vendredi 16 juin 2017

RELATION ...


C’est un mineur délinquant incarcéré depuis peu.
Il a le même éducateur en détention que moi.
Pendant un entretien avec cet éducateur, ce mineur délinquant incarcéré, s’est subitement levé, a balancé la chaise et a quitté la salle en claquant la porte de toutes ses forces et en criant qu’il veut retourner immédiatement en cellule.
Il a ajouté qu’il ne veut plus jamais voir l’éducateur.
Le surveillant l’a remis en cellule et a regagné son bureau pour noter l’incident.
- Pourquoi tu as perdu ton calme durant l’entretien avec l’éducateur ?
En lui posant cette question lorsque nous étions dans la cour de promenade, je ne m’attendais pas à une longue réponse de la part de mon compagnon de détention.
Je voulais juste dire quelque chose.
Lui, il ne parle presque jamais.
On dirait qu’il a peur de parler.
Mais de quoi a-t-il peur ?
De qui ?
Parfois, il déclare, comme s’il l’annonce à lui-même, qu’il n’a rien à voir avec ce qui lui est reproché.
C’est une erreur.
Son avocat va faire le nécessaire.
Il sortira bientôt …
- Il veut me faire avouer alors que je n’ai rien à lui dire.
Il me répète qu’il ne peut pas établir des contacts sains avec une personne qui ne veut pas assumer ses actes et qui refuse de prendre ses responsabilités.
Qu’est-ce qu’il veut dire ?
Il m’a fait savoir que je finirai par comprendre ce qu’il attend …
- Qu’est-ce que vous attendez ?
- Il y a quelques jours, j’ai eu longuement ton avocat.
J’ai eu aussi le juge d’instruction au téléphone.
Nous avons parlé de toi.
Tu es ici en détention préventive dans le cadre d’une procédure criminelle.
Tu le sais.
Tu n’arrêtes pas de répéter que c’est une erreur et tu refuses d’admettre quoi que ce soit. D’autres dans cette affaire n’ont pas la même approche que toi.
Non seulement ils ont reconnu ce qui leur est reproché, mais ils ont aussi témoigné par rapport à ce qui t’es reproché …
- C’est à cet instant que j’ai perdu mon calme.
J’ai été déstabilisé …
Je voulais qu’il se taise.
J’ai balancé la chaise et j’ai claqué la porte …
- Et qu’est-ce qu’il attend ?
- Il attend que je lui dise qui je suis …
- C’est ce qu’il attend d’autres …
- Il est curieux ce mec…grave, méga grave même.
Comment je peux lui dire qui je suis ?
- Lui, il sait qui il est.
Il sait d’où il vient et où il va.
Et c’est énervant pour certaines personnes … surtout parmi celles qui sont à son contact dans le cadre de son travail …
- Avant que je ne sois déstabilisé, j’ai voulu l’intimider en lui disant de ne plus jamais me parler des faits …
Il m’a fixé et c’est moi qui ai été intimidé par son regard.
Il a répondu, lentement, et sans me quitter des yeux :
- C’est moi qui mène l’entretien.
J’espère ne plus avoir à te le répéter.
Il y a des exigences auxquelles il est important de réfléchir.
Ici, tu as le temps pour le faire.
Et je te conseille de le faire …
Je n’ai pas voulu continuer.
Il n’était pas disponible et moi je n’étais pas tout à fait à l’écoute.
J’aurai aimé lui dire un peu plus :
- C’est moi qui mène l’entretien, mais cela n’empêche pas que nous puissions élaborer quelque chose ensemble.
Bien au contraire.
Nous pouvons essayer de saisir des données, dans leur diversité, de les examiner sous des angles différents, de procéder à des analyses, de chercher à comprendre afin d’entreprendre autre chose pour une transformation toujours possible dans ce processus …
Qui sait ce qui pourrait advenir des histoires que nous pourrions nous raconter ?
Une avancée ensemble dans le chemin de la guidance, pour approfondir le Sens et mieux saisir le Lien …
Pourquoi pas ?
Un sacré travail pour nous deux et pour d’autres …
Le moment viendra peut-être …
Ici ou ailleurs …
- Il n’a pas cédé.
Lors d’entretiens précédents non plus.
Je n’ai pas supporté …
- Il t’oblige à te confronter à toi-même.
Il le fait avec d’autres …
Et avec lui-même …
- Depuis quelques jours, il ne vient plus me voir.
Je vais être extrait pour une confrontation au tribunal.
Il attend …
Et toi ?
Tu sais qui tu es ?
- Moi ?
Mon compagnon de détention n’a pas attendu ma réponse.
Il s’est éloigné et s’est mis, comme au début de son arrivée en prison, seul, dans un coin de la cour de promenade.
Pense t-il à un point particulier qu’il semble redécouvrir ?[1]
  
BOUAZZA



[1] Texte mis sur le net, sans l’illustration, le 5 juin 2004, selon le calendrier dit grégorien. 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire