Elle
est arrivée un matin de printemps en prison.
Des
mineurs délinquants savaient qu’elle allait venir.
Avec
une autre qui interviendrait à la séance d’après.
Une
promesse en devenir qui sent toutes les saisons.
Pleine
de couleurs, de parfums.
« Reliefs,
vals, forêts, rivières … ».
Un
regard sans mot au départ.
Silence.
Paix.
Salaam.
Pace.
Peace
…
Par
le soleil et son éclat …
La
conteuse était assise et nous caressait du regard.
Lentement,
elle s’est mise à allumer des bougies disposées devant elle.
Des
étoiles sur la terre.
Elle
avait cette aisance naturelle qui dégage un calme profond, appelle la
confiance.
« Une
lumière retentit dans la pièce étroite ».
J’ai
jeté un coup d’œil à l’éducateur en prison et j’ai lu dans ses yeux la
confirmation de ce que j’ai saisi : cette femme nous connaît.
L’autre
aussi.
L’éducateur
en prison qui a introduit des conteuses auprès des mineurs délinquants
incarcérés, était à l’Ecoute.
Tout
comme moi.
La
conteuse s’est mise à conter …
Elle
semblait s’excuser d’avoir tardé à venir et, comme pour rattraper le temps
perdu, elle s’est élancée à grands pas à l’intérieur de ma personne, dans des
dédales qu’elle n’avait aucune difficulté à suivre :
-
« Ils marchent.
Depuis
combien de temps ?
Quelle
distance ont-ils parcouru ?
Pour
eux, le temps ne compte pas et ils ne mesurent pas l’espace.
Un
immense souffle est en eux.
Le
but est dans leur cœur et c’est l’Essentiel.
Ce
qui doit être sera.
Le
tumulte se perd au loin.
Par
moment, de lourds nuages voilent la clarté du jour.
Mais
pour ces êtres qui marchent, le ciel est d’une extraordinaire luminosité …
Et
marche aujourd’hui et marche demain, à force de marcher on fait du chemin …
-
Attendez-moi. Attendez-moi.
Ceux
qui dans la marche ont entendu cette voix, se sont arrêtés net.
L’homme
courait de toutes ses forces et dans sa course, semblait être sur des cimes.
-
Attendez-moi. Attendez-moi.
Lorsqu’ils
se tournèrent vers lui comme un seul corps, il s’arrêta à son tour.
Tout
près d’eux déjà.
Ils
virent d’abord ses yeux.
Comme
de l’eau claire.
Cette
eau d’où jaillit toute chose vivante.
-
Ils ont voulu m’interdire le Chemin.
Ils
ont tout fait pour me le cacher.
Ils
m’ont enfermé parce que j’ai refusé leurs dieux : dieu-trahison,
dieu-imposture, dieu-escroquerie, dieu-duperie, dieu-artifice, dieu-simulacre,
dieu-souillure, dieu-corruption, dieu-débauche, dieu-vanité, dieu-mensonge,
dieu-usure, dieu-profit, dieu-bourse, dieu-vol, dieu-argent, dieu-hypocrisie.
J’ai
proclamé la mort de leurs dieux.
Il
se mit à marcher lentement vers eux pour combler la petite distance qui les
séparait encore. Dans ses pas ils reconnurent le rythme qui est celui des
leurs.
À
leur tour, ils se mirent à avancer vers lui.
-
Ils ont voulu empêcher notre rencontre.
Ils
ont voulu nous priver de la moisson.
Ils
l’entourent et le regardent comme pour lui dire de continuer et il
continue :
-
Ils m’ont volé la Paix.
J’ai
erré.
J’ai
erré longtemps.
J’ai
souffert.
J’ai
souffert longtemps.
J’ai
pleuré.
J’ai
pleuré longtemps.
J’ai
cherché.
J’ai
cherché longtemps.
Mais
jamais.
Oui
jamais.
Jamais
je n’ai désespéré.
Il
était enveloppé dans un long manteau.
Il
n’avait pas de trace de fatigue et dégageait une profonde sérénité.
-
Ils ont alors fini par me mettre dans une tombe.
Mais
le cercueil était vide.
Comme
la cage qu’ils ferment alors que l’oiseau n’y est pas.
Cela,
ils ne peuvent le comprendre.
J’ai
réappris à Aimer.
AIMER
À RETROUVER LA RAISON.
Des
enfants le font asseoir et lui servent à boire.
De
l’eau claire.
Comme
ses yeux.
Une
jeune fille lui dit :
-
Par le simple fait d’ÊTRE, nous déclenchons la haine qui est en eux.
La
haine qui rouille leurs cœurs.
Ils
ne nous connaissent pas et ont de plus en plus peur.
Ils
n’arrivent pas à voir plus loin que le doigt qui pourtant leur indique le Chemin.
L’ignorance les aveugle.
Nous
sommes à l’Ecoute de ce qui leur échappe.
Nous
nous souvenons de Demain …
L’homme
se leva.
Il
embrassa les enfants sur le front, lança un rire qui se mélangea instantanément
avec les autres rires et dit :
-
Ils combattent ce devant quoi ils devraient se prosterner dans la poussière.
Je
viens avec vous.
Chantez-moi
le Chant de la Marche.
Il
parla ainsi avec son cœur et c’est des cœurs que retentit le Chant de la
Marche : la pleine lune s’est levée au dessus de nous ».
Au
fur et à mesure de la progression du conte, le temps et l’espace se mêlaient
pour faire jaillir une dimension AUTRE.
La
conteuse s’élevait avec nous.
Le
toit s’est ouvert et nous avons rejoint le ciel.
Les
corbeaux et les mouettes qui viennent en grand nombre se nourrir de ce que les
détenus leur « transmettent » à travers les barreaux, y étaient.
Le
cheval noir y était aussi.
Luisant
…
Vous
vous souvenez ?
Des
pigeons partaient dans un envol majestueux et revenaient tournoyer au dessus de
nos têtes.
Nos
cœurs s’emplissaient de Lumière et nous flottions agréablement dans le ciel,
pendant que de la terre jaillissaient des couleurs qui nous rejoignaient afin
d’entonner avec nous le Chant inoublié, le Chant du commencement, le Chant de
la Louange …
Nos
tapis volants n’avaient aucune envie d’atterrir …
À
quand remonte notre Élévation ?
Au
temps où les dromadaires avaient des ailes ?
Au
temps où les grenouilles avaient des plumes ?
Combien
sommes-nous ?
QUAND
ON AIME ON NE COMPTE PAS …[1]
BOUAZZA
[1] Texte
mis sur le net, sans l’illustration, le 10 avril 2004, selon le calendrier dit
grégorien, à partir d’écrits antérieurs.
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