire face à des changements continus
pour lesquels ils ne sont pas ou peu outillés, et d’essayer de s’adapter, sans
cesse, à des remaniements successifs dans des contextes difficiles.
Dans les sociétés d’origine, les parents ont eu à connaître
des manques dans de multiples domaines.
Leurs familles ont connu l’exode pour chercher à survivre comme elles peuvent, logées dans
des bidonvilles ou des habitats du même genre, maintenues dans l’ignorance,
sans formation, sans soins, sans sécurité, sans perspectives et sans beaucoup
d’autres choses.
Les enfants subissent ces manques.
Cela n’est pas sans conséquences sur l’autorité dans
l’éducation.
Les parents, qui ont eu des difficultés dans le nouveau
type d’échange inhérent à la période coloniale et néo-coloniale dans les
sociétés d’origine, n’échappent pas aux difficultés dans la société d’accueil.
Ils ne se sentent pas capables d’introduire leurs enfants
dans le système d’échange.
Ils savent qu’ils n’ont pas la compétence requise et se
sentent, petit à petit, dépossédés des attributs du pouvoir que confèrent les
fonctions de parents.
Ils se trouvent, par la force des choses, soumis en France
à d’incessantes pressions, dans d’innombrables domaines, pour s’inscrire dans
un schéma que la société d’accueil veut imposer.
Les déséquilibres s’accentuent.
Et au sein des familles, la dislocation des couples et la
désagrégation des liens se multiplient. Penser la famille devient complexe.
Cela n’est pas sans effets sur l’individu, sur la société
et donc sur l’autorité dans l’éducation. Ceci d’autant plus que beaucoup de
parents originaires d’Afrique, comme l’immense majorité des populations de ce
continent, subissent les ravages de la corruption, les horreurs de la cupidité
et les souffrances imposées par la cruauté des régimes africains en place.
Ces régimes répandent la crainte, la peur, la terreur.
Pour eux, la légitimité et la loi se résument à
l’oppression et aux pratiques tyranniques.
Les déséquilibres concernant l’autorité dans l’éducation
deviennent alors très graves.
La confusion se généralise et toutes les dérives deviennent
possibles.
Il en est ainsi dans les trajectoires des mineurs
délinquants originaires d’Afrique.
La situation est appelée à se compliquer.
Tout reste à décoloniser
…
BOUAZZA
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