lundi 26 juin 2017

LA LUTTE DES PLACES ...


Le mineur délinquant incarcéré est très préoccupé.
Ses parents viennent le voir demain.
Depuis dix jours qu’il est en détention préventive, ils viennent enfin d’avoir le permis de visite et le premier rendez-vous au parloir.
Lorsqu’il a été déféré, il a eu un rapide entretien avec un éducateur du service éducatif auprès du tribunal, qui a remis au magistrat les informations recueillies, avec une proposition dite « alternative à l’incarcération ».
La grave transgression ne paraissait pas inquiéter le mineur pendant l’entretien avec l’éducateur.
La sanction qu’il craignait, fortement, était le risque de renvoi par son père en Afrique, terre natale de ses parents.[1]
Comment envisager les rapports à la loi face à une donnée de ce genre ?
Comment appréhender les relations avec la société d’origine dans un cas pareil ?
Que dire, que faire lorsque la société d’origine des parents devient une menace brandie par ces mêmes parents ?
L’éducateur du service d’action éducative auprès du tribunal a proposé au magistrat, comme « alternative à l’incarcération », d’éloigner le mineur de sa famille et de le retirer de son quartier, pour lui permettre de se « construire » dans une structure d’hébergement où une « place » l’attend déjà …
Le magistrat a délivré un mandat de dépôt d’un mois dans une Maison d’Arrêt.[2]
Un autre éducateur, chargé du suivi du mineur en détention, a rendez-vous avec les parents après le parloir.
Lui aussi est préoccupé …
Il sait que la famille est une réalité anthropologique fondamentale aux aspects multiples et complexes.
Lorsqu’un mineur, suite à une décision judiciaire, est incarcéré par exemple, cela soulève des questions qui se référent aux structures familiales, aux systèmes de parenté et par conséquent, aux fondements mêmes de la société.
La pratique éducative n’est pas simple et l’éducateur n’est pas à l’aise …
Comment en effet saisir les enjeux par rapport aux textes ?
Comment chercher l’équilibre dans une situation compromise ?
Comment tenir compte de certaines spécificités au sein d’une société sans ignorer le cadre de la réalité ?
Comment travailler sur l’histoire familiale des mineurs concernés par une décision judiciaire ?
Une éducatrice se demande :
« Quelle importance est accordée à l’histoire familiale d’un jeune dans sa prise en charge éducative ? ».[3]
L’attitude des parents se traduit par une sorte de désarroi face aux mesures judiciaires concernant leurs enfants.
Et souvent, l’éducateur, non seulement n’est pas outillé pour travailler avec eux, mais tend à les exclure …
Pour des parents, originaires d’Afrique par exemple, dont les parcours sont jalonnés de multiples ruptures, d’innombrables transformations et révisions compliquent les situations. Les places, les rôles et les fonctions sont brouillés …
Ces parents se trouvent dans des positions et environnements qui leur demandent de nouvelles pratiques, d’autres modes de vie, d’autres attitudes par rapport à des croyances, à des convictions, à des traditions ou autres qu’ils ne voudraient pas perdre et dont ils veulent transmettre ce qui compte …
Ils sont tenus de faire face à des changements continus pour lesquels ils ne sont pas préparés, et d’essayer de s’adapter, sans cesse, à des remaniements successifs dans des contextes difficiles …
Dans les sociétés d’origine, ces parents ont eu à connaître des manques dans divers domaines. Leur famille a souvent connu des souffrances pour trouver des moyens de subsistance en milieu rural ou citadin, dans des gourbis, des bidonvilles ou des habitats de ce genre … Plongée dans la misère, maintenue dans l’ignorance, sans formation et sans beaucoup d’autres choses.
Les enfants n’échappent pas à certaines conséquences de ces manques.
Les parents, qui ont des difficultés dans les nouveaux types d’échange inhérents aux transformations liées à l’oppression, au colonialisme, à l’impérialisme et aux systèmes néo-coloniaux dits des « indépendances » dans les sociétés d’origine, vivent beaucoup de problèmes en France par exemple.[4]
Cela se traduit aussi par la dislocation des couples et la désagrégation poussée des liens dans de nombreux domaines.
Les incidences, multiples, compliquent les modes d’organisation familiale.
Les représentations de la fonction, du rôle, de la place des parents et des enfants ne sont plus les mêmes.
Face à une décision judiciaire concernant leurs enfants, des parents ayant des attaches avec le processus migratoire, sont parfois convaincus que ce sont les pouvoirs publics qui leur interdisent d’agir avec leur progéniture comme ils le pensent.
Ils se sentent dépossédés face à ces pouvoirs publics et se disent par conséquent empêchés de prendre leur place.
Ils considèrent alors que ces pouvoirs publics s’arrogent des droits pour les exclure …
Ces parents recourent parfois au renvoi de l’enfant à leur pays d’origine.
Ils cherchent en quelque sorte à se manifester face aux pouvoirs publics.
Dire qu’ils peuvent se réapproprier leur autorité bafouée et l’exercer, ailleurs, par le biais d’autres membres de la famille …
Ainsi, il y a des parents qui utilisent le pays d’origine comme menace face à leurs enfants !
L’éducateur en détention, chargé du suivi du mineur délinquant incarcéré, pense à cela et se pose d’innombrables questions chaque fois qu’il a des contacts à prendre avec des parents de mineurs concernés par des mesures judiciaires :
Quelle approche éducative mettre en œuvre ?
Comment travailler avec les parents ?
Comment échanger sur leurs devoirs ?
Leurs responsabilités ?
Comment ne pas oublier de tenir compte de l’autorité parentale dont ils sont dépositaires ? Comment les écouter ?
Comment ne pas ignorer leur culture ?
Leurs pratiques éducatives ?
Leurs savoirs ?
Leur identité ?
Leur histoire, eux, les premiers éducateurs des enfants ?
Comment instaurer une dynamique relationnelle ?
L’éducatrice déjà citée formule un vœu :
« Et si le travail sur l’histoire familiale trouvait une place renforcée dans la définition des missions de l’éducateur de la protection judiciaire de la jeunesse ? … ».[5]
Dure lutte des places …[6]

BOUAZZA



[1] Il y a lieu de souligner ici que l’Afrique du Nord fait partie de l’Afrique.
[2] Prison.
[3] Jeanne Lacoste-Girot, Connaître son passé pour comprendre son présent. L’histoire familiale des jeunes comme outil éducatif, mémoire, formation initiale des éducateurs, promotion 2001-2003, CNFE-PJJ. p.2.
[4] Société dite d’accueil.
[5] Jeanne Lacoste-Girot, op.cit., p.64.
[6] Texte mis sur le net, sans l’illustration, le 2 octobre 2004 selon le calendrier dit grégorien.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire