L’éducateur
intervenant en prison s’est mobilisé pour que les mineurs délinquants
incarcérés puissent avoir des séances de conte.
Il a
pris beaucoup de choses en charge et ramène de chez lui tapis, coussins,
bougies, encens …
C’est
dire l’importance qu’il accorde au conte.
Comme
les mineurs incarcérés, il lui tarde d’écouter la conteuse qui, lors de la
séance d’avant, était déjà présente mais n’avait pas conté.
Maintenant
c’est son tour …
Auparavant,
il est allé déjeuner avec la conteuse de la séance d’avant et lorsqu’ils sont
revenus, tout était prêt.
L’odeur
de l’encens s’exhale.
Les
bougies sur le plateau étaient allumées.
La
jeune femme était en pleine concentration.
Il
fallait la laisser un peu seule …
Lorsque
tout le monde s’est installé, elle était comme transfigurée …
La
conteuse de la séance d’avant a installé un petit magnétophone, discrètement,
afin qu’il restitue un jour ce qui lui a été transmis …
Les
deux conteuses se regardent et se voient, l’une dans les yeux de l’autre.
Des
yeux couleur d’échange.
Cette
couleur les relie.
Des
yeux qui expriment le visible mais aussi, bien sûr, l’invisible.
Des
yeux qui cherchent …
Les
mineurs délinquants incarcérés connaissent le langage des yeux …
Je
fixe la conteuse.
Elle
est sans âge.
Et
de tous les âges.
Autrefois
avocate, elle a préféré devenir conteuse.
Assise
en tailleur, elle semble en lévitation.
Un
éducateur à qui il est arrivé dans le passé de raconter des histoires, la
regarde …
Je
l’écoute, elle parle de Doffou Séringué Taï Bam Baye …
« C’était
au temps où les puces allaient, ferrées de cinq cents livres de fer à chaque
patte. Elles sautaient et se perdaient dans le bleu du ciel pour en rapporter
des contes … ».
Détendu,
un des mineurs s’endort.
Un
autre, souvent agité, demande à être raccompagné à sa cellule.
Un
troisième boit les paroles goulûment comme pour étancher une grande soif.
La
conteuse le sert et ne cache pas son plaisir de vouloir le désaltérer.
Tous
deux donnent l’air de se soutenir mutuellement pour avancer vers des horizons
connus d’eux depuis longtemps …
Elle
imite le galop d’un cheval et j’ai une forte envie de passer ma main dans sa
crinière, de l’embrasser sur le front et de hennir avec elle …
La
surveillante subitement semble entrevoir ce que d’autres ne voient pas …
Des
notes de musique tirées d’instruments traditionnels se mélangent aux paroles et
parfument l’atmosphère.
La
conteuse qui réalise ce prodige, continue à tout faire et devient celle qui
conte pour moi :
« Le
voyage est long.
Mais
le garçon et la fille ne sont pas fatigués.
Ils
se sont réveillés à l’aube.
Dans
un sac, les achats pour la mère ont été préparés minutieusement : du tissu
pour une robe, un foulard, des babouches, du henné[1], du
khôl[2] et un
bracelet en argent.
En
arrivant au village en car, il leur restait quelques kilomètres à faire à dos
de mulet pour arriver à l’habitation de leur mère.
Le
paysage est rude et désolé.
Il
n’y a pas un brin d’air.
Le
frère et la sœur progressent dans une succession de cailloux et de touffes sèches.
Ils
désirent cette rencontre avec une gigantesque ardeur mais en même temps, ils
l’appréhendent terriblement.
Le
mulet continue d’avancer.
Il
connaît le chemin.
Tout
d’un coup, en haut d’une petite colline, à côté d’une simple demeure en pisé,
des chiens accourent en aboyant.
Une
femme apparaît.
À
cet instant, rien ne semble plus beau à la sœur et à son frère que le visage de
cette femme. Leur mère.
Ils
sont encore dans ses bras et nul ne sait combien ce moment a duré, ni pourquoi
les yeux pleurent alors que les cœurs débordent de bonheur.
