samedi 24 juin 2017

ET LORSQU’ILS MEURENT ...


Parfois il suffit d’un mot pour …
Il flânait comme il aime le faire depuis toujours, quand subitement la couverture d’un livre a capté toute sa perception.
Il ne voyait plus rien de la brocante dans un parc fleuri au bord du fleuve …
Un seul mot de la couverture de ce livre et le voilà parti …
« Cèdre » …
Il est parmi des populations de montagnes dites du Moyen Atlas, au pays du soleil couchant, Almaghrib,[1] dit Maroc.
De l’autre côté de la Mer Blanche Intermédiaire, Albahr[2] Alabyad Almotawassite, la Mer Méditerranée …
Des hommes, des femmes, des enfants …
Tel cet arbre qui fait partie de leur vie, ils sont fermement enracinés dans le sol et s’élancent vers le Ciel Infini …
Il les retrouve pour chanter, avec eux et avec les cèdres, le chant inoublié, le chant de la louange …
Son songe prend d’autres aspects …
« Petit à petit, le nid fait son oiseau ».
L’institutrice s’arrachait régulièrement les cheveux, devenait, petit à petit, une « Cantatrice chauve » parce qu’il refusait de répéter après elle :
« Petit à petit, l’oiseau fait son nid ».
Il n’avait aucun respect pour l’ordre qui, dans la logique de l’institutrice, répond aux « canons de la loi » qui tonnent plus fort et plus longtemps que les canons tout court …
Canons et autres armes de destruction massive utilisés par l’Etat colonisateur, employeur de l’institutrice, pour « pacifier » le pays où l’enfant est né et imposer à certains « petits indigènes » l’histoire de « leurs ancêtres les gaulois » …
À bout de « patience », l’institutrice a fini par alerter les « autorités compétentes » afin que le nid de l’insoumission cesse d’être le lieu d’accueil de ce drôle d’oiseau …
Le nid a été détruit …
L’oiseau, lui, est toujours en Vie …
« Ces populations doivent se mettre à l’heure de notre logique … nous devons imposer nos règles … notre discipline … notre grandeur … nous devons les pénétrer profondément … avant nous, elles n’avaient rien … maintenant, nous allons leur apprendre à acquérir le sens de notre hiérarchie … à comprendre l’immense intérêt de la séparation des pouvoirs et … de la distinction entre la vie privée et la vie publique … de la différence entre le profane et le sacré … nous allons les éduquer … leur montrer la richesse de l’éducatif et … de la démocratie … de la liberté … Il nous appartient d’éveiller les consciences … d’assurer la conscientisation de ces masses incultes et sauvages … pour les intégrer à notre civilisation … les assimiler … nous devons libérer ces populations de leurs servitudes qui s’opposent à notre modernisme … les colonies ne se font pas avec des pucelles ou des rosiers … ces populations ont besoin des maîtres que nous sommes … sans nous, elles ne peuvent pas penser … elles ne peuvent pas avancer … nous résister est un crime … il faut donc être sans pitié avec les criminels… nous sommes les missionnaires de la déclaration universelle des droits de l’Homme ».
Les arrières grands-parents maternels et paternels de l’enfant ont résisté.
Ils ont été tués par le colonialisme.
Des massacres.
Des crimes.
Des carnages.
Des horreurs.
Des pillages.
Des tortures.
Des viols.
Des transgressions.
Des humiliations …
La mort semée.
La désagrégation planifiée.
Le désarroi répandu.
Les déséquilibres provoqués.
L’harmonie mutilée.
La décomposition alimentée.
La mémoire infectée …
Les grands-parents, maternels et paternels, dépossédés et chassés, se sont trouvés parqués dans des bidonvilles, prélude au processus migratoire … une transplantation plus dure, plus douloureuse …
C’est dans ce processus que les parents, qui font encore de leur mieux pour vivre et transmettre leur FOI, l’ont introduit …
