Pendant le déjeuner dans sa cellule, le surveillant lui a
remis une lettre.
L’après-midi, il n’a participé à aucune activité des
détenus et a fait savoir qu’il ne voulait pas dîner.
Au milieu de la nuit, un vacarme a secoué le quartier des
mineurs délinquants incarcérés.
Le temps que le surveillant responsable des clés la nuit
ouvre la cellule, le détenu avait tout saccagé.
Les surveillants ont eu beaucoup de mal à le maîtriser.
Un peu plus tard, le service du docteur psychiatre s’est
chargé de lui administrer un calmant …
La décision a vite été prise de le faire comparaître sans
tarder devant la commission de discipline.
L’avocat auquel il a droit ne s’est pas déplacé.
C’est souvent ainsi.
Et lui, a décidé de ne rien dire.
Considérant les dégradations de la cellule et les
agressions contre le personnel, la commission l’a condamné à quinze jours de
quartier disciplinaire.
Il était comme absent.
Il paraissait « dur comme une pierre aiguë, caillou
jailli d’un torrent de misère ; loin de sa source, il ignore sa course
… ».
Seul dans le noir, il a l’impression d’entendre la voix de
son père :
- Tu dors ?
Des pensées défilent …
Son père lui raconte un souvenir d’enfance … souvent le
même …
Un jour d’été, pendant qu’il jouait comme il avait
l’habitude de le faire sur la terrasse de la maison, en regardant de haut ce
qui se passait en bas, un orage a éclaté.
Déversement inouï de trombes.
Il était comme paralysé.
Presque sans connaissance, mais fixait l’eau boueuse qui
dévalait.
Il revoyait souvent cette boue et racontait sans cesse cet
orage.
Lorsqu’il en parlait, on sentait que ce phénomène
continuait de l’interroger …
Son regard devenait celui d’une personne troublée …
Parfois il fermait les yeux et donnait l’impression de
chercher un parfum d’enfance …
Que sait-il en fait de son père ?
Pas grand-chose.
C’est quelqu’un qui est venu travailler en France et qui ne
retournait plus dans « son pays d’origine » pour des « raisons
politiques ».
Les horreurs du système en place bâti sur les trahisons
sont connues partout …
Il n’a jamais su que son père était venu une première fois
en France pour des études universitaires et qu’il avait regagné « son pays
d’origine » en se voulant « engagé » et en mesure de mener une
carrière « sans servir les traîtres ».
Il avait épousé une fille « moderne et
émancipée » …
Tout à son « engagement », il n’a pas vu venir la
trahison de son épouse …
Il est parti.
Retour en France.
Pour tenter de camoufler sa blessure …
Après maintes péripéties, il a trouvé un emploi comme
gardien de nuit dans une entreprise de médicaments.
Il voyait très peu de personnes.
Le jour, il quittait rarement son logement.
Il a épousé la femme qui faisait le ménage la nuit, dans
l’entreprise de médicaments.
Elle avait quitté « son pays d’origine »
pour un emploi en France …
Cela, le mineur délinquant incarcéré le sait.
Sa mère est décédée l’année dernière des suites d’une
longue maladie …
Sans rien lui transmettre de son parcours, ni de la
trajectoire de son père …
Le temps au quartier disciplinaire s’écoulait, traversé par
des jaillissements de pensées.
C’est incroyable ce qu’une cellule peut être spacieuse pour
l’accueil de pensées.
Surtout la nuit …
Une nuit justement, il a fait un songe …
Quelqu’un lui lisait un texte :
« La mer et le ciel se rejoignent, font jaillir des
images, des couleurs, des formes, des mouvements … une vision AUTRE …
j’apprends à voir avec les yeux du cœur … je suis plein de reconnaissance pour
cette coulée de paix … ce ruissellement d’Amour … cette infinité de bienfaits
qui me sont généreusement offerts…je chemine depuis l’aube de la Vie pour
approfondir le Sens et le Lien … ».
En arrivant du quartier disciplinaire à la fin des quinze
jours, les mineurs délinquants incarcérés ont failli ne pas le
reconnaître :
Il était transfiguré.
Placé dans une autre cellule que celle, encore
inutilisable, où il avait tout saccagé, il a retrouvé sur la table la lettre
qui lui avait été remise, un peu plus de quinze jours auparavant, par le
surveillant, pendant le déjeuner :
« Ton père est décédé il y a quelques jours suite à un
accident.
Le corps a été rapatrié pour être enterré dans son pays
d’origine … ».[1]
BOUAZZA
[1] Texte
mis sur le net, sans l’illustration, le 5 septembre 2004 selon le calendrier
dit grégorien, en partie à partir d’écrits antérieurs.
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