Le mineur délinquant incarcéré est très préoccupé.
Ses parents viennent le voir demain.
Depuis dix jours qu’il est en détention préventive, ils
viennent enfin d’avoir le permis de visite et le premier rendez-vous au parloir.
Lorsqu’il a été déféré, il a eu un rapide entretien avec un
éducateur du service éducatif auprès du tribunal, qui a remis au magistrat les
informations recueillies, avec une proposition dite « alternative à
l’incarcération ».
La grave transgression ne paraissait pas inquiéter le
mineur pendant l’entretien avec l’éducateur.
La sanction qu’il craignait, fortement, était le risque de
renvoi par son père en Afrique, terre natale de ses parents.[1]
Comment envisager les rapports à la loi face à une donnée
de ce genre ?
Comment appréhender les relations avec la société d’origine
dans un cas pareil ?
Que dire, que faire lorsque la société d’origine des
parents devient une menace brandie par ces mêmes parents ?
L’éducateur du service d’action éducative auprès du tribunal
a proposé au magistrat, comme « alternative à l’incarcération »,
d’éloigner le mineur de sa famille et de le retirer de son quartier, pour lui
permettre de se « construire » dans une structure d’hébergement où
une « place » l’attend déjà …
Le magistrat a délivré un mandat de dépôt d’un mois dans
une Maison d’Arrêt.[2]
Un autre éducateur, chargé du suivi du mineur en détention,
a rendez-vous avec les parents après le parloir.
Lui aussi est préoccupé …
Il sait que la famille est une réalité anthropologique
fondamentale aux aspects multiples et complexes.
Lorsqu’un mineur, suite à une décision judiciaire, est
incarcéré par exemple, cela soulève des questions qui se référent aux
structures familiales, aux systèmes de parenté et par conséquent, aux fondements
mêmes de la société.
La pratique éducative n’est pas simple et l’éducateur n’est
pas à l’aise …
Comment en effet saisir les enjeux par rapport aux
textes ?
Comment chercher l’équilibre dans une situation
compromise ?
Comment tenir compte de certaines spécificités au sein
d’une société sans ignorer le cadre de la réalité ?
Comment travailler sur l’histoire familiale des mineurs
concernés par une décision judiciaire ?
Une éducatrice se demande :
« Quelle importance est accordée à l’histoire
familiale d’un jeune dans sa prise en charge éducative ? ».[3]
L’attitude des parents se traduit par une sorte de désarroi
face aux mesures judiciaires concernant leurs enfants.
Et souvent, l’éducateur, non seulement n’est pas outillé
pour travailler avec eux, mais tend à les exclure …
Pour des parents, originaires d’Afrique par exemple, dont
les parcours sont jalonnés de multiples ruptures, d’innombrables
transformations et révisions compliquent les situations. Les places, les rôles
et les fonctions sont brouillés …
Ces parents se trouvent dans des positions et
environnements qui leur demandent de nouvelles pratiques, d’autres modes de
vie, d’autres attitudes par rapport à des croyances, à des convictions, à des
traditions ou autres qu’ils ne voudraient pas perdre et dont ils veulent
transmettre ce qui compte …
Ils sont tenus de faire face à des changements continus
pour lesquels ils ne sont pas préparés, et d’essayer de s’adapter, sans cesse,
à des remaniements successifs dans des contextes difficiles …
Dans les sociétés d’origine, ces parents ont eu à connaître
des manques dans divers domaines. Leur famille a souvent connu des souffrances
pour trouver des moyens de subsistance en milieu rural ou citadin, dans des
gourbis, des bidonvilles ou des habitats de ce genre … Plongée dans la misère,
maintenue dans l’ignorance, sans formation et sans beaucoup d’autres choses.
Les enfants n’échappent pas à certaines conséquences de ces
manques.
Les parents, qui ont des difficultés dans les nouveaux
types d’échange inhérents aux transformations liées à l’oppression, au
colonialisme, à l’impérialisme et aux systèmes néo-coloniaux dits des
« indépendances » dans les sociétés d’origine, vivent beaucoup de
problèmes en France par exemple.[4]
Cela se traduit aussi par la dislocation des couples et la
désagrégation poussée des liens dans de nombreux domaines.
Les incidences, multiples, compliquent les modes
d’organisation familiale.
Les représentations de la fonction, du rôle, de la place
des parents et des enfants ne sont plus les mêmes.
Face à une décision judiciaire concernant leurs enfants,
des parents ayant des attaches avec le processus migratoire, sont parfois
convaincus que ce sont les pouvoirs publics qui leur interdisent d’agir avec
leur progéniture comme ils le pensent.
Ils se sentent dépossédés face à ces pouvoirs publics et se
disent par conséquent empêchés de prendre leur place.
Ils considèrent alors que ces pouvoirs publics s’arrogent
des droits pour les exclure …
Ces parents recourent parfois au renvoi de l’enfant à leur
pays d’origine.
Ils cherchent en quelque sorte à se manifester face aux
pouvoirs publics.
Dire qu’ils peuvent se réapproprier leur autorité bafouée
et l’exercer, ailleurs, par le biais d’autres membres de la famille …
Ainsi, il y a des parents qui utilisent le pays d’origine
comme menace face à leurs enfants !
L’éducateur en détention, chargé du suivi du mineur
délinquant incarcéré, pense à cela et se pose d’innombrables questions chaque
fois qu’il a des contacts à prendre avec des parents de mineurs concernés par
des mesures judiciaires :
Quelle approche éducative mettre en œuvre ?
Comment travailler avec les parents ?
Comment échanger sur leurs devoirs ?
Leurs responsabilités ?
Comment ne pas oublier de tenir compte de l’autorité
parentale dont ils sont dépositaires ? Comment les écouter ?
Comment ne pas ignorer leur culture ?
Leurs pratiques éducatives ?
Leurs savoirs ?
Leur identité ?
Leur histoire, eux, les premiers éducateurs des
enfants ?
Comment instaurer une dynamique relationnelle ?
L’éducatrice déjà citée formule un vœu :
« Et si le travail sur l’histoire familiale trouvait
une place renforcée dans la définition des missions de l’éducateur de la
protection judiciaire de la jeunesse ? … ».[5]
Dure lutte des places …[6]
BOUAZZA
[1] Il y a lieu de souligner ici que l’Afrique du Nord
fait partie de l’Afrique.
[2] Prison.
[3] Jeanne Lacoste-Girot, Connaître
son passé pour comprendre son présent. L’histoire familiale des jeunes comme
outil éducatif, mémoire, formation initiale des éducateurs, promotion
2001-2003, CNFE-PJJ. p.2.
[4] Société dite d’accueil.
[5] Jeanne Lacoste-Girot, op.cit., p.64.
[6] Texte
mis sur le net, sans l’illustration, le 2 octobre 2004 selon le calendrier dit
grégorien.
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