Depuis
son arrivée, il est souvent surexcité.
Les
insultes fusent.
Copieusement.
Il
provoque des adultes et des mineurs délinquants incarcérés comme lui.
Contre
ces derniers, il n'hésite pas parfois à se bagarrer dans la cour dite de promenade.
Il
hurle dans sa cellule et tape sur la porte à n'en plus finir.
Il
laisse souvent éclater son rejet des magistrats, des policiers, des
surveillants et autres.
Il
ne craint ni le confinement ni le quartier disciplinaire.
S'il
accepte de voir l'éducatrice « chargée de son suivi », c'est, dit-il,
parce qu'il ne déteste pas observer quelqu'un qui ne connaît pas grand chose,
mais qui fait semblant d'être à la hauteur en disant ou en faisant n'importe
quoi …
« Les
ducs à tiffes »[1] … il
connaît …
Même
en détention, il arrive à se procurer des joints, mais qui ne le calment pas,
au grand désespoir de certains.
Les
comprimés prescrits « médicalement » restent sans effet aussi.
Les
coups administrés « discrètement » par quelques membres du personnel
augmentent plutôt sa hargne …
Il
est en « éruption » …
L'administration
veut demander son transfert dans une autre prison qui saura, peut-être,
« l'éteindre ».
Avec
moi cependant et avec quelques autres, les rapports sont différents.
Le
courant passe.
Je
suis son voisin de cellule et assez vite, il a tenu à me faire lire le courrier
qu'il reçoit en insistant pour que nous y répondions ensemble.
Il y
a quelques jours, il a reçu un document de son frère qui commence ainsi :
« Notre
marche est une volonté fervente de continuer ensemble sur le chemin de nos
cœurs ».
À un
moment de leur vie de couple, l'époux et l'épouse ont décidé d'entreprendre une
marche et d'échanger par écrit des réflexions contenues dans ce document
réalisé par l'épouse avant l'emprisonnement de mon compagnon de détention et
qu'il reçoit maintenant.
« Tu
écris :
« Sous
un ciel fabuleux tatoué d'étoiles, je pense au Créateur.
Je
pense aux créatures.
Je
pense à ma mère.
Le
temps et l'espace se confondent, se mélangent et me donnent la sensation de l'aube
de la vie.
Je
fais une invocation pour que tu sois soutenue ».
Et
comme j'ai besoin de ce soutien !
Car
comme je m'y attendais, j'ai flanché.
Impossible
de continuer paisiblement.
J'étais
essoufflée.
Tu
as comparé cette marche à la marche de la vie.
Il y
a des moments dans la vie où l'essoufflement impose une halte pour retrouver le
souffle afin de continuer la marche.
J'avais
besoin d'aide …
Nous
avons dormi dans un petit enclos surmonté par la masse sombre des cyprès et
tout autour de nous, celle plus imposante des montagnes et au dessus de nous,
la voûte céleste, resplendissante d'étoiles.
Vers
l'aube, nous avons continué …
Tu
m'as soutenu dans la montée, me tenant par la main, me serrant dans tes bras
pour me donner ton souffle.
Le
lever du soleil fut Divin.
Le
paysage et les couleurs s'adressaient à tous les sens de l'être.
Les
roches illuminées de rouge s'éclaircissent peu à peu et se teintent d'or pâle …
Nous
avons entrepris la descente.
L'enclos
où nous avons passé la nuit apparaît, avec ses cyprès …
Tu
écris :
« En
te tenant par la main, j'arrive souvent à sentir ton état.
Tu
étais un peu crispée, énervée d'avance car tu ne pouvais pas ne pas penser que
tu allais être fatiguée.
Au
bout d'un moment, nous nous sommes arrêtés, pour que tu reprennes ton souffle.
Je
t'ai parlé de la durée des choses importantes, de leur continuité, de leur
permanence.
Je
t'ai dit que s'arrêter pour reprendre son souffle n'est pas un signe de
faiblesse comme tu le sens mais un moyen, dans cette marche symbolique, de méditer
sur l'importance de notre marche dans la vie.
Nous
avons repris la marche.
J'ai
repris ta main et je t'ai sentie détendue et de joie, mon cœur s'est envolé
comme un faucon …
Tu
trouves que j'arrange un peu trop la fin ?
Je
m'excuse de laisser libre cours à mon lyrisme » …
Après
le dîner, tu as fait un feu de bois avec les brindilles que j'ai ramassées et
nous nous sommes installés « chez nous », à la belle étoile, parmi
les rochers aux formes magnifiques. Tu as fait des invocations pour que le bon
souffle nous soit accordé et pour que nos corps et nos cœurs ne s'étiolent pas
…
Souviens-toi
m'as-tu murmuré, de cette nuit et de notre marche main dans la main.
Qu'il
serait beau de revenir ici, un jour, avec nos enfants !
Le
lendemain, la lumière encore hivernale m'a rappelé la lumière d'automne des
lacs d'Italie et celle des champs de la Drôme …
La
matinée s'est passée agréablement …
Le
voyage s'achève …
Il
s'est voulu une symbolique, une sorte de « métaphore » …
La
marche de notre amour …
« Seul
le Créateur peut permettre à un époux et à une épouse d'atteindre ENSEMBLE,
dans une marche commune, le rêve le plus fabuleux, la Voie de l'Absolu ».
Ainsi
as-tu écrit et je répète en écho. ».
Le
frère de mon compagnon de détention lui a ajouté :
« Pense
au souffle pour entamer la marche …
la
Marche de l'Équilibre …
la
Marche qui permet de retrouver le Sens, de saisir le Lien … ».
Lorsque
l'éducateur en prison que nous avons sollicité a lu notre réponse au document
reçu, nous avons entendu les battements de son cœur … et avec nos cœurs, nous
avons vu son émotion …[2]
BOUAZZA
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