jeudi 15 juin 2017

LES DONS DE LA MÈRE ...


Elle ne sait pas lire et ne sait pas écrire.
Ce n’était pas facile pour elle de faire les interminables démarches administratives pour obtenir un permis de visite et un rendez-vous au parloir de la prison afin de voir son fils incarcéré.
Elle a fait ce qu’il fallait.
À son rythme.
Elle ne renonce pas et ne désespère jamais.
Et pour son fils, elle a encore plus d’énergie.
Lorsque son mari est mort en tombant d’un échafaudage sur le chantier d’un immeuble en construction, elle s’est trouvée avec plus de responsabilités.
Elle fait ce qu’elle peut.
Son fils, encore mineur, est en prison.
Une dure épreuve …
Petite fille de l’autre côté de la Mer Blanche Intermédiaire, Albahr Alabyd Almotawassite, la Mer Méditerranée, elle est devenue épouse, puis mère dans ce pays qui avait colonisé et dominé sa terre natale …
Le colonialisme et l’impérialisme ont modifié des modes de vie de populations colonisées et dominées.
Des massacres ont été perpétrés.
Des crimes multiples.
Des carnages.
Des horreurs dans plusieurs domaines.
Des pillages.
Des tortures.
Des viols.
Des transgressions sans nombre.
Des humiliations.
La désagrégation planifiée.
Le désarroi répandu.
Les déséquilibres provoqués.
L’harmonie mutilée.
La mémoire infectée.
La décomposition alimentée.
Des modes d’organisation ont été transformés.
Des valeurs aussi.
D’autres critères ont été introduits.
Des rapports différents aux autres, au temps et à l’espace ont vu le jour.
Un nouvel ordre des choses a été instauré avec des données qui ont contribué à changer la réalité et les représentations.
Les « empires coloniaux » ont peut-être disparu, mais pas les effets du colonialisme et de l’impérialisme.
Ces effets n’ont pas à être occultés.
Les questionnements ne disparaissent pas dans les contextes post-coloniaux ou néo-coloniaux, dits des « indépendances ».
Le système colonialiste et impérialiste de France connaît les méthodes du colonialisme et de l’impérialisme.
Il a imposé à des populations entières de par le monde de chercher des moyens de subsistance dans des conditions terribles.
Beaucoup parmi elles, rurales, se sont trouvées dans des faubourgs de villes nouvelles coloniales, contraintes de s’adapter à des modes de survies dans des bidonvilles.
Ces populations ont connu la transplantation forcée dans leur pays d’origine, avant que les circonstances ne les poussent à le quitter parfois.
Le système néo-colonial mis en place par la suite et qui sévit toujours dans l’horreur, a accéléré les migrations vers les anciennes métropoles.
Le processus migratoire ne peut pas être compris en occultant l’histoire de la transplantation d’êtres de sociétés rurales, d’êtres colonisés, dominés, maintenus dans l’ignorance, dépossédés, sans moyens dans des sociétés industrialisées qui, par de multiples mécanismes, ont imposé et imposent leur pouvoir.
La France a eu recours à la main d’œuvre colonisée et transplantée en métropole.
Et à partir des années quatre-vingts seulement, des travailleurs immigrés, dans le cadre dit du regroupement familial, ont été autorisés à faire venir leurs femmes et leurs enfants. Aujourd’hui, beaucoup continuent d’essayer d’arriver et de s’établir ici ou ailleurs, même s’il n’est pas fait appel à eux, pour tenter de fuir les misères des pays d’origine où les gouvernements dits « indépendants » servent les intérêts de ceux qui les ont mis en place à cet effet, en imposant des systèmes sanguinaires.
C’est ainsi que la mère du mineur délinquant incarcéré est arrivée en France.
Son parcours est semé de ruptures, de conflits, de changements qu’il n’est pas simple de saisir dans le détail pour qui ne connaît pas la patience.
Les incidences sont multiples.
C’est ici qu’elle est devenue épouse et mère.
Elle est devenue veuve aussi.
Lorsqu’elle pense à son époux, elle se remémore souvent un moment où, ensemble, ils ont écouté une jeune fille leur lire un de ses textes sur la RÉSISTANCE :
« Les canons de la soldatesque colonialiste tonnent.
Les balles crépitent.
La montagne explose déversant des cavaliers armés de leur FOI.
Un cheval noir.
Les ombres se rassemblent à l’APPEL.
Elles refluent comme des vagues, puis remontent …
LA RÈSISTANCE.
SAVEZVOUS CE QU’EST LA RÉSISTANCE ?
ET QUI VOUS DIRA JAMAIS CE QU’EST LA RÉSISTANCE ?
Le cheval noir s’éloigne … »
Sera-t-elle grand-mère ici ?
Retournera t-elle pour mourir là-bas ?
Elle ne se pose pas ce genre de questions …
Tout au long de son parcours, elle a toujours senti dans sa poitrine des battements tels ceux du cœur de sa mère.
Elle les garde en elle et sait qui les alimente.
C’est ce qui compte pour elle.
Le reste ?
De la cendre qu’emporte le vent un jour d’orage …
Son histoire n’a pas commencé en France.
Elle remonte à l’aube de la Vie.
Elle sait que tout est en mouvement.
Chacun se doit d’assumer son destin.
Elle participe à la Marche.
La Marche qui lui permet de comprendre le Sens, de saisir le Lien.
Son fils, comme beaucoup d’autres enfants comme lui, est aujourd’hui Français.
Pour elle, c’est dans l’ordre des choses.
Mais pourquoi est-il délinquant ?
Qu’est ce qu’elle n’a pas pu lui transmettre ?
Elle cherche la réponse mais n’arrive pas à la trouver …
Ce n’est pas simple …
L’épreuve continue …
La semaine dernière, son fils a reçu d’elle une lettre :
- « Je n’ai pas l’habitude d’écrire.
Tu le sais.
C’est la première lettre que je t’adresse.
Je la dicte à quelqu’un qui saura, j’espère, te transmettre ce que je ressens. […]
On tente de m’expliquer, par des mots qui ne me parlent pas, que je ne comprends pas, ce qui t’est arrivé. […]
Tu me connais.
Je ne peux donner que ce que j’ai.
Ce que j’ai d’inestimable, je n’ai pas pu te le transmettre.
Tu peux, toi, m’expliquer pourquoi ?
Tu n’as peut-être pas compris mes mots.
Finiras-tu par les comprendre un jour ?
Est-ce que tu sens dans ta poitrine des battements tels ceux de mon cœur ?
Est-ce que tu sais qui les alimente ? ».
Au parloir, elle n’a pas dit grand-chose.
Elle a longuement regardé son fils.
Et au bout d’un moment, elle a entonné un chant.
Ce chant a été entendu par tous les détenus.
Et aussi par les corbeaux et les mouettes autour de la prison.
Ces corbeaux et ces mouettes ont repris en chœur dans le ciel, ce chant intitulé :
Le Paradis est sous les pas des mères …[1]
  
BOUAZZA





Peinture réalisée par mon épouse.
[1] Texte mis sur le net, sans l’illustration, le 30 mai 2004 selon le calendrier dit grégorien, à partir d’écrits antérieurs. 

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