vendredi 23 juin 2017

RETOUR AU PAYS ...


Pendant le déjeuner dans sa cellule, le surveillant lui a remis une lettre.
L’après-midi, il n’a participé à aucune activité des détenus et a fait savoir qu’il ne voulait pas dîner.
Au milieu de la nuit, un vacarme a secoué le quartier des mineurs délinquants incarcérés.
Le temps que le surveillant responsable des clés la nuit ouvre la cellule, le détenu avait tout saccagé.
Les surveillants ont eu beaucoup de mal à le maîtriser.
Un peu plus tard, le service du docteur psychiatre s’est chargé de lui administrer un calmant …
La décision a vite été prise de le faire comparaître sans tarder devant la commission de discipline.
L’avocat auquel il a droit ne s’est pas déplacé.
C’est souvent ainsi.
Et lui, a décidé de ne rien dire.
Considérant les dégradations de la cellule et les agressions contre le personnel, la commission l’a condamné à quinze jours de quartier disciplinaire.
Il était comme absent.
Il paraissait « dur comme une pierre aiguë, caillou jailli d’un torrent de misère ; loin de sa source, il ignore sa course … ».
Seul dans le noir, il a l’impression d’entendre la voix de son père :
- Tu dors ?
Des pensées défilent …
Son père lui raconte un souvenir d’enfance … souvent le même …
Un jour d’été, pendant qu’il jouait comme il avait l’habitude de le faire sur la terrasse de la maison, en regardant de haut ce qui se passait en bas, un orage a éclaté.
Déversement inouï de trombes.
Il était comme paralysé.
Presque sans connaissance, mais fixait l’eau boueuse qui dévalait.
Il revoyait souvent cette boue et racontait sans cesse cet orage.
Lorsqu’il en parlait, on sentait que ce phénomène continuait de l’interroger …
Son regard devenait celui d’une personne troublée …
Parfois il fermait les yeux et donnait l’impression de chercher un parfum d’enfance …
Que sait-il en fait de son père ?
Pas grand-chose.
C’est quelqu’un qui est venu travailler en France et qui ne retournait plus dans « son pays d’origine » pour des « raisons politiques ».
Les horreurs du système en place bâti sur les trahisons sont connues partout …
Il n’a jamais su que son père était venu une première fois en France pour des études universitaires et qu’il avait regagné « son pays d’origine » en se voulant « engagé » et en mesure de mener une carrière « sans servir les traîtres ».
Il avait épousé une fille « moderne et émancipée » …
Tout à son « engagement », il n’a pas vu venir la trahison de son épouse …
Il est parti.
Retour en France.
Pour tenter de camoufler sa blessure …
Après maintes péripéties, il a trouvé un emploi comme gardien de nuit dans une entreprise de médicaments.
Il voyait très peu de personnes.
Le jour, il quittait rarement son logement.
Il a épousé la femme qui faisait le ménage la nuit, dans l’entreprise de médicaments.
Elle avait quitté  « son pays d’origine » pour un emploi en France …
Cela, le mineur délinquant incarcéré le sait.
Sa mère est décédée l’année dernière des suites d’une longue maladie …
Sans rien lui transmettre de son parcours, ni de la trajectoire de son père …
Le temps au quartier disciplinaire s’écoulait, traversé par des jaillissements de pensées.
C’est incroyable ce qu’une cellule peut être spacieuse pour l’accueil de pensées.
Surtout la nuit …
Une nuit justement, il a fait un songe …
Quelqu’un lui lisait un texte :
« La mer et le ciel se rejoignent, font jaillir des images, des couleurs, des formes, des mouvements … une vision AUTRE … j’apprends à voir avec les yeux du cœur … je suis plein de reconnaissance pour cette coulée de paix … ce ruissellement d’Amour … cette infinité de bienfaits qui me sont généreusement offerts…je chemine depuis l’aube de la Vie pour approfondir le Sens et le Lien … ».
En arrivant du quartier disciplinaire à la fin des quinze jours, les mineurs délinquants incarcérés ont failli ne pas le reconnaître :
Il était transfiguré.
Placé dans une autre cellule que celle, encore inutilisable, où il avait tout saccagé, il a retrouvé sur la table la lettre qui lui avait été remise, un peu plus de quinze jours auparavant, par le surveillant, pendant le déjeuner :
« Ton père est décédé il y a quelques jours suite à un accident.
Le corps a été rapatrié pour être enterré dans son pays d’origine … ».[1]
  
BOUAZZA



[1] Texte mis sur le net, sans l’illustration, le 5 septembre 2004 selon le calendrier dit grégorien, en partie à partir d’écrits antérieurs.

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