Les
chiens se sont calmés et jappent autour.
Ces
retrouvailles sont fêtées comme il se doit.
Le
thé à la menthe coule à flots.
À
côté du feu qui dégage l’odeur du méchoui,[3] des
groupes se forment.
Le
garçon ne quitte pas sa mère des yeux.
Elle
prépare du pain.
Ses
doigts fins caressent la pâte et lui donnent la forme voulue.
De
temps à autre, elle ajoute une petite branche de bois dans le four fait de
terre, en forme de bol renversé avec une ouverture devant pour allumer le feu
et introduire le pain à faire cuire, et une ouverture au milieu pour dégager la
fumée.
Par
moments, la flamme donne à ses yeux noirs et au teint de son visage une couleur
plus chaude.
Une
femme arrive et s’assoit entre le frère et la sœur :
-
J’aimerais tant vous parler de votre mère.
Votre
père a trahi sa confiance.
Le
pire dans le mariage.
Elle
a été humiliée.
Atteinte
dans sa dignité et son être tout entier …
Je
parle mais je sais que vous portez en vous tout ce que je dis …
Un
homme prépare le thé, à la lumière d’une loupiote à huile.
La
femme poursuit :
-
Quand vous lui avez été arrachés, elle sentait qu’elle ne savait plus regarder
la Lumière et qu’elle perdait la chaleur du cœur.
Les
feuilles se sont étiolées.
Les
branches se sont affaiblies.
L’arbre
était à l’agonie.
Mais
il y avait encore la sève.
Des
saisons se sont consumées, du temps a succédé au temps, des récoltes à d’autres
récoltes. Et lorsque la sève demeure, les feuilles renaissent, les branches se
revitalisent et l’arbre, irrigué, renforce ses racines et s’élève dans les
cieux.
L’enfant
fixe de nouveau sa mère.
Il
jette ensuite un regard au ciel embelli par les étoiles et se sent plein de
gratitude.
La
mère s’approche, s’assoit au milieu de ses enfants et les serre contre elle.
Comme
seule une mère sait le faire.
Les
sons d’une flûte proviennent de loin.
L’enfant
et sa sœur ne disent rien.
Les
étoiles, imperturbables les fixent.
Une
odeur de foin les enveloppe et une forte sensation s’empare d’eux … ».
Le
silence qui a suivi n’a même pas été interrompu par les mineurs délinquants
incarcérés qui se sont retirés, personne ne sait vraiment où …
Et
ne comptez pas sur moi pour vous dire où est passée la conteuse.
Les
mouettes et les corbeaux autour de la prison ne vous en diront pas plus …[4]
BOUAZZA
Les deux chacals nommés « Kalila » et
« Dimna » (Kalila wa Dimna), qui est le titre du livre le plus connu
d’Ibn Almoqaffa’e.
Recueil de fables animalières, traduites et adaptées
en arabe par lui.
C’est une traduction des Fables
de Bidpaï, tirées du Pantchatantra
(recueil en sanscrit, d’origine de l’Inde).
Ces fables animalières attirent l’attention sur ce que
devrait être ʺl’éthique dans la gouvernance et la manière convenable de se
comporterʺ.
Écrites en sanscrit vers 200 (selon le calendrier dit
grégorien), elles ont été d’abord traduites en persan puis en syriaque au VIe
siècle, en arabe vers 750 et en d’autres langues par la suite.
En 1644, une version française a été publiée.
La traduction en français a alimenté « Les
Fables de la Fontaine ».
[1] Henné : plante dont
la poudre, mélangée avec de l’eau, sert à colorer les cheveux, les mains et les
pieds.
[2] Khôl ou kohol :
poudre noire provenant d’une pierre, utilisée pour le maquillage des yeux.
[3] Chchwa, viande grillée.
[4] Texte
mis, sans l’illustration, sur le net le 1er mai 2004, selon le calendrier dit
grégorien, à partir d’écrits antérieurs.
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