dimanche 25 juin 2017

SOUFFLE ...


Un jeune de dix-sept ans a été incarcéré.
Il vient d’une cité de banlieue classée comme lieu de perdition et repaire de sauvageons par l’arrogance d’idéologies mensongères et trompeuses de tous bords.
Mandat de dépôt d’un mois.
À la Maison d’Arrêt, c'est-à-dire en prison.
Il a toujours contesté l’argumentation utilisée pour son incarcération.
L’éducateur chargé de son suivi en détention a fait une « note de situation » au magistrat pour mettre en relief certains éléments.
Ils n’ont pas été pris en compte par le magistrat qui a décidé de renouveler le mandat de dépôt.
À la fin du deuxième mois, le mineur incarcéré est sorti de prison.
La loi ne permet pas au magistrat de prolonger encore le mandat de dépôt.
Détention préventive.
Le jugement aura lieu plus tard …
La sortie du mineur n’est pas passée inaperçue.
À la cité, le soir même, « on fêta l’événement par le régal des régals : le boundouk[1], un chaudron géant où très longtemps un mouton entier avait mijoté et libéré le jus de sa viande, de ses os et de ses tripes; à mi-cuisson, on lui avait adjoint une brassée de légumes et quelques épices connues des montagnards seuls, c’est-à-dire un choix harmonieux de ce qui avait poussé sur terre et sous terre, à proportions égales de saveurs avec le suc du ruminant. Et maintenant, découpée en quartiers, abats fumants par-dessus, la viande était servie dans un plateau en bois d’arganier large de deux enjambées d’homme. Deux autres plateaux tout aussi immenses contenaient respectivement les légumes et un dôme de grains d’orge verts, tendres, cueillis juste avant la maturation et que des douzaines de mains de femmes avaient cuits sur un treillis de doum, à la fumée d’un feu de bois. Au son des tambours, des flûtes et des cymbales qui dialoguaient de crête en crête, on formait religieusement une boule de boundouk avec quelques légumes et un morceau de viande, on l’arrosait d’une louchée de bouillon, et puis on mastiquait dans le recueillement d’une prière muette à la Mère Nourricière, yeux fluides, narines palpitant d’émotion ».[2]
Le chat des voisins participe à la fête.
Il est connu.
Les autres matous aussi.
Subitement, une sorte d’émotion enveloppe l’assistance.
Le chat semble faire de gros efforts pour permettre à chacun de garder de lui ce qu’il y a de mieux …
Il semble au bout du chemin ici-bas.
Au loin, des reflets dans le fleuve prennent des formes et des couleurs particulières.
Pendant un instant, le silence s’est instauré … comme pour écouter ce chat qui paraît dire par son regard :
« Les uns partent, les autres arrivent.
C’est ainsi.
Nous nous devons d’assumer le destin … ».
Dans un coin, le mineur sorti de prison pense à son arrestation …
Il était parmi la multitude.
Une manifestation contre les systèmes colonialo-impérialistes et leurs serviteurs …
Il marchait …
« Et marche aujourd’hui et marche demain, à force de marcher on fait du chemin ».
Un immense souffle est en lui.
Le souffle de l’enfant qui naît semble être l’écho de ce souffle …
Le souffle de la résistance …
La corruption, la servilité, les compromissions, les mensonges, les trahisons, les viols, les crimes, les massacres, les tortures, les horreurs …
De la cendre qu’emporte le vent un jour d’orage.
LA RÉSISTANCE.
SAVEZ-VOUS CE QU’EST LA RÉSISTANCE ?
ET QUI VOUS DIRA JAMAIS CE QU’EST LA RÉSISTANCE ?
‘Omar, débordant de Foi, répand son énergie et son endurance …
Un cheval noir s’éloigne …
Une vache continue de ruminer …
Une montagne explose déversant des bisons …
Géronimo, redevenu enfant, entonne le chant de la louange …
Les ombres se rassemblent à l’Appel …
Elles refluent comme des vagues puis remontent …
Avec d’autres, le mineur a pris une banderole.
Ils ont dessiné un rire d’enfant …
« Les forces de l’ordre » avaient mobilisé d’énormes moyens de répression pour empêcher ce rire d’éclater …
Le mineur, avec d’autres a été arrêté et incarcéré pour « incitation à la haine ».
Le chat le fixe.
Il se voit dans ses yeux et il se voit dans les siens.
Il lit en lui et sait, de source sûre, qu’il sent les événements qui se préparent … qui pointent déjà à l’horizon … et que perçoivent ceux qui, comme lui, savent voir avec le cœur.
« La cécité n’atteint pas les yeux, mais les cœurs qui sont dans les poitrines ».
Il est serein et sait qu’il est ce qu’il doit être …[3]

BOUAZZA



[1] Boundouq : l’ancêtre du couscous.
[2] Driss Chraïbi, Naissance à l’aube, Paris, le Seuil, 1986, p. 108.
[3] Texte mis sur le net, sans l’illustration, le 25 septembre 2004 selon le calendrier dit grégorien.

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