Elle
ne sait pas lire et ne sait pas écrire.
Ce
n’était pas facile pour elle de faire les interminables démarches
administratives pour obtenir un permis de visite et un rendez-vous au parloir
de la prison afin de voir son fils incarcéré.
Elle
a fait ce qu’il fallait.
À
son rythme.
Elle
ne renonce pas et ne désespère jamais.
Et
pour son fils, elle a encore plus d’énergie.
Lorsque
son mari est mort en tombant d’un échafaudage sur le chantier d’un immeuble en
construction, elle s’est trouvée avec plus de responsabilités.
Elle
fait ce qu’elle peut.
Son
fils, encore mineur, est en prison.
Une
dure épreuve …
Petite
fille de l’autre côté de la Mer Blanche Intermédiaire, Albahr Alabyd
Almotawassite, la Mer Méditerranée, elle est devenue épouse, puis mère dans ce
pays qui avait colonisé et dominé sa terre natale …
Le
colonialisme et l’impérialisme ont modifié des modes de vie de populations
colonisées et dominées.
Des
massacres ont été perpétrés.
Des
crimes multiples.
Des
carnages.
Des
horreurs dans plusieurs domaines.
Des
pillages.
Des
tortures.
Des
viols.
Des
transgressions sans nombre.
Des
humiliations.
La
désagrégation planifiée.
Le
désarroi répandu.
Les
déséquilibres provoqués.
L’harmonie
mutilée.
La
mémoire infectée.
La
décomposition alimentée.
Des
modes d’organisation ont été transformés.
Des
valeurs aussi.
D’autres
critères ont été introduits.
Des
rapports différents aux autres, au temps et à l’espace ont vu le jour.
Un
nouvel ordre des choses a été instauré avec des données qui ont contribué à
changer la réalité et les représentations.
Les
« empires coloniaux » ont peut-être disparu, mais pas les effets du
colonialisme et de l’impérialisme.
Ces
effets n’ont pas à être occultés.
Les
questionnements ne disparaissent pas dans les contextes post-coloniaux ou
néo-coloniaux, dits des « indépendances ».
Le
système colonialiste et impérialiste de France connaît les méthodes du
colonialisme et de l’impérialisme.
Il a
imposé à des populations entières de par le monde de chercher des moyens de
subsistance dans des conditions terribles.
Beaucoup
parmi elles, rurales, se sont trouvées dans des faubourgs de villes nouvelles
coloniales, contraintes de s’adapter à des modes de survies dans des
bidonvilles.
Ces
populations ont connu la transplantation forcée dans leur pays d’origine, avant
que les circonstances ne les poussent à le quitter parfois.
Le
système néo-colonial mis en place par la suite et qui sévit toujours dans
l’horreur, a accéléré les migrations vers les anciennes métropoles.
Le
processus migratoire ne peut pas être compris en occultant l’histoire de la
transplantation d’êtres de sociétés rurales, d’êtres colonisés, dominés,
maintenus dans l’ignorance, dépossédés, sans moyens dans des sociétés
industrialisées qui, par de multiples mécanismes, ont imposé et imposent leur
pouvoir.
La
France a eu recours à la main d’œuvre colonisée et transplantée en métropole.
Et à
partir des années quatre-vingts seulement, des travailleurs immigrés, dans le
cadre dit du regroupement familial, ont été autorisés à faire venir leurs
femmes et leurs enfants. Aujourd’hui, beaucoup continuent d’essayer d’arriver
et de s’établir ici ou ailleurs, même s’il n’est pas fait appel à eux, pour
tenter de fuir les misères des pays d’origine où les gouvernements dits « indépendants »
servent les intérêts de ceux qui les ont mis en place à cet effet, en imposant
des systèmes sanguinaires.
C’est
ainsi que la mère du mineur délinquant incarcéré est arrivée en France.
Son
parcours est semé de ruptures, de conflits, de changements qu’il n’est pas
simple de saisir dans le détail pour qui ne connaît pas la patience.
Les
incidences sont multiples.
C’est
ici qu’elle est devenue épouse et mère.
Elle
est devenue veuve aussi.
Lorsqu’elle
pense à son époux, elle se remémore souvent un moment où, ensemble, ils ont
écouté une jeune fille leur lire un de ses textes sur la RÉSISTANCE :
« Les
canons de la soldatesque colonialiste tonnent.
Les
balles crépitent.
La
montagne explose déversant des cavaliers armés de leur FOI.
Un
cheval noir.
Les
ombres se rassemblent à l’APPEL.
Elles
refluent comme des vagues, puis remontent …
LA
RÈSISTANCE.
SAVEZVOUS
CE QU’EST LA RÉSISTANCE ?
ET
QUI VOUS DIRA JAMAIS CE QU’EST LA RÉSISTANCE ?
Le
cheval noir s’éloigne … »
Sera-t-elle
grand-mère ici ?
Retournera
t-elle pour mourir là-bas ?
Elle
ne se pose pas ce genre de questions …
Tout
au long de son parcours, elle a toujours senti dans sa poitrine des battements
tels ceux du cœur de sa mère.
Elle
les garde en elle et sait qui les alimente.
C’est
ce qui compte pour elle.
Le
reste ?
De
la cendre qu’emporte le vent un jour d’orage …
Son
histoire n’a pas commencé en France.
Elle
remonte à l’aube de la Vie.
Elle
sait que tout est en mouvement.
Chacun
se doit d’assumer son destin.
Elle
participe à la Marche.
La
Marche qui lui permet de comprendre le Sens, de saisir le Lien.
Son
fils, comme beaucoup d’autres enfants comme lui, est aujourd’hui Français.
Pour
elle, c’est dans l’ordre des choses.
Mais
pourquoi est-il délinquant ?
Qu’est
ce qu’elle n’a pas pu lui transmettre ?
Elle
cherche la réponse mais n’arrive pas à la trouver …
Ce
n’est pas simple …
L’épreuve
continue …
La
semaine dernière, son fils a reçu d’elle une lettre :
-
« Je n’ai pas l’habitude d’écrire.
Tu
le sais.
C’est
la première lettre que je t’adresse.
Je la
dicte à quelqu’un qui saura, j’espère, te transmettre ce que je ressens. […]
On
tente de m’expliquer, par des mots qui ne me parlent pas, que je ne comprends
pas, ce qui t’est arrivé. […]
Tu
me connais.
Je
ne peux donner que ce que j’ai.
Ce
que j’ai d’inestimable, je n’ai pas pu te le transmettre.
Tu
peux, toi, m’expliquer pourquoi ?
Tu
n’as peut-être pas compris mes mots.
Finiras-tu
par les comprendre un jour ?
Est-ce
que tu sens dans ta poitrine des battements tels ceux de mon cœur ?
Est-ce
que tu sais qui les alimente ? ».
Au
parloir, elle n’a pas dit grand-chose.
Elle
a longuement regardé son fils.
Et
au bout d’un moment, elle a entonné un chant.
Ce
chant a été entendu par tous les détenus.
Et
aussi par les corbeaux et les mouettes autour de la prison.
Ces
corbeaux et ces mouettes ont repris en chœur dans le ciel, ce chant
intitulé :
Le
Paradis est sous les pas des mères …[1]
BOUAZZA
Peinture
réalisée par mon épouse.
[1] Texte
mis sur le net, sans l’illustration, le 30 mai 2004 selon le calendrier dit
grégorien, à partir d’écrits antérieurs.
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