C’est
incroyable ce qu’une cellule peut être spacieuse.
Avec
les souvenirs qui jaillissent de partout, surtout la nuit, j’avais peur qu’ils
soient à l’étroit et que la place ne vienne à leur manquer.
Je
me faisais du souci pour rien.
La
cellule peut accueillir des souvenirs à l’infini.
Je
ne vous dit pas le monde qui la partage avec moi et tout ce que nous y faisons
…
Je
vais vous étonner, mais ce que j’ai retrouvé dans cette cellule est au delà de
ce que vous pouvez imaginer …
Nous
en parlerons peut-être un jour …
« Voilà
le paradis où je vivais autrefois : mer et montagne. Il y a de cela toute
une vie. […] Voilà le paradis où nous vivions autrefois : arbre de roc, la
montagne plongeant abruptes ses racines dans les entrailles de la mer. La terre
entière, humanité comprise, prenant source de vie dans l’eau. L’Océan montant à
l’assaut du ciel […] Une vague vient du fond du passé et, lente, dandinante,
puissante, déferle. Explose et fait exploser les souvenirs comme autant de bulles
d’écume. […] Une autre vague vient par dessus la première et fulgure. Etincelle
et ruisselle d’une vie nouvelle. Sans nombre, débordant par delà les rives du
temps, de l’éternité d’autres vagues naissent et meurent, se couvrant et se
renouvelant, ajoutant leur vie à la vie. D’aussi loin qu’on les entende, toutes
ont la même voix, répètent le même mot : paix, paix, paix … ».
Ce texte de l’écrivain Driss CHRAIBI[1] qui
ouvre la première partie du livre « La civilisation, ma mère
... ! »,[2]
mon père aurait pu l’écrire.
Ma mère aussi.
Et mes grands-parents … et mes ancêtres …[3]
Je
l’ai eu il n’y a pas longtemps.
Au
parloir.
Sur
indication de l’éducateur en prison.
Dès
la première lecture, j’ai eu l’impression de l’avoir toujours connu par cœur …
Maintenant,
dans ma cellule, les vagues succèdent aux vagues.
Un
cheval noir, d’un noir luisant, ne se lasse pas de hennir.
Parfois,
je me surprends en train de fredonner avec lui, un air que me chantait ma mère
… Eblouissante.
Belle
comme les univers.
Et
ces instants deviennent une coulée de miséricorde au plus profond de moi-même …
« L’écho
de la rue emprunte le pont, le vent porte les sons du soir … ».
Des
images défilent devant mes yeux comme un film au ralenti qui parfois projette
l’avenir. Je me vois très âgé, avec des os qui fléchissent en moi et une tête
allumée de blancheur, marchant à petits pas vers un jardin, un sac à la main
avec des morceaux de pain, pour nourrir des pigeons.
Les
pigeons m’entourent et au bout d’un moment, partent dans un envol majestueux et
reviennent tournoyer au dessus de ma tête.
Je
les fixe et mon rictus devient un sourire, puis un rire qui se confond avec le
claquement des ailes et me rappelle les vagues de la mer …
À
mon réveil, je disais doucement :
« Je
fais souvent ce rêve étrange et pénétrant … ».
Le
calme enveloppait la prison.
Le
silence n’était rompu que par des sanglots qui, bien qu’enfermés dans des
cellules, sortent comme ils veulent, quand ils veulent…
Et
une fois encore, je n’ai pas pu empêcher mes yeux de se remplir de larmes …[4]
BOUAZZA
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