C’est la logique de l’oppression, du colonialisme et de l’impérialisme qui ont mis en place des systèmes post-coloniaux et néo-coloniaux dits des « indépendances », systèmes qui continuent les crimes les plus abjects, qui terrorisent des populations dominées, pillées, écrasées, maintenues dans la misère, les maladies, poussées dans les ténèbres …
Pour l’enfant, ce qui est référé à un système de valeurs, à un système des échanges, qui renvoie au respect, à l’ascendant, à la transmission a été chamboulé …
Ce qui est référé à la contrainte, à la sanction, à la possibilité d’exclure dans le cadre de la vie avec d’autres a été bouleversé …
L’équilibre est rompu.
Comment comprendre l’autorité ?
Comment percevoir les multiples articulations ?
Les enjeux ?
Comment tenir compte des spécificités ?
Comment cerner les décalages ?
Les ruptures ?
Les implications ?
Comment rassembler les éléments épars ?
Comment saisir le Sens qui fait Lien ?
Le mineur délinquant incarcéré va quitter la prison dite « Maison d’Arrêt ».
Le magistrat a décidé de ne pas renouveler le mandat de dépôt d’un mois.
Le greffe du tribunal vient de le confirmer à l’éducateur, chargé en détention du suivi de ce mineur délinquant incarcéré.
L’éducateur est allé le voir pour l’informer, lui expliquer que « selon la procédure », son jugement aura lieu plus tard … et surtout pour le saluer avant son départ …
Lui souhaiter « bonne continuation » …
Le magistrat a accepté qu’il retourne, après la prison, chez ses parents et qu’il ne soit pas éloigné de sa cité, au grand dam de certaines « âmes charitables », de « professionnels » de la « socialisation » en tous genres, qui ont demandé, qu’après la prison, le mineur soit éloigné de ses parents « qui ne sont pas qualifiés pour assumer leurs obligations » et de sa cité, « repaire de tous les vices », pour un « séjour de rupture » dans une structure faite pour « les ducs à tiffes »[3].
Ces « professionnels » trouvent que les « ruptures » manquent terriblement dans la trajectoire de ce mineur et veulent, pour lui éviter des « exclusions », qu’il soit séparé de ses parents « inaptes à s’occuper de son éducation » et arraché à sa cité « pourrie » afin de bâtir son « indépendance ».
Ce mineur délinquant incarcéré, dont les arrières grands-parents maternels et paternels ont été tués, ainsi que d’innombrables autres personnes, par le colonialisme français, n’ignore pas que les amalgames et les représentations convenues cultivent, depuis de longues périodes, le mépris à son égard dans plusieurs domaines et de différentes manières …
Il est en France.
Comment s’inscrire dans la dynamique qui permet de saisir le Sens qui fait Lien ? L’éducateur en détention a attendu longtemps derrière les barreaux de la fenêtre de la cellule qu’occupait le mineur délinquant, pour regarder celui-ci se diriger vers la sortie.
Le mineur chemine, un pas devant l’autre, de l’intérieur vers l’extérieur.
Du dedans vers le dehors.
Le pas de sa marche semble être l’écho du rythme qui, dans sa poitrine, est celui des battements, tels ceux du cœur de la mère qui lui viennent de l’aube de la Vie …
Des mouettes et des corbeaux, en grand nombre, qui viennent se nourrir de ce que les détenus leur « transmettent » à travers les barreaux, regardent aussi ce mineur, puis partent dans un envol majestueux.
Ils rejoignent un drôle d’oiseau pendant que leur parvient la voix chaude d’un détenu qui rappelle :
« Les gens dorment, et lorsqu’ils meurent, ils se réveillent … ».[4]
  
BOUAZZA



[1] Le ʺrʺ roulé.
[2] Le ʺrʺ roulé.
[3] L’éducatif.
[4] Texte mis sur le net, sans l’illustration, le 18 septembre 2004 selon le calendrier dit grégorien, à partir d’écrits antérieurs.